Première partie
(La deuxième partie sera mise en ligne le 9 janvier.)
Lors d'un congrès tenu en mai dernier à l'occasion de son dixième anniversaire, Québec solidaire (QS) s'est donné pour tâche de former le gouvernement dans sa prochaine décennie d'existence sur la base d'un programme de «croissance économique». En utilisant cette expression, depuis longtemps associée à l’opposition de droite aux dépenses sociales, à la redistribution de la richesses et à toute contrainte sur l’accumulation de profits par la grande entreprise, QS envoyait un signal clair à l’élite dirigeante qu'il est prêt à prendre les rênes du pouvoir pour imposer des mesures d'austérité et faire payer les travailleurs pour la crise du capitalisme.
QS est né en 2006 d'une fusion entre des groupes féministes, des activistes environnementaux et anti-pauvreté, ainsi que d’autres nationalistes de «gauche» déçus par le Parti Québécois (PQ), notamment l’Union des forces progressistes. Dès le départ, la formation a bénéficié de l’appui et de la participation active des pablistes et d’autres groupes pseudo-marxistes.
Depuis, Québec solidaire a évolué entièrement au sein du milieu «souverainiste» québécois dominé par le PQ. Il a souvent tenté de forger des alliances électorales avec le PQ pro-patronal. Lors de la dernière rencontre de son Conseil national en novembre dernier, répondant à l’appel du PQ pour une alliance «progressiste» visant à chasser le gouvernement libéral du Québec aux prochaines élections, il a proclamé sa volonté d’entamer un «dialogue».
Même s’il se plaint occasionnellement de certains excès du «capitalisme néolibéral», QS est une organisation pro-capitaliste de pseudo-gauche qui articule les aspirations et griefs non pas de la classe ouvrière, mais d’une section privilégiée des classes moyennes – universitaires et autres professionnels, fonctionnaires des syndicats et entrepreneurs petits et moyens. Cette couche sociale désire gagner le respect de l’élite dirigeante et devenir un acteur de premier plan dans la politique bourgeoise officielle.
L’apparition de Québec solidaire sur la scène politique est liée à plusieurs développements internationaux: la crise grandissante du capitalisme mondial; l'opposition montante à la guerre et à l’austérité; et l'effondrement des appareils bureaucratiques moribonds, sociaux-démocrates, staliniens, et syndicaux, qui travaillent depuis plus de trois décennies en étroite coopération avec la grande entrepris pour réduire les conditions de vie des travailleurs par le démantèlement des emplois, des salaires et des services publics.
Dans ce contexte, la classe dirigeante a besoin de nouveaux mécanismes politiques pour étouffer la lutte des classes. Au cours de la dernière décennie, de «nouveaux partis de gauche» ont partout vu le jour – La Gauche en Allemagne, Podemos en Espagne et le Nouveau parti anticapitaliste en France – dans le but avoué de «combler le vide» laissé par les partis de gouvernement traditionnels de la «gauche». Ces nouveaux partis adoptent une rhétorique gauchiste pour canaliser l’opposition sociale grandissante vers une politique de protestation et de parlementarisme, et bloquer ainsi l’émergence d’un mouvement politique indépendant, c’est-à-dire un mouvement socialiste révolutionnaire, de la classe ouvrière.
Une expérience cruciale à cet égard a été celle de l’équivalent grec de Québec solidaire, Syriza (Coalition de la gauche radicale). Syriza a été porté au pouvoir en janvier 2015 en promettant de mettre fin à l’austérité. De façon prévisible, il a rapidement capitulé aux diktats du capital et imposé un programme de privatisations et de coupes dans les services publics, les pensions et les salaires encore plus drastique que celui imposé par ses prédécesseurs de droite. Les travailleurs et les jeunes grecs endurent aujourd’hui une misère sociale sans égale en Europe depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.
Le point commun de ces nouveaux partis de la fausse gauche est leur hostilité à la lutte des classes, leur rejet de la classe ouvrière en tant que principale force du progrès social et la promotion de politiques identitaires – axées autour de la nationalité, la couleur de peau, le genre ou l'orientation sexuelle – afin de diviser les travailleurs et bloquer l'adoption d'une alternative socialiste au système capitaliste désuet. Ce n'est pas un hasard si Québec solidaire, loin de s'identifier aux intérêts des travailleurs, se définit comme un «parti des citoyens, écologiste, féministe et souverainiste».
Québec solidaire préconise un impérialisme des «droits de l’homme»
Québec solidaire et les nouveaux «partis de gauche» auxquels il est associé sont pro-impérialistes.
Syriza appuie l’adhésion de la Grèce à l’OTAN menée par les États-Unis, ainsi qu’à l’Union Européenne, l’instrument par lequel les sections les plus puissantes de la bourgeoisie européenne imposent leur austérité brutale depuis 2008 et arment à nouveau l’Europe. Le parti de La Gauche en Allemagne s’est joint aux autres partis politiques officiels pour exiger le réarmement et des interventions militaires étrangères de l’Allemagne afin qu’elle puisse agir de nouveau comme une «puissance mondiale».
Bien qu’il demande que le Québec se sépare du Canada, Québec solidaire se concentre presque exclusivement sur la politique provinciale. Il commente rarement – et critique encore moins – la politique étrangère impérialiste du Canada, y compris la participation du Canada à pratiquement toutes les guerres que les États-Unis ont menées au cours du dernier quart de siècle et l’augmentation massive des dépenses militaires canadiennes depuis le début du siècle.
Il ne s’agit pas simplement de provincialisme. Qui ne dit rien consent – l’appui de QS est ancré dans son orientation et sa perspective en tant que parti nationaliste et pro-capitaliste des classes moyennes aisées.
Le mouvement souverainiste québécois a depuis longtemps rangé sa posture pacifiste pour devenir un défenseur enthousiaste de l’intervention militaire canadienne au Moyen-Orient et en Asie centrale. Le Bloc Québécois (BQ), le parti frère du PQ au niveau fédéral, a salué la guerre néocoloniale qu’a menée pendant dix ans le Canada en Afghanistan comme étant une «cause noble». Lors de l’élection fédérale de 2015, le BQ s’est joint aux conservateurs de Stephen Harper pour dénoncer le Nouveau Parti Démocrate (NPD) qui proposait que la «mission de combat» canadienne soit démobilisée.
Dans les rares occasions où il aborde le rôle du Canada sur la scène internationale, QS fait écho au PQ et au BQ en célébrant le «modèle Pearson» dans la politique étrangère canadienne. Sous le premier ministre Lester B. Pearson dans les années 1960, le Canada occupait une place dirigeante dans les missions de maintien de la paix et se présentait comme une «puissance moyenne» et «un acteur honnête» dans les affaires mondiales, tout en jouant un rôle clé dans les alliances de guerre de l’OTAN et de NORAD contre l’Union soviétique (NORAD est le sigle anglais pour le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord).
Tout comme la pseudo-gauche ailleurs dans le monde, QS se spécialise dans la répétition et l’amplification de la rhétorique libérale impérialiste qu’utilisent le Canada, les États-Unis et d’autres puissances occidentales pour donner un prétexte «humanitaire» à leurs campagnes agressives visant à préserver leurs intérêts économiques et géostratégiques – y compris les guerres qui ont dévasté des sociétés entières comme l’Irak, la Libye et maintenant la Syrie.
Ceci peut être démontré en passant en revue les positions, peu fréquentes mais très parlantes, prises publiquement par Québec solidaire sur des questions clés de politique étrangère.
QS et les guerres de l’impérialisme américain et canadien
Début septembre 2006, quelques mois à peine après sa formation, QS participait à titre d'invité spécial à un congrès du NPD (le parti social-démocrate canadien). Dans une manœuvre démagogique visant à camoufler son soutien de longue date à l'invasion et l’occupation militaire canadienne de l’Afghanistan, la direction du NPD avait introduit une résolution réclamant le retrait des troupes canadiennes de l’Afghanistan. Sommés pour un vote consultatif, les dirigeants de QS présents ont refusé de voter en faveur de la motion, déclarant plutôt: «Si nos soldats peuvent aider à protéger les Afghans et aider à la reconstruction, soit».
Ceci représentait un appui sans équivoque à l’intervention des Forces armées canadiennes en Afghanistan. Cette intervention avait un but double: assurer un rôle à l’impérialisme canadien dans la région de l’Asie centrale riche en ressources énergétiques et renforcer le partenariat stratégique réactionnaire avec Washington, notamment en remplaçant des troupes américaines qui pouvaient ensuite être redéployées en Irak.
QS a ensuite tenté de couvrir ses traces en demandant que l’intervention de l’OTAN en Afghanistan cède la place à une «nouvelle initiative multilatérale» sous la supervision des Nations unies, une autre institution de l’impérialisme.
Quelques années plus tard, Québec solidaire s'associait aux efforts de Washington et de ses alliés pour se débarrasser du régime iranien de Mahmoud Ahmadinejad, jugé trop insoumis aux intérêts occidentaux. «Pour nous», affirmait son porte-parole en février 2010, en pleine opération de changement de régime qui dénonçait la réélection d’Ahmadinejad comme étant illégitime et présentait le mouvement d’opposition vert comme l’espoir de la démocratie, «il est clair que le mouvement d'opposition iranien est un mouvement populaire, indépendant».
En fait, l’appui pour les Verts provenait presque entièrement des sections privilégiées de la société iranienne, celles plus avides d’arriver à une entente avec l’impérialisme américain et de démanteler ce qui restait des concessions sociales envers les travailleurs et les pauvres instaurés avec la révolution de 1979. Employant sciemment un discours à la Reagan ou Thatcher, les dirigeants verts qualifiaient de «gaspillage» les dépenses sociales d’Ahmadinejad.
L’année suivante, QS appuyait la guerre de l’OTAN qui, avec l’aide de milices islamistes, allait renverser le régime du Colonel Kadhafi. L’intervention de l’OTAN visait le renforcement de la domination impérialiste de ce pays nord-africain riche en pétrole, et stratégiquement placé entre la Tunisie et l’Égypte, où des soulèvements populaires venaient tout juste de renverser deux dictateurs pro-américains.
Le député de QS, Amir Khadir, s'est démarqué au parlement du Québec comme un critique acerbe de Kadhafi. En février 2011, il présentait une motion en appui aux «civils qui réclament de véritables réformes et la fin de la dictature en Libye», présentant le parlement du Québec, élément à part entière de l’État impérialiste canadien, comme un défenseur du peuple libyen. Le mois suivant, quand l’OTAN, sous la direction d’un général canadien, lança sa guerre aérienne contre la Libye, Khadir s’empressa de donner l’appui de Québec solidaire à l’opération impérialiste de changement de régime, déclarant sans aucune honte que «le peuple libyen demande une intervention».
De façon similaire, QS a été complice dans l’opération de changement de régime que Washington, avec l’appui du Canada, a tenté d’imposer en Syrie, se servant encore de milices islamistes comme forces mercenaires. Depuis 2011, les États-Unis, avec l’appui de l’Arabie saoudite, d’autres États du Golfe et de la Turquie, ont tenté de renverser régime de Bashar Al-Assad appuyé par la Russie et l’Iran en livrant des armes et des milliards en aide financière à des groupes islamiques anti-Assad, y compris des groupes auparavant liés à Al Qaïda qui devaient ensuite former le groupe État islamique.
En 2011, QS appuyait la campagne impérialiste pour des sanctions internationales contre la Syrie, affirmant qu’elles représentaient un appui matériel à la «révolution» populaire contre Assad.
En octobre 2014, QS s’opposait formellement à la décision du gouvernement Harper d’envoyer des avions chasseurs se joindre aux forces américaines qui bombardaient l’Irak et la Syrie. Mais cette position n’avait rien avoir avec la mobilisation des travailleurs contre l’impérialisme, comme en attestent les louanges que QS adressait aux partis d’opposition sur la scène fédérale qui tentaient de faire «entendre raison» aux conservateurs.
En fait, l’opposition n’avait que des divergences tactiques avec Harper concernant le meilleur moyen de maintenir l’hégémonie américaine au Moyen-Orient et de positionner le Canada pour profiter d’une division impérialiste des régions les plus importantes du monde en production de pétrole. Les libéraux ont appuyé les conservateurs dans le déploiement de Forces spéciales canadiennes pour entraîner des milices kurdes alliées à l’Occident dans le nord de l’Irak (triplant leur nombre après leur arrivée au pouvoir en octobre 2015) tandis que le NPD voulait que le Canada appuie la guerre américaine en armant les Kurdes et en fournissant une aide humanitaire.
Quelques mois plus tard, en mars 2015, la chef parlementaire de QS, Françoise David, était interrogée sur la décision du gouvernement Harper de prolonger d’un an la mission de combat des Forces armées canadiennes au Moyen-Orient. David répondit en affirmant l’appui de principe de son parti à «toute action canadienne visant à procurer de l’aide aux sociétés qui veulent établir la démocratie». Elle critiqua le gouvernement pour un manque de transparence par rapport à ses buts, tout en soulevant l’inquiétude que son «aide» – la participation à une guerre de changement de régime menée par les États-Unis qui a tué des centaines de milliers et déplacé des millions – pourrait profiter à «l’actuel gouvernement de Bashar al-Assad».
Québec solidaire a également offert son appui tacite et parfois explicite aux offensives militaires-stratégiques contre la Russie, qui menacent de déclencher un conflit entre les plus grandes puissances nucléaires du monde.
L’impérialisme canadien, sous Harper et maintenant sous le gouvernement libéral de Trudeau, a joué un rôle dirigeant dans cette campagne. Le Canada est l’un des alliés les plus fidèles au gouvernement ukrainien anti-russe qui est arrivé au pouvoir en février 2014 après un putsch orchestré par les États-Unis avec des troupes de choc fascistes. Des militaires canadiens entraînent des troupes de l’armée ukrainienne et de sa garde nationale, et Ottawa a négocié des ententes de libre échange afin de marquer son appui politique au gouvernement de Kiev. Le Canada a également joué un rôle dirigeant dans les déploiements menaçants de l’OTAN sur les frontières de la Russie, y compris en prenant la tête de l’un des quatre bataillons avancés de l’OTAN dans les États baltes et la Pologne.
On chercherait en vain une quelconque condamnation, voire une mention, du rôle agressif et provocateur que le Canada adopte face à la Russie sur le site web de Québec solidaire, ou dans les discours de ses dirigeants. Par contre, QS n’a pas attendu longtemps pour dénoncer le référendum qui a mené une majorité russophone de la Crimée à sortir de l’Ukraine et adhérer à la Russie, offrant ainsi un soutien de «gauche» à la campagne impérialiste pour qualifier la Russie d’«agresseur».
Ignorant le coup d’État qui avait renversé le président élu de l’Ukraine et la longue liste de provocations de la part de Washington qui l’avait précédé, y compris l’expansion de l’OTAN des centaines de kilomètres vers l’Est jusqu’aux frontières de la Russie, la porte-parole de QS Françoise David a condamné «l’intervention militaire de la Russie en Crimée», qu’elle a qualifié de «coup».
En ce qui concerne l’appui du Canada pour l’offensive militaire et stratégique de Washington contre la Chine, QS n’en souffle pas mot. Il s’est opposé au partenariat trans-pacifique (PTP) que l’administration Obama a désigné de «bras économique» de son «pivot vers l’Asie» dirigé contre la Chine. Mais cette opposition de QS est basée sur le point de vue que le PTP porte atteinte à la «souveraineté nationale» et aux sections plus faibles de la bourgeoisie québécoise, et non pas qu’il fait partie d’une offensive militaire et stratégique qui menace d’entraîner une guerre mondiale.
Le deuxième partie de cet article portera sur les efforts de QS pour redonner vie au nationalisme indépendantiste québécois, largement discrédité parmi les travailleurs à cause des politiques d’austérité des gouvernements péquistes successifs, et pour aider la bureaucratie syndicale à isoler et étouffer les luttes de la classe ouvrière.
Mais un élément doit être ajouté quant au caractère pro-impérialiste de Québec solidaire. Lors de la campagne électorale fédérale de 2015, QS a pleinement participé à la campagne «n’importe qui sauf Harper» menée par les syndicats, qui a largement contribué au retour au pouvoir des libéraux, longtemps le parti de gouvernement préféré de la classe dirigeante canadienne.
Durant les 14 derniers mois, QS a gardé le silence pendant que Justin Trudeau et ses libéraux redoublaient d’efforts pour ramener le militarisme canadien au premier plan. Ces efforts comprenaient l’expansion de la contribution canadienne aux guerres américaines dans le Moyen-Orient et le rôle dirigeant du Canada dans la mobilisation militaire de l’OTAN aux frontières de la Russie. De plus, le gouvernement Trudeau a annoncé son intention de déployer des troupes en Afrique, où les intérêts miniers des entreprises canadiennes représentent près de 30 milliards de dollars en investissements. Il a également ordonné une revue de la politique de défense qui vise à établir le cadre politique pour une posture militaire plus agressive, y compris une hausse majeure du budget de l’armée et la participation du Canada au bouclier américain contre les missiles balistiques.
À suivre