Le ministre de la Défense canadien, Harjit Sajjan, a présenté le 7 juin une nouvelle politique de défense qui appelle à des dépenses militaires additionnelles de 62 milliards de dollars au cours des deux prochaines décennies. Cette annonce a été faite le jour suivant la déclaration de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui déclarait que le Canada doit user de «force dure». Le programme de réarmement massif indique clairement que le gouvernement libéral est déterminé à faire la guerre dans la poursuite des intérêts et des ambitions de l'impérialisme canadien à travers le monde.
La nouvelle politique de défense exige le recrutement de 5000 soldats, l'achat de 88 avions de chasse, plutôt que les 65 proposés par le gouvernement précédent, de 15 nouveaux navires de guerre, de drones armés pour la surveillance et le combat, et des milliards en véhicules blindés et de transport pour l'armée. Sous cette politique, les forces armées canadiennes se doteront d'une équipe d'experts en cybersécurité afin de mener des opérations de «perturbation».
En préparation depuis plus d'un an, la politique de défense du gouvernement libéral inclut une hausse de 73% des dépenses militaires durant la prochaine décennie. En dollars, le budget de la défense passera de son niveau actuel de 18,9 milliards à 32,7 milliards en 2026-27. La plupart des nouvelles sommes sont prévues pour 2021, mais bien avant cela, des milliards seront dépensés pour augmenter les capacités militaires du Canada. Les hausses, selon les estimations du gouvernement, augmenteront la part du budget de la défense à 1,4% du PIB, toujours en deçà de la cible de l'OTAN de 2%.
Il ne peut y avoir de doute quant aux intentions belliqueuses qui se cachent derrière ces hausses. Le 6 juin, Freeland a réaffirmé l'engagement du Canada à l'égard de son partenariat stratégique avec l'impérialisme américain et a fait la liste de ses adversaires potentiels, incluant la Corée du Nord, la Syrie et la Russie. Elle a assuré qu'Ottawa était déterminé à remplir ses obligations envers l'OTAN, incluant l'engagement de se conformer à l'Article 5, qui appelle les membres de l'OTAN à venir en aide à un partenaire de l'alliance advenant qu'il soit attaqué.
Freeland a évoqué le rôle du Canada pendant les deux guerres impérialistes de la première moitié du 20e siècle et a rendu hommage à l'impérialisme américain pour avoir engagé le «sang et l'argent» nécessaires à la stabilisation de «l'ordre» mondial de l'ère de l'après-guerre. Elle a aussi promis que le Canada luttera pour maintenir les alliances multilatérales et les institutions comme l'OTAN, à travers lesquelles le Canada a exercé son influence pendant des décennies. (Voir : «La guerre doit faire partie de l'avenir du Canada, déclare la ministre des Affaires étrangères»)
Sajjan a tenu un discours similaire, indiquant clairement que si le Canada voulait mettre de l'avant ses intérêts impérialistes sur la scène mondiale, cela nécessitait une force militaire capable d'intervenir et de mener la guerre à travers le monde. «Si nous sommes sérieux à propos de notre rôle dans le monde, nous devons être sérieux à propos du financement de notre armée», a-t-il déclaré.
Depuis son ascension au pouvoir en 2015, le gouvernement libéral a régulièrement critiqué ses prédécesseurs conservateurs pour avoir sous-financé l'armée. Le premier ministre Stephen Harper, dont la rhétorique belliqueuse représentait le Canada comme une «nation guerrière» et qui a supervisé la participation canadienne dans les conflits afghans, libyens, syriens et irakiens, s'est montré incapable d'étendre les ressources à la disposition de l'armée à cause d'une profonde opposition populaire. Comme il fut contraint de l'avouer, lorsqu'il engagea formellement le Canada dans l'atteinte du 2% du PIB en dépenses militaires pendant un sommet de l'OTAN, son gouvernement aurait de la difficulté à atteindre cet objectif puisque les Canadiens n'en «comprendraient pas» la nécessité.
L'échec des conservateurs à mener à bien leur rhétorique agressive fut un facteur important dans le ralliement d'une section décisive de l'élite dirigeante derrière Justin Trudeau et ses libéraux lors des élections fédérales de 2015. Leur espoir était qu'un gouvernement libéral, faussement qualifié de «progressiste» par les syndicats et la pseudo-gauche, aurait la légitimité populaire nécessaire afin de mener à terme les hausses dans les dépenses militaires en les dissimulant derrière de beaux discours sur les valeurs démocratiques et les droits de l'homme.
Les libéraux n'ont pas seulement promis formellement d'accomplir leur plan de réarmement «pleinement estimé». Ils ont étendu et prolongé les interventions militaires canadiennes à travers le monde. En Europe de l'Est, où le Canada joue un rôle de premier plan dans l'encerclement de la Russie par les forces de l'OTAN dirigées par les États-Unis, le Canada est à la tête de l'un des bataillons «avancés» et a aussi 200 soldats en Ukraine qui forment l'armée du pays et la Garde nationale pour combattre les séparatistes prorusses. Au Moyen-Orient, les libéraux ont étendu la participation du Canada dans la guerre américaine en Irak et en Syrie, entre autres en triplant le nombre du personnel des Forces spéciales sur le terrain. En avril, Sajjan a affirmé que le Canada était prêt à rejoindre les États-Unis dans un conflit imprudent en Corée du Nord, qui risquerait d'entrainer la Chine et les autres grandes puissances dans une confrontation armée catastrophique.
Sous la nouvelle politique de défense libérale, les Forces spéciales canadiennes seront augmentées de 25% pour atteindre 2500 soldats. Cette augmentation est significative puisque les Forces spéciales ont à plusieurs reprises mené les opérations militaires canadiennes d'outremer. Le personnel des Forces spéciales déployé en Irak depuis 2014 a parfois participé aux combats sur le front aux côtés des Peshmerga kurdes et a été actif à Mossoul, où l'assaut brutal des troupes irakiennes pour anéantir l'État islamique a fait des milliers de victimes civiles.
L'approvisionnement en drones armés pointe également vers une escalade majeure de la violence militaire canadienne. Quand cette question fut d'abord posée lors de la revue de la politique de défense du gouvernement, cela a causé quelques commentaires des médias, principalement provoqués par la crainte d'une réaction négative du public face à une utilisation similaire à celle de la politique américaine, initiée sous Obama, laquelle approuvait des assassinats extrajudiciaires. Toutefois, l'annonce que les Forces armées canadiennes allaient manoeuvrer de telles machines à tuer fut généralement tue par la couverture médiatique, et personne au sein de l'establishment politique n'a soulevé la moindre objection.
Un autre élément-clé de la nouvelle politique de défense du Canada est d'approfondir et d'étendre la coopération avec les États-Unis. Depuis trois quarts de siècle, le Canada a été un proche allié stratégique des États-Unis sur le plan militaire, mais les libéraux, comme Trudeau l'a promis lors des dernières élections, entendent développer cette alliance. Plus de fonds seront affectés à la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (North American Aerospace Defense Command, ou NORAD), une alliance héritée de la guerre froide désormais centrale dans les plans de guerre contre la Russie. Spécifiquement, cela implique le renforcement de la Northern Defence, qui a la responsabilité de la région arctique .
Malgré que la déclaration résumant la nouvelle politique du gouvernement, «Protection, Sécurité, Engagement», n'engage pas formellement le Canada à rejoindre le système de défense balistique américain, la promesse de travailler avec les États-Unis afin de moderniser le NORAD rend cette éventualité possible dans un avenir rapproché.
La réaction internationale à l'égard de la nouvelle politique de défense canadienne fut massivement positive. Le secrétaire américain à la Défense, James Mattis, a affirmé dans un communiqué : «Les États-Unis accueillent la hausse marquée des investissements du Canada dans son armée ainsi que son engagement constant envers le partenariat de défense avec les États-Unis et l'OTAN.»
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a encensé l'engagement d'Ottawa à l'égard de l'OTAN: «Cette nouvelle politique affirme l'engagement inébranlable du Canada envers l'OTAN et assurera que le Canada possède les forces armées et les capacités essentielles dont l'alliance a besoin.»
Notant de manière inquiétante qu'il était impossible de dire dans quelles opérations l'OTAN serait engagée dans cinq ou dix ans, Stoltenberg a ajouté le 9 juin que l'alliance s'attendait à «plus de présence canadienne en Europe». Il a suggéré que le Canada pourrait être impliqué dans le renforcement de la présence maritime de l'OTAN dans la mer Noire et l'Atlantique, et que ses avions pourraient participer aux opérations de surveillance aérienne visant la Russie.
Il n'y a pas d'opposition au sein de l'establishment politique au plan de réarmement agressif des libéraux. La réponse des médias fut en très grande majorité favorable. Le National Post, néoconservateur, s'est exclamé avec enthousiasme que cette politique de défense aurait pu, et du, être réalisée par un gouvernement conservateur.
Pour le Globe and Mail, le porte-parole de l'élite financière canadienne, une hausse de 73% des dépenses militaires au cours de la prochaine décennie est la bienvenue, mais elle doit être considérée comme un paiement initial sur les armes que le Canada aura besoin pour faire valoir ses intérêts impérialistes à travers le globe: «Le nouveau plan de défense du Canada permet à peine au Canada de rester dans la partie, comme l'une des puissances moyennes de l'OTAN», a-t-il averti.
Le porte-parole conservateur en matière de défense, James Bezin, a concentré ses reproches sur son affirmation voulant qu'on ne pouvait faire confiance aux libéraux pour mener à terme les augmentations annoncées.
Le Nouveau Parti démocratique, le parti social-démocrate du Canada, a également accueilli favorablement l'augmentation des dépenses militaires. Son porte-parole en matière de défense, Randall Garrison, a exhorté que les augmentations dans les dépenses militaires correspondent à une augmentation dans l'aide internationale. En d'autres mots, le NPD, qui a soutenu toutes les guerres agressives et les interventions militaires auxquelles le Canada a participé depuis deux décennies, des Balkans à l'Afghanistan, Haïti et la Libye, veut s'assurer qu'une couverture «humanitaire» suffisante soit en place afin de vendre de futures atrocités impérialistes à une population qui est fortement sceptique.
(Article paru en anglais le 10 juin 2017)