L’héritage que nous défendons a été publié il y a trente ans, en 1988, à la suite de la désertion du Workers Revolutionary Party (WRP) de Grande-Bretagne du Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI). Comme le Comité International l’a démontré par la suite dans de nombreux documents, le reniement du WRP était le résultat de son abandon, sur une période de plus d'une décennie, des principes trotskystes pour la défense desquels il avait, par le passé, joué un rôle crucial [1]. Le WRP, fondé en 1973, était le successeur du mouvement trotskyste britannique qui, en 1953, avait formé le Comité International en alliance avec le Socialist Workers Party (SWP) aux États-Unis et le Parti communiste internationaliste en France (PCI). Gerry Healy (1913-1989), le dirigeant du WRP, avait signé l'historique « Lettre ouverte au mouvement trotskyste mondial », écrite par James P. Cannon (1890-1974), qui avait dénoncé les révisions du programme de la Quatrième Internationale par Pablo et Mandel. La « Lettre ouverte », publiée en novembre 1953, articule les principes fondateurs du CIQI :
1. L'agonie du système capitaliste menace la civilisation de destruction par des crises de plus en plus graves, des guerres mondiales et des manifestations de barbarie comme le fascisme. Le développement des armes atomiques souligne aujourd'hui ce danger de la façon la plus sérieuse.
2. La chute dans l'abîme ne peut être évitée qu'en remplaçant le capitalisme par l'économie socialiste planifiée à l'échelle mondiale et en entrant ainsi dans la voie du progrès dans laquelle était engagé le capitalisme à ses débuts.
3. Cette tâche ne peut être accomplie que sous la direction de la classe ouvrière, seule classe réellement révolutionnaire de la société. Mais la classe ouvrière elle-même fait face à une crise de direction, bien que le rapport des forces sociales dans le monde n'ait jamais été aussi propice à la marche des travailleurs vers le pouvoir.
4. Pour s'organiser afin d'accomplir cette tâche historique, la classe ouvrière de chaque pays doit construire un parti révolutionnaire sur le modèle qu'a développé Lénine: un parti de combat apte à combiner dialectiquement la démocratie et le centralisme, la démocratie dans l'élaboration des décisions, le centralisme dans leur exécution; une direction contrôlée par la base, une base apte à marcher au feu avec discipline.
5. Le principal obstacle dans cette voie est constitué par le stalinisme qui, exploitant le prestige de la révolution d'octobre 1917 en Russie, n'attire les travailleurs à lui que pour les rejeter ensuite, une fois qu'il a trahi leur confiance, dans les rangs de la social-démocratie, dans l'apathie ou dans les illusions à l'égard du capitalisme. Le prix de ces trahisons, ce sont les travailleurs qui le paient, sous la forme de l'affermissement de forces monarchistes ou fascistes, et l'explosion de nouvelles guerres fomentées par le capitalisme. Dès le début, la Quatrième Internationale a défini comme l'une de ses tâches principales le renversement révolutionnaire du stalinisme, à l'intérieur et à l'extérieur de l'URSS.
6. La nécessité, pour beaucoup de sections de la Quatrième Internationale, et de partis ou de groupes qui sympathisent avec son programme, d'adopter une tactique souple, rend d'autant plus indispensable pour eux de savoir comment combattre l'impérialisme et ses agences petites-bourgeoises (comme les formations nationalistes ou les bureaucraties syndicales) sans capituler devant le stalinisme; et inversement, comment combattre le stalinisme (qui est en dernière analyse une agence petite-bourgeoise de l'impérialisme) sans capituler devant l'impérialisme. [2]
La « Lettre ouverte » résume de façon concise les conceptions stratégiques du trotskysme qu'avaient désavouées Pablo et Mandel. Le pablisme a remplacé la caractérisation par le mouvement trotskyste du stalinisme comme contre-révolutionnaire par une théorie qui attribue à la bureaucratie du Kremlin et à ses agences un rôle historiquement progressiste et révolutionnaire. Plutôt que de travailler pour le renversement des régimes staliniens dans une série de révolutions politiques, les pablistes prévoyaient un processus d'auto-réforme bureaucratique, dans lequel les trotskystes agiraient en tant que conseillers des dirigeants staliniens, les exhortant à adopter un cours plus à gauche. Les « Etats ouvriers déformés » d'Europe orientale, gouvernées par les agents staliniens locaux du régime du Kremlin, étaient destinés, selon Pablo et Mandel, à durer pendant des siècles.
Aussi incroyable que cela puisse paraître à la lumière de tout ce qui s'est passé ces trente dernières années, cette attitude apologétique envers le stalinisme est restée la perspective des organisations pablistes jusqu'à l'effondrement des régimes bureaucratiques d'Europe de l'Est et la dissolution de l'Union soviétique entre 1989 et 1991. La défense par le Comité international du patrimoine programmatique de la Quatrième Internationale – surtout son insistance sur le rôle contre-révolutionnaire du stalinisme – a été qualifiée de «sectarisme» par ses opposants pablistes. Et pourtant, un peu plus d'un an après la publication de L’héritage que nous défendons, l'analyse historique, les conceptions théoriques et le programme défendu dans ce livre devaient être confirmés par les événements politiques qui ont éclaté en Europe orientale et en URSS même.
La capitulation des pablistes au stalinisme n’était qu'un aspect de leur abandon de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Ils rejetèrent aussi la lutte pour diffuser la conscience marxiste dans la classe ouvrière et établir l'indépendance politique de la classe ouvrière par rapport à toutes les agences bourgeoises et petite-bourgeoises nationales de l'impérialisme.
Malgré le rôle central joué par les trotskystes britanniques dans la défense de la Quatrième Internationale dans les années 1950 et 1960, surtout leur opposition à la rupture du SWP américain d’avec le Comité International et leur réunification avec les pablistes en 1963, leur propre dérive vers le révisionnisme est devenue de plus en plus évidente dans les années 1970, surtout après la fondation du Workers Revolutionary Party (WRP) en novembre 1973. Au début des années 1960, les trotskystes britanniques de la Socialist Labour League (le prédécesseur du WRP) avaient soumis la glorification du nationalisme radical de Fidel Castro par le SWP à une critique cinglante, rejetant l'affirmation selon laquelle l'armée de guérilla du dirigeant petit-bourgeois cubain avait prouvé que le chemin vers le socialisme ne nécessitait pas la construction d'un parti trotskyste, basé sur et ayant ses racines dans la classe ouvrière.
Mais, au milieu des années 1970, le WRP a commencé à exagérer le programme anti-impérialiste de divers mouvements nationaux du Moyen-Orient tels que l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et le régime nationaliste libyen radical de Mouammar Kadhafi d’une manière qui ressemblait beaucoup à celle de la politique anti-trotskyste des pablistes. Le tournant vers le pablisme du WRP n’était pas seulement le produit d'erreurs personnelles de ses dirigeants individuels. Alors que le mouvement ouvrier était encore dominé à travers le monde par les partis staliniens et sociaux-démocrates et les syndicats, les organisations trotskystes étaient vulnérables à la pression sociale et idéologique exercée par la radicalisation de masse de larges sections de la petite bourgeoisie, en particulier les étudiants, au cours des années 1960 et au début des années 1970.
Le défi représenté par l’intégration de recrues issues de la petite bourgeoisie dans le mouvement trotskyste rendait nécessaire non seulement une orientation politique et pratique ferme vers la classe ouvrière basée sur une lutte acharnée contre les bureaucraties staliniennes et social-démocrates. Elle exigeait aussi un combat persistant contre les formes nombreuses de pseudo-marxisme promues par les pablistes, en particulier « L’école de Francfort » (c’est-à-dire, Horkheimer, Adorno, Benjamin, Bloch, Reich et Marcuse), « Le marxisme occidental » (tel que celui de Gramsci) et, bien sûr, les innombrables formes de nationalisme radical (le castrime, le guévarisme, les écrits de Fanon et les discours de Malcolm X), pour ne citer que les formes les plus largement célébrées du radicalisme petit-bourgeois. A cette longue liste, nous pouvons ajouter l'influence du maoïsme, une variante vicieusement réactionnaire du stalinisme, adoptée par d'innombrables intellectuels petit-bourgeois, et qui a conduit les ouvriers et les jeunes, partout dans le monde, dans une longue suite de défaites sanglantes.
Les politiques opportunistes du WRP ont rencontré une opposition au sein du Comité International. Entre 1982 et 1984, la Workers League, l'organisation trotskyste américaine, a développé une critique exhaustive des politiques néo-pablistes du WRP. Les principaux dirigeants du WRP, Healy, Michael Banda (1930-2014) et Cliff Slaughter (1928-), ont bloqué les efforts entrepris par la Workers League pour organiser une discussion de ses critiques au sein du Comité International. [3] Ces manœuvres sans scrupule ont provoqué l'éruption d'une crise politique au sein du WRP à l'automne 1985. Toujours déterminés à éviter une discussion sur les questions théoriques et politiques qui sous-tendaient la désintégration du WRP, Slaughter et Banda ont tenté de blâmer le Comité International pour le cours opportuniste que la section britannique avait poursuivi au cours de la décennie précédente.
En février 1986, le WRP a publié un document annonçant sa rupture avec le trotskysme. Écrit par Michael Banda, il était intitulé Vingt-sept raisons d'enterrer le Comité International sur-le-champ et de construire la Quatrième Internationale. Le WRP a publié ce document à grand bruit, prédisant qu'il prendrait sa place parmi les classiques du marxisme. En réalité, le document de Banda était un amalgame de distorsions, de mensonges éhontés et de demi-vérités, visant à discréditer non seulement le Comité International, mais toute l'histoire de la Quatrième Internationale. Le titre même de l'essai de Banda révèle sa malhonnêteté politique. Si seulement une fraction de ses « 27 raisons » était soutenable, il serait impossible de justifier l'existence de la Quatrième Internationale. Tirant les conclusions qui découlaient de ses propres arguments, Banda, moins d'un an après avoir achevé ce document, publiait une vile dénonciation de Trotsky et déclarait son admiration sans borne pour Staline. L'évolution politique de Banda anticipait la répudiation du trotskysme par tous ceux dans la direction et parmi les membres du WRP qui avaient approuvés son document. Beaucoup d'entre eux ont rejoint le mouvement stalinien. D'autres passèrent dans le camp de l’impérialisme et ont participé activement à la guerre de l'OTAN contre la Serbie. Le groupe le plus important, encouragé par Cliff Slaughter, a répudié l'héritage tout entier de la conception Lénine-Trotsky du parti révolutionnaire et a abandonné la lutte pour le socialisme; ses membres se sont concentrés sur la tâche de rendre leur vie personnelle aussi confortable que possible.
Dès qu'il a reçu le document de Banda, le Comité International a compris la nécessité d'une réponse détaillée. On me confia la charge de cette mission. Dans les deux mois, des fascicules hebdomadaires de L'héritage que nous défendons ont commencé à sortir dans les journaux publiés par les sections du Comité international. Je n'avais pas prévu que la réponse à Banda nécessiterait un livre de plus de 500 pages. Cependant, en étudiant ce document, je me suis rendu compte que Banda cherchait à tirer profit du fait que l'histoire de la Quatrième Internationale, en particulier celle des années critiques entre l'assassinat de Trotsky en 1940 et la scission de 1953 avec les pablistes, n'avait jamais été étudiée de manière adéquate et était largement inconnue des cadres en activité du mouvement trotskyste. Il ne suffisait pas de dénoncer le reniement de Banda. Il fallait passer en revue l'histoire de la Quatrième Internationale et, sur cette base, éduquer ses cadres.
Trois décennies après sa publication, je pense que L’héritage a résisté à l'épreuve du temps. Tout en conservant une valeur contemporaine appréciable en tant qu’introduction à l'histoire de la Quatrième Internationale, L’Héritage examine aussi des problèmes relatifs à la théorie marxiste, au programme et à la stratégie qui sont très pertinents pour la lutte actuelle pour construire le parti mondial de la révolution socialiste.
L’héritage que nous défendons reste le seul compte rendu de l'histoire de la Quatrième Internationale qui emploie la méthode du matérialisme historique pour expliquer l'émergence de tendances politiques et la lutte entre elles. Rejetant l'approche subjective (dont la diatribe de Banda donnait l’exemple) qui procède à partir des caractéristiques de dirigeants individuels, bons ou mauvais, et de leurs motifs, nobles ou ignobles, L’héritage cherche à identifier les processus sociaux et politiques objectifs découlant des contradictions du capitalisme mondial et du développement mondial et national de la lutte des classes pendant et à la suite de la Seconde Guerre mondiale impérialiste, qui ont provoqué les conflits au sein de la Quatrième Internationale. Cette histoire accorde une importance primordiale non pas aux intentions conçues subjectivement des principaux acteurs politiques, Cannon, Pablo, Mandel et Healy, mais plutôt aux forces motrices objectives réelles de la lutte des classes, qui, pour reprendre les mots d'Engels, «se reflètent ici dans l'esprit des masses en action et de leurs chefs – ceux que l'on appelle les grands hommes – sous forme de mobiles conscients... » [4]
L’héritage analyse, dans le contexte des conditions complexes et très fluctuantes de la Guerre mondiale et de ses suites, les conflits au sein de la Quatrième Internationale qui présageaient la lutte qui s’est développée à la suite du troisième Congrès mondial de 1951 et ont culminé avec la scission historique de novembre 1953. Le livre attire l'attention sur les tendances révisionnistes apparues dans les années 1940, qui reflétaient le déplacement vers la droite de larges sections de l'intelligentsia radicale petite-bourgeoise.
Les conflits qui se sont développés dans les années 1940 sont à comprendre comme la continuation de la lutte de factions de 1939-40 au sein du Socialist Workers Party. La lutte menée par Trotsky au cours de la dernière année de sa vie contre « l'opposition petite-bourgeoise » de James Burnham (1905-1987), Max Shachtman (1904-1972) et Martin Abern (1898-1949) était d'un caractère si intense qu'elle a généralement été traitée comme un épisode distinct et autonome de l'histoire de la Quatrième Internationale. Elle a commencé en septembre 1939 avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et s'est poursuivie jusqu'en avril 1940. La minorité s'est séparée du SWP et a formé le Workers Party. Un mois plus tard, James Burnham, qui avait été le principal théoricien de la minorité, démissionna du Workers Party et annonça sa répudiation du marxisme et du socialisme.
L’apport de Trotsky à la lutte au sein du Socialist Workers Party compte parmi ses plus grands écrits. Bien qu'enfermé entre les murs d'une villa assiégée à Coyoacán, constamment menacé par les assassins du GPU, sa vision politique était intacte. Le «Vieux» a vu plus loin dans le futur que tous ses contemporains.
La question politique centrale qui dominait la lutte des factions concernait la « question russe », c'est-à-dire la nature de classe de l'Union soviétique. Shachtman soutenait que l'Union soviétique, à la suite du pacte de non-agression de Staline avec Hitler à la fin d'août 1939, suivie par l'invasion commune de la Pologne par les nazis et les staliniens, ne pouvait plus être définie comme un État ouvrier. La bureaucratie soviétique, affirmait-il, avait évolué pour devenir une classe dirigeante au sommet d'une nouvelle forme de société d'exploitation.
Trotsky s'opposa à la redéfinition de l'Union Soviétique par Shachtman sur la base de son alliance réactionnaire avec l'Allemagne nazie. La signature du pacte de non-agression était certainement un acte de trahison indicible. Mais, insistait Trotsky, « La nature sociale de l’U.R.S.S. n’est pas déterminée par son amitié avec la démocratie ou avec le fascisme. » [5] Il attirait l'attention sur la question sous-jacente de la perspective historique impliquée dans la lutte pour une définition correcte de l'Union Soviétique :
La question de l’U.R.S.S. ne peut être traitée comme un cas unique, isolé du processus historique global de notre époque. Ou bien l’État stalinien est une formation transitoire, la déformation de l’État ouvrier d’un pays arriéré et isolé, ou bien le « collectivisme bureaucratique » … est une formation sociale nouvelle qui est en train de remplacer le capitalisme partout dans le monde (stalinisme, fascisme, New Deal, etc.). Les essais terminologiques (État ouvrier, État non-ouvrier; classe, pas classe; etc.) ne trouvent un sens que dans cette perspective historique. Quiconque choisit le second terme de l’alternative admet, ouvertement ou tacitement que tout le potentiel révolutionnaire du prolétariat mondial est épuisé, que le mouvement socialiste a fait faillite et que le vieux capitalisme est en train de se transformer en « collectivisme bureaucratique » avec une nouvelle classe exploiteuse.
L’énorme importance d’une telle conclusion s’explique d’elle-même. Elle concerne le destin tout entier du prolétariat mondial et de l’humanité. [6]
Trotsky reconnaissait que la classe ouvrière des pays impérialistes avancés n'avait pas encore réussi à construire un parti révolutionnaire à la hauteur des tâches d'une époque de crise capitaliste sans précédent. Mais l'exemple du bolchévisme et de la Révolution d'Octobre a démontré que la création d'un tel parti était possible. Par conséquent, la grande question historique, soutenait Trotsky, « se présente comme suit » :
La nécessité historique objective ouvre-t-elle en fin de compte la voie à la constitution d’une avant-garde de la classe ouvrière, c’est-à-dire une véritable direction révolutionnaire capable de mener le prolétariat à la conquête du pouvoir se constituera-t-elle dans le processus de cette guerre et des ébranlements profonds qui doivent s’en suivre ?
La Quatrième Internationale a répondu de façon affirmative à cette question, non seulement par le texte de son programme, mais aussi par le fait même de son existence. Toutes les variétés de représentants désenchantés et apeurés du pseudo-marxisme partent à l’opposé du point de vue que la banqueroute de la direction ne fait que refléter l'incapacité du prolétariat à remplir sa mission révolutionnaire. Tous nos adversaires n'expriment pas clairement cette idée, mais tous, ultra-gauches, centristes, anarchistes, sans parler même des staliniens et des sociaux-démocrates – se déchargent de la responsabilité de la défaite sur le dos du prolétariat. Aucun d'eux n'indique dans quelles conditions précisément le prolétariat s'avérera capable de réaliser la révolution socialiste.
Si l’on admet que les qualités socialistes du prolétariat lui-même constituent la cause des défaites, il faut alors considérer comme sans espoir la situation de la société contemporaine. [7]
Trotsky a identifié le pessimisme historique et politique qui a motivé Shachtman et Burnham. La caractérisation par Trotsky de la faction Shachtman-Burnham comme «petite-bourgeoise» n'était pas une simple épithète. La minorité donnait une expression politique aux vues d'une large partie de l'intelligentsia de la classe moyenne, politiquement démoralisée par les défaites des années 1930 et moralement ravagée par le scepticisme. Ironiquement, à la veille de l'éclatement de la lutte des factions au sein du SWP, Burnham et Shachtman avaient co-écrit un essai, publié dans le numéro de janvier 1939 de The New International, qui dressait un portrait cinglant des « Intellectuels en retraite » :
Chaque période de réaction qui suit une défaite révolutionnaire produit une variété de doctrines « nouvelles » et « élégantes » superficielles et transitoires, qui se détournent du marxisme parce qu’il serait « dépassé ». Il serait instructif de comparer l'histoire des « luttes de factions » après la défaite de la révolution russe de 1905 avec leurs analogues de la dernière décennie ou plus. Ce sont les états d’âmes réactionnaires actuels traduisant la dépression, le découragement, la perte de confiance dans les pouvoirs de récupération du prolétariat et de son mouvement révolutionnaire, qui sont rationalisés dans les attaques généralisées contre le marxisme révolutionnaire. Les intellectuels radicaux, par la nature même de leur position sociale, sont généralement les premiers à céder à ces humeurs, à capituler devant elles, au lieu de leur résister délibérément. À un tout autre degré, bien sûr, ils sont tout autant les victimes de notre longue période de réaction que la dégénérescence stalinienne de la révolution russe et la montée temporaire du fascisme sont ses produits.
La principale maladie intellectuelle dont souffrent ces intellectuels peut être appelée stalinophobie, ou anti-stalinisme vulgaire. La maladie était induite par la répulsion universelle contre le système macabre de machinations et de purges de Staline. Et le résultat a été que la plupart des écrits publiés sur le sujet ont été moins le produit d’une froide analyse sociale que le résultat d’un choc mental, et là où on trouve une analyse, elle est morale plutôt que scientifique ou politique. [8]
Il est raisonnable de supposer que Burnham et Shachtman ont décrit avec autant de précision la « maladie intellectuelle » à laquelle l'intelligentsia succombait parce qu'ils en éprouvaient déjà les symptômes. Avant la fin de l'année, la maladie dont ils souffraient avait atteint son stade terminal.
L'une des caractéristiques frappantes de la variante anti-trotskyste de révisionnisme qui émergea dans la lutte de 1939-1940 fut sa répudiation de la totalité des fondements philosophiques, de la base de classe, du programme politique et de la perspective historique du marxisme. Il ne se dirigeait pas vers une modification réformiste de la lutte révolutionnaire pour le socialisme, mais vers le rejet du but lui-même. En développant sa critique du « trotskysme orthodoxe », il a été amené à la conclusion qu'il n'y avait aucun élément du marxisme avec lequel il était d'accord.
Bien sûr, différents individus de la minorité sont arrivés à cette conclusion à des moments différents. Mais la trajectoire essentielle de droite de l'opposition Burnham-Shachtman a été clairement énoncée dans la lettre de démission de Burnham du Workers Party, datée du 21 mai 1940. Ce document a généralement été considéré comme rien de plus qu'un embarras pour Shachtman, abandonné soudain et sans cérémonie par son allié politique le plus proche. Mais dans un contexte historique et politique plus large, la lettre de Burnham définissait et anticipait non seulement l'évolution politique de Max Shachtman après sa rupture avec la Quatrième Internationale, mais aussi celle de toutes les autres tendances oppositionnelles qui devaient émerger de la Quatrième Internationale. et du Socialist Workers Party au cours des années 1940. Burnham déclarait :
De toutes les principales croyances qui ont été associées au mouvement marxiste, dans ses variantes réformiste, léniniste, stalinienne ou trotskyste, il n’en est quasiment plus une seule que j’accepte sous sa forme traditionnelle. Je considère ces croyances soit comme fausses, soit comme dépassées soit comme dépourvues de sens ou, dans un nombre réduit de cas, comme vraies au mieux sous une forme si limitée et modifiée qu’on ne peut plus les appeler à proprement parler marxistes. ...
Je ne crois pas seulement qu’il ne signifie rien de dire que le « socialisme est inévitable » et faux de dire que le « socialisme est la seule alternative au capitalisme »: je considère que, sur la base des faits dont nous disposons aujourd’hui, une nouvelle forme de société d’exploitation (que j’appelle « société directoriale ») n’est pas seulement une alternative possible au capitalisme mais bien une issue plus probable à la période actuelle que le socialisme. ...
Je suis, carrément et entièrement en désaccord, comme Cannon l’a compris depuis longtemps, avec la conception léniniste du parti — pas seulement avec les modifications que Staline ou Cannon ont apporté à cette conception, mais avec celle qu’en avaient Lénine et Trotsky ...
À la lumière de telles croyances et d’autres similaires, il va sans dire que je me dois de rejeter une partie considérable des documents programmatiques de la Quatrième Internationale (documents qu’accepte le Workers Party). Le « programme de transition » me semble — comme il m’était déjà assez nettement apparu lors de sa publication — plus ou moins un non-sens flagrant et un exemple décisif de l’incapacité du marxisme même lorsqu’il est manié par son plus brillant représentant intellectuel, de dominer l’histoire contemporaine. [9]
Burnham, finalement, a reconnu que ses positions politiques n'étaient pas sans rapport avec le genre de démoralisation personnelle que lui et Shachtman avait décrit dans « Intellectuels en retraite » :
Je serais le dernier à prétendre qu’un homme quel qu’il soit puisse être assez prétentieux pour imaginer qu’il connaît clairement les motifs et les sources de ses actions. Toute cette lettre est peut-être une façon hyper-élaborée de dire cette simple phrase: « J’ai la sensation d’abandonner la politique ». Il est certain que je suis influencé par les trahisons et les défaites des vingt et quelques dernières années. Cela forme une part de ma conviction que le marxisme doit être rejeté: à chacune des épreuves que lui a fait subir l’histoire, le mouvement marxiste ou bien a échoué dans sa lutte pour le socialisme ou bien a trahi. Cela influence ma réaction et mon attitude, je le sais. [10]
La dernière phrase était certainement une rationalisation remarquable du propre reniement de Burnham. Plutôt que de participer à un futur échec ou à une trahison du socialisme, Burnham a décidé d'effectuer sa désertion personnelle, préemptive, du mouvement révolutionnaire. Après sa démission du Parti des travailleurs, Burnham a fait rapidement mouvement vers l'extrême droite de la politique anti-communiste bourgeoise. Après la Seconde Guerre mondiale, il devient un stratège de l'impérialisme américain, appelant à une « Fédération mondiale » dominée par les États-Unis pour combattre l'Union soviétique et le communisme. Dans les années 1950, il a collaboré avec l'archi-réactionnaire William F. Buckley, Jr., à la création de la National Review. Reconnu comme un leader intellectuel majeur des néo-conservateurs aux États-Unis, Burnham a reçu la médaille de la liberté par le président Ronald Reagan en 1983.
La répudiation du marxisme par Burnham anticipait le chemin qui devait être suivi, non seulement par les shachtmaniens, mais aussi par les autres tendances oppositionnelles apparues au sein du SWP et de la Quatrième Internationale durant les années 1940. Empruntant et modifiant une phrase bien connue de Trotsky, on peut dire que si tous les ex-trotskystes petits-bourgeois démoralisés ne sont pas des Burnham, il y a un peu de Burnham dans chaque renégat démoralisé du trotskysme. [11]
La première et la plus significative de ces tendances fut le groupe des « Trois thèses » (également connu sous le nom de «rétrogressionnistes») issu du groupe Internationale Kommunisten Deutschlands (IKD). C'était l'organisation émigrée des trotskystes allemands, dirigée par Josef Weber (1901-1959). Avant la publication de L’héritage, son rôle dans l'histoire de la Quatrième Internationale avait été plus ou moins oublié. Il n'est pas possible de comprendre les origines et les positions de l'opposition Morrow-Goldman, qui a émergé un peu plus tard, sans se référer aux documents écrits par Weber. La politique de l'IKD est examinée au chapitre 8 de ce volume. Mais compte tenu des efforts récents (dont je parlerai brièvement) pour promouvoir Felix Morrow (1906-1988) et Albert Goldman (1897-1960) en tant que prophètes dont le martyre politique aux mains de Cannon signifiait la ruine du trotskisme, il est nécessaire de fournir un résumé concis de la perspective démoralisée, défaitiste et anti-marxiste de l'IKD.
L'IKD avait publié un document en octobre 1941, qui rejetait la perspective de la révolution socialiste mondiale comme un projet chimérique. Les victoires du fascisme en Europe avaient ramené la classe ouvrière vers des conditions antérieures à 1848. Le monde moderne, insistait-il, ne progressait pas vers le socialisme, mais vers la barbarie. Cette régression n'était pas la conséquence temporaire des défaites politiques, qui pourraient être inversées par une nouvelle recrudescence des luttes révolutionnaires de la classe ouvrière, menées par un parti marxiste. La régression devait plutôt être comprise comme un processus inévitable. La victoire militaire des nazis, que l'IKD croyait irréversible, marquait une nouvelle étape de l'histoire mondiale.
« Les prisons, les nouveaux ghettos, le travail obligatoire et les camps de concentration et même de prisonniers de guerre ne sont pas que des institutions politico-militaires temporaires, mais autant de formes d'un nouveau type d'exploitation économique qui accompagne le mouvement vers un État esclavagiste moderne, et qui est destinée à devenir le lot permanent d'une bonne partie de l'humanité » [12]
Le groupe des « Trois thèses » concluait que la lutte pour le socialisme avait été remplacé, à travers un processus de régression historique, par la « marche pour la liberté nationale. » [13] Dans un document plus tardif, de 1943, et publié dans The New International (coopté par la minorité shachtmaniste après la scission de 1940) en octobre 1944, l’IKD a explicitement rejeté l'analyse historique de l'époque impérialiste développée par Lénine dans la lutte contre la trahison de la IIe Internationale et sur laquelle se fondait la stratégie du parti bolchevique en 1917. Il affirmait :
« Si nous considérons la Première Guerre mondiale et la constellation totale de l'époque, il faut reconnaître que la Première Guerre mondiale, en dépit de tous les liens de causalité qui ont conduit à son déclenchement, n’était rien de plus qu'un malheur historique du capitalisme, un événement accidentel qui a provoqué l'effondrement du capitalisme dans le cadre de la nécessité historique plus tôt qu’il n’était historiquement nécessaire. » [14]
Mais si la Guerre mondiale était un accident, il en allait de même pour l'effondrement de la IIe Internationale, la victoire de la Révolution d'Octobre et la fondation de l'Internationale communiste. Le fondement objectif de toute la stratégie marxiste révolutionnaire du XXe siècle, telle que formulée par Lénine et Trotsky, était de facto refusée.
L’IKD formulait son pessimisme politique dans les termes les plus catégoriques. La classe ouvrière, déclarait-il, était finie en tant que force révolutionnaire. Elle était « démembrée, atomisée, divisée, opposée entre ses différentes couches, politiquement démoralisée, internationalement isolée et contrôlée... » [15] Malgré la putréfaction du capitalisme, la classe ouvrière était incapable de le renverser. Selon l’IKD, l’« erreur la plus courante » du mouvement trotskyste, née d’« une incompréhension totale du marxisme », consistait «à concevoir la négation du capitalisme comme la tâche exclusive de la révolution prolétarienne... » Face à l'impuissance de la classe ouvrière en tant que force révolutionnaire, déclarait l’IKD, la seule option politique était de revenir à la lutte « centenaire » pour la démocratie. [16] Il s’opposait à l’appel de la Quatrième Internationale pour les Etats-Unis socialistes de l'Europe :
Avant que l'Europe puisse se réunifier sous la forme d'"États socialistes", il lui faut à nouveau se diviser en nations indépendantes et autonomes. Il s'agit avant tout pour les peuples et le prolétariat divisés, soumis à l'esclavage et rejetés en arrière, de se constituer à nouveau en nations....
Nous pouvons formuler la tâche de la manière suivante: reconstruire tout le développement qui s’est défait, retrouver toutes les réalisations de la bourgeoisie (y compris le mouvement ouvrier), pour atteindre les plus hautes réalisations et les surpasser. ...
Toutefois, la question politique la plus urgente est celle posée depuis des siècles, depuis les débuts du capitalisme industriel et du socialisme scientifique: la conquête de la liberté politique, l'établissement de la démocratie (aussi en Russie) comme condition préalable indispensable à la libération nationale et à la fondation du mouvement ouvrier. [17]
L’IKD insistait pour dire que son appel à revenir en arrière jusqu'à 1848, à abandonner la lutte pour le socialisme international et à retourner à la lutte pour la souveraineté nationale et pour la démocratie bourgeoise, devait s’appliquer à tous les pays.
Avec les modifications appropriées, ce problème [de la démocratie et de la libération nationale] existe à travers le monde; pour la Chine et l'Inde, le Japon et l'Afrique, l'Australie et le Canada, la Russie et l'Angleterre. En un mot, pour toute l'Europe, l’Amérique du Nord et du Sud. Nulle part on ne trouve un pays qui n’ait pas une question démocratique et nationale puissamment intensifiée, nulle part n'existe un mouvement ouvrier organisé sur le plan politique. [18]
Le mot d'ordre central, déclarait l’IKD, devait être « la liberté nationale. »
Par cela, nous voulons dire: la question nationale est l'un de ces épisodes historiques qui deviennent nécessairement le point de transition stratégique pour la reconstitution du mouvement ouvrier et pour la révolution socialiste. Celui qui ne comprend pas cet épisode historique nécessaire et ne sait pas comment l'utiliser, ne sait et ne comprend rien au marxisme-léninisme. [19]
En fait, c’était l’IKD qui répudiait le programme de Lénine et Trotsky. La séparation de la lutte pour les revendications démocratiques de la lutte pour renverser le capitalisme signifiait l'abandon complet de la théorie et du programme de la révolution permanente. Dans les pays à développement bourgeois retardé, la théorie de la révolution permanente, expliquait Trotsky, «signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes.» [20]
Tout en séparant les revendications démocratiques des revendications socialistes dans les pays moins développés, les efforts de l’IKD pour ressusciter un programme bourgeois de libération nationale dans les centres avancés du capitalisme mondial et rejeter comme prématurée la lutte pour le socialisme, reflétait une démoralisation politique pathologique. Les collaborateurs et amis de Josef Weber, le dirigeant de l’IKD, ont rappelé plus tard qu'il exprimait fréquemment le point de vue, au milieu des années 1940, que la domination nazie sur l'Europe continuerait pendant trente, voire cinquante ans. [21]
Les partisans de Shachtman ont applaudi et promu la position de l’IKD. Ils pensaient que les arguments de l'IKD, qui rejetaient la Révolution d’Octobre comme prématurée étaient tout à fait compatibles avec leur rejet de la définition de l'Union soviétique comme État ouvrier et d’une défense de l'URSS contre l'impérialisme.
La perspective démoralisée de l'IKD, qui se sépara de la Quatrième Internationale, a finalement trouvé un soutien au sein du Socialist Workers Party, sous forme de la tendance Morrow-Goldman. Avant la parution de L’héritage, l'importance de cette tendance allant vers la droite avait été faussement présentée comme une alternative clairvoyante à la réponse soi-disant dogmatique, mal informée et irréaliste de Cannon à la situation politique à la fin de la guerre mondiale. Ses deux principaux dirigeants avaient joué un rôle important dans la Quatrième Internationale et le parti américain. Albert Goldman (1897-1960) a été l'avocat de Trotsky et l'avait représenté à la Commission Dewey en 1937. Dans le procès Smith Act de 1941, Goldman a défendu les membres du SWP accusés de sédition. Il figurait parmi les accusés et a été l'un des dix-huit membres du parti reconnus coupables et envoyés en prison. Felix Morrow (1906-1988) a été membre du Comité politique du SWP et un journaliste socialiste exceptionnel, connu pour son livre Révolution et contre-révolution en Espagne. Lui aussi, était parmi les membres du parti condamnés à la prison à la fin du procès de 1941. Un autre membre important de la faction Morrow-Goldman était Jean van Heijenoort (1912-1986), qui avait servi comme secrétaire politique de Trotsky dans les années 1930 et de facto comme secrétaire de la Quatrième Internationale pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’héritage que nous défendons examine dans le détail les positions de la tendance Morrow-Goldman. Cependant, depuis la publication de L’héritage, la possibilité de consulter les bulletins de discussion internes du SWP, auxquels je n’avais pas accès en 1986-1987, permet une appréciation plus complète de l'influence de l'IKD sur la tendance Morrow Goldman. En 1942, Morrow, Goldman et Van Heijenoort (écrivant sous le nom de Marc Loris) s’étaient opposés aux arguments avancés dans la résolution des « Trois thèses ». Mais, à la fin de l’année 1943, leurs positions ont subi un changement radical. Selon Morrow, l’adhésion de la Quatrième Internationale au programme de la révolution socialiste en Europe la condamnait à l'insignifiance vu les conditions qui existaient à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Interprétant les événements en Europe, surtout en France et en Italie, de la manière la plus conservatrice et défaitiste, la faction Morrow-Goldman insistait sur le fait qu'une révolution socialiste était impossible. La Quatrième Internationale, selon eux, n’avait aucune option politique viable, sauf de se transformer en mouvement de réformes démocratiques bourgeoises, allié à la social-démocratie et à divers mouvements bourgeois d’orientation démocratique.
Tout en préconisant la transformation de la Quatrième Internationale en un appendice de la démocratie bourgeoise, Morrow, Goldman et Van Heijenoort ont aussi répudié la défense de l'URSS par le SWP. En mars 1943, Morrow écrivait encore : «De grandes masses dans le monde se réjouissent des victoires de l'Armée rouge. Sans une théorie complète, mais néanmoins avec une loyauté de classe, ils comprennent que les victoires soviétiques sont aussi leurs victoires. Ils sont certainement conscients de la distinction entre l'État ouvrier et ses alliés capitalistes. » [22] Mais avec la vitesse à couper le souffle caractéristique de ceux qui rompent avec le trotskysme et se déplacent vers la droite, Morrow adopta la vision opposée. En 1946, il dénonça l'insistance du SWP sur le fait que la victoire de l'armée soviétique sur les nazis contribuait à la radicalisation politique des masses européennes et déclara : «Toutes les raisons que nous avions données pour défendre l'Union Soviétique ont disparu. » [23]
La tendance Morrow-Goldman appela à la réunification politique avec les shachtmanistes, dont le rejet antérieur de la défense de l'Union soviétique évoluait rapidement vers un soutien direct à la lutte de l'impérialisme américain contre le « totalitarisme communiste ». La Quatrième Internationale et le SWP rejetèrent correctement et avec force la perspective démoralisée de Morrow et Goldman.
L'évaluation des arguments concernant une « ligne correcte » à l'égard des événements en Europe n’était pas une question de discours intellectuel abstrait. Dans une situation très fluide et instable, où l'issue de la crise politique d’après-guerre était incertaine, les trotskystes essayaient d'exprimer pleinement le potentiel révolutionnaire de la situation. Ils fondaient leur travail sur le potentiel existant objectivement pour le renversement du capitalisme, et non pas sur une hypothèse a priori qu’une restabilisation du capitalisme était inévitable. Dans les heures graves qui ont précédé l’arrivée au pouvoir d’Hitler, on a demandé à Trotsky si la situation était « sans espoir ». Ce mot, a-t- il répondu, ne fait pas partie du vocabulaire des révolutionnaires. « La lutte décidera », a déclaré Trotsky. Il fallait donner la même réponse à ceux qui prétendaient, dans le désordre et le chaos de l'Europe d'après-guerre, que la cause révolutionnaire était sans espoir et la stabilisation du capitalisme inévitable. S’ils avaient concédé la défaite par avance, comme le préconisaient Morrow et Goldman, les trotskystes seraient devenus l'un des facteurs agissant en faveur de la restabilisation capitaliste.
Quoi qu’il en soit, l'analyse faite par Morrow de la situation objective existant en Europe et au plan international au stade final de Seconde Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre sous-estimait largement la profondeur et l'étendue de la crise à laquelle faisait face le capitalisme mondial. Le fait indubitable que le capitalisme européen avait été finalement stabilisé suite à l'introduction du Plan Marshall en 1947, n'invalide pas la perspective avancée par la Quatrième Internationale au moment où la guerre mondiale tirait à sa fin. La bourgeoisie d'une grande partie de l'Europe occidentale et centrale se trouvant dans un état de prostration politique et totalement discréditée par ses atrocités fascistes, le potentiel d’une conquête du pouvoir par la classe ouvrière éclipsait celui qui s'était présenté à la fin de la Première Guerre mondiale. En France et en Italie, des masses de travailleurs étaient armés et attendaient anxieusement un règlement définitif des comptes avec la classe capitaliste. Le problème n'était pas l'absence d'une situation «objectivement» révolutionnaire. Il était évident pour tous les stratèges bourgeois perspicaces que l'atmosphère des masses était extrêmement radicale. Dean Acheson, qui devait devenir secrétaire d'Etat américain, a décrit la crise comme « d'une certaine manière plus énorme que celle décrite dans le premier chapitre de la Genèse. » [24] Dans une note de décembre 1944 à l'assistant spécial du président Roosevelt, Harry Hopkins, Acheson avertit d'un bain de sang imminent dans toute l'Europe. « Les peuples des pays libérés », écrit-il, « sont les matériaux les plus combustibles du monde ... Ils sont violents et agités. » A moins de trouver des moyens de stabiliser l'Europe, la montée de « l'agitation et des troubles » conduirait « au renversement des gouvernements » [25]
Dans un livre récemment publié sur les origines du Plan Marshall et de la Guerre froide, l'historien Benn Steil écrit :
Les gens voulaient aussi un changement politique. Partout en Europe, les partis communistes promettaient une alternative radicale au capitalisme. L'histoire semblait être de leur côté. L'Union soviétique était victorieuse dans la guerre, et maintenant de loin le pays le plus puissant du continent. Les communistes ont obtenu 19% des voix en Italie, 24% en Finlande (où le communiste Mauno Pekkala est devenu premier ministre) et 26% en France en 1945-46. Et bien qu'aucune élection nationale en Allemagne n'ait lieu avant 1949 (à l'Ouest), les communistes ont fait jusqu'à 14% dans certains scrutins régionaux. Avec les socialistes, le vote total de gauche était de 39% en Italie et de 47% en France. En Italie, beaucoup pensaient que la gauche révolutionnaire allait prendre le contrôle du pays. La fusion des partis de gauche dans la zone soviétique de l'Allemagne semblait un modèle pour l'Europe élargie. [26]
Le facteur décisif pour contenir la classe ouvrière, réprimer les impulsions insurrectionnelles puissantes et donner à l'impérialisme américain et aux élites européennes terrifiées le temps nécessaire pour sauver la domination capitaliste, était avant tout la direction des partis staliniens. En Italie, le rôle du dirigeant stalinien Palmiro Togliatti fut déterminant. Comme l’explique une étude récente de la période :
La confiance des dirigeants staliniens que le PCI [Partito Comunista Italiano] exercerait une influence modératrice et empêcherait les actions spontanées n'était pas déplacée. Compte tenu de cette situation turbulente et même explosive, il est à mettre au crédit de Togliatti que les incitations révolutionnaires qui ont régulièrement fait surface dans le parti pendant la période de résistance ont été largement contenues. Son rôle dans la prévention d'une guerre civile immédiatement après la libération du nord de l'Italie ne doit pas être sous-estimé. Le fait que l'impulsion révolutionnaire, qui continuait à venir à la surface pendant la Résistance au sein du parti, a pu être freinée est en grande partie dû aux propres efforts de Togliatti. [27]
L'historien Paul Ginsborg fait un récit vivant de l'opposition de Togliatti aux demandes de la base du PCI pour un renversement socialiste révolutionnaire de l'Etat bourgeois :
À son arrivée à Salerne, Togliatti présenta à ses camarades, au milieu d'un certain étonnement et d'une certaine opposition, la stratégie qu'il avait l'intention de poursuivre dans un proche avenir. Les communistes, disait-il, devaient suspendre leur hostilité souvent exprimée à l'égard de la monarchie. Ils devaient bien plutôt persuader toutes les forces antifascistes de rejoindre le gouvernement royal qui contrôlait maintenant toute l'Italie au sud de Salerne. Selon Togliatti, l'adhésion au gouvernement était le premier pas vers la réalisation de l'objectif primordial de la période – l'unité nationale face aux nazis et aux fascistes. Le but principal des communistes devait être la libération de l'Italie, pas une révolution socialiste. Togliatti l'expliqua clairement dans les instructions qu'il écrivit pour le parti en juin 1944: « Souvenez-vous toujours que l'insurrection que nous voulons n'a pas pour but d'imposer des transformations sociales et politiques dans un sens socialiste ou communiste. Son but est plutôt la libération nationale et la destruction du fascisme. Tous les autres problèmes seront résolus par le peuple demain, une fois l'Italie libérée, au moyen d'un vote populaire libre et de l'élection d'une assemblée constituante. »
Cette dernière phrase révélait la détermination de Togliatti de rétablir la démocratie parlementaire en Italie. Contrairement à Tito, il n'avait aucune intention de faire de la dictature du prolétariat le but à court terme de son parti. Son objectif n'était pas non plus la simple restauration d'un régime parlementaire sur des lignes préfascistes. [28]
En France, le Parti communiste et les syndicats contrôlés par la CGT, dirigée par les staliniens, ont joué un rôle non moins contre-révolutionnaire. Reconnaissant que le parti communiste avait suffisamment de pouvoir, s'il le voulait, pour menacer de renversement le système capitaliste, les diplomates américains surveillaient de près ses activités. Les staliniens faisaient le jeu des États-Unis :
Les dirigeants de la CGT et certains communistes ont entretenu des relations avec les autorités américaines de 1945 à 1947, conformément à la stratégie de détente internationale et de collaboration politique interne du Parti communiste. Les fonctionnaires communistes de la CGT ont abondamment fourni aux Américains des informations, la plupart rassurantes. ... la CGT n'a pas cherché une transition immédiate vers le socialisme et a soutenu les objectifs limités du Conseil national de la Résistance. La CGT était le défenseur des petites entreprises, la bataille pour une production plus élevée restait la base de la politique communiste, et aucune grève ne se produirait dans les usines ou les ports «contrôlés par les nôtres ». [29]
Dans le contexte de la situation explosive en Europe, exacerbée encore par la vague croissante des luttes anti-impérialistes qui déferlait quasiment sur toutes les anciennes colonies, l'insistance de Morrow que la Quatrième Internationale limite son programme et son agitation aux demandes démocratiques n'aurait servi qu’ à apporter un soutien trotskyste à la trahison par les staliniens du mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière et à faciliter une nouvelle stabilisation du capitalisme.
Dans un essai publié en 2014 dans la revue Science and Society, intitulé « Stratégie et tactique dans une époque révolutionnaire : le trotskysme américain et la révolution européenne, 1943-1946 », les historiens Daniel Gaido et Velia Luparello élaborent une défense sur toute la ligne de la tendance Morrow-Goldman. Le titre de l'essai est problématique, car la prémisse essentielle de l'argument de Morrow, approuvé par Gaido et Luparello, est qu'il n’existait pas de situation révolutionnaire. Ils citent avec approbation l'exigence de Morrow que le SWP et la Quatrième Internationale se débarrassent « de toute trace d'une conception de la situation actuelle comme ‘objectivement révolutionnaire’ ». [30] Le compte-rendu biaisé qu'ils fournissent du débat au sein de la Quatrième Internationale entérine la perspective anti-marxiste et démoralisée de Morrow:
En fait, selon Morrow, la révolution n'était pas « une fonction objective du processus social » et la situation en Europe n'était aucunement comparable aux conséquences de la Première Guerre mondiale. « Nous ne répétons pas 1917-1923 », avertissait Morrow. La situation en 1945 était « beaucoup plus arriérée » car, en l'absence d'un point de ralliement pour des masses révolutionnaires comme la révolution bolchevique et la IIIe Internationale, le développement des partis révolutionnaires était beaucoup plus lent, et tout le processus serait beaucoup plus prolongé. [31]
Mais d'où étaient venues la Révolution bolchevique et la Troisième Internationale ? Lénine et Trotsky avaient mené tout au long de l'année 1917 une lutte acharnée contre les mencheviks et les éléments du parti bolchevique qui prétendaient que la situation n'était pas révolutionnaire et qu'il était impossible de dépasser les limites d'un programme démocratique bourgeois. Les bolcheviks se sont battus pour permettre que le potentiel révolutionnaire contenu dans la situation objective se réalise pleinement. Gaido et Luparello ne tiennent aucun compte des sophismes paralysants et contradictoires qui sous-tendaient le défaitisme de Morrow : le combat pour la révolution socialiste était impossible parce que la situation n'était pas objectivement révolutionnaire. Mais la situation n'était pas révolutionnaire parce qu'il n'y avait pas de « point de ralliement » pour une action révolutionnaire.
Il y a, d'un point de vue théorique, peu de nouveau dans les arguments avancés par Gaido et Luparello. Ils suivent largement la critique essentiellement sociale-démocrate du trotskysme avancée dans deux essais publiés il y a quatre décennies : l'essai de Geoff Hodgson de 1975 intitulé « Trotsky et le marxisme fataliste » et l'article de 1977 de Peter Jenkins intitulé « Où le trotskisme s'est perdu : La Seconde Guerre mondiale et la perspective de la révolution en Europe. » Hodgson – ressemblant beaucoup à Édouard Bernstein – prétendait que la conception de l'époque de Trotsky comme d'un bouleversement économique incessant, de l'effondrement du système de l'État-nation bourgeois, des guerres inter-impérialistes et de la révolution socialiste, était fondamentalement fausse. Trotsky a légué à la Quatrième Internationale une insistance exagérée et irréaliste sur la crise. Morrow, écrit Hodgson, a défié cette fausse perspective : « En conséquence, Morrow et d'autres ont été chassés du SWP. » [32]
A la suite de Hodgson, Jenkins a loué Morrow pour avoir contesté le « catastrophisme révolutionnaire » de la Quatrième Internationale et pour avoir développé une critique précoce d'une « tendance constante du mouvement trotskyste à sous-estimer la viabilité de la démocratie bourgeoise en Europe et la force des idées réformistes dans la classe ouvrière. » [33] Le trotskysme, conclut Jenkins, « s'est perdu » parce qu'il n'a pas réussi à se convertir en un mouvement réformiste social-démocrate.
Gaido et Luparello tirent essentiellement la même conclusion, arguant que la défaite de Morrow et Goldman « a empêché toute analyse sérieuse des conséquences des politiques menées par la direction du SWP et par le Secrétariat européen de la Quatrième Internationale dans son sillage, des politiques qui ont conduit à réduire le trotskysme à l'impuissance politique pendant la plus grande partie du siècle. « [34] Qu'est-ce que Gaido et Luparello entendent par « impuissance politique » ? Dans le cadre de leur argumentation, cela ne peut que signifier que le mouvement trotskyste aurait dû adopter l’identité et le programme politique d'une organisation réformiste social-démocrate. Il aurait dû éviter « l'impuissance politique » en acquérant de l'influence dans le cadre du parlementarisme bourgeois. Le Parti mondial de la Révolution socialiste de Trotsky aurait dû être converti en partis nationaux du réformisme social-démocrate.
En 1940, analysant les arguments de la minorité, Trotsky notait: « Shachtman a laissé de côté une vétille: la position de classe. » [35] La même "vétille" est la partie manquante de l'essai de Gaido-Luparello. On n’y trouve pas la moindre considération sur la nature de classe réelle – autrement dit la trajectoire politique-sociale objective — de la tendance Morrow-Goldman. L'essai ne s’intéresse jamais à la question essentielle: pour quels intérêts de classe Morrow et Goldman parlaient-ils ? C'est une omission fâcheuse, surtout pour le Professeur Gaido, qui a mené pendant de nombreuses années un travail intellectuel sérieux sur l'histoire du mouvement marxiste. Cet érudit d'habitude consciencieux inclut seulement dans son essai une référence superficielle aux « Trois Thèses » de Joseph Weber et de l'IKD et il n'attire pas l'attention sur son influence décisive sur Felix Morrow. Plus injustifiable encore est l'attitude désinvolte de Gaido vis-à-vis de l'évolution politique de Morrow, Goldman et Van Heijenoort.
Tous les principaux représentants de la tendance Morrow-Goldman ont quitté le mouvement trotskyste, ont abandonné la politique socialiste et ont fait mouvement rapidement vers la droite. Clairement, cette évolution s'est développée logiquement sur la base des positions qu'ils avaient avancées dans la lutte fractionnelle. Ils ont tous plus ou moins suivi la trajectoire de James Burnham. Van Heijenoort a déserté la Quatrième Internationale, a dénoncé l'Union soviétique comme un « État esclavagiste », a mis fin à son implication personnelle dans la politique socialiste et est devenu un mathématicien réputé. Goldman a quitté le SWP, a brièvement rejoint le mouvement shachtmaniste et, peu après, a répudié le marxisme. Morrow, après son expulsion du SWP en 1946, a abandonné la politique socialiste, a soutenu l'impérialisme américain pendant la guerre froide, et est devenu un riche éditeur de littérature occulte.
En novembre 1976, alors que je menais des recherches pour le Comité international en rapport avec l'assassinat de Léon Trotsky, j’ai rencontré Felix Morrow. Il avait alors 71 ans et vivait dans une banlieue de New York. En se souvenant de la lutte de fraction de 1943-46, Morrow a admis que parmi toutes leurs divergences politiques, Canon avait raison sur un point critique. Morrow ne croyait plus à la possibilité de la révolution socialiste. Morrow se souvenait que dans son discours de clôture aux membres du SWP, avant son expulsion, il avait déclaré qu'il ne pourrait jamais être séparé du parti. Mais après qu’il ait quitté la salle de réunion, Morrow savait qu'une étape de sa vie s’était terminée et qu'il ne serait plus jamais actif dans la politique socialiste. Il se sentait presque comme s'il n'avait jamais été membre du mouvement trotskyste. J'ai demandé à Morrow s'il avait des regrets à propos du passé. Seulement un, a-t-il répondu: « J’aurais du négocier pour recevoir des droits d’auteur pour mon livre, Révolution et Contre-révolution en Espagne. »
Quant à Max Shachtman, il devint, dans les années 1950, un conseiller de la bureaucratie syndicale farouchement anti-communiste de l’AFL-CIO. Dans les années 1960, Shachtman a soutenu l'invasion de la Baie des Cochons, orchestrée par la CIA en 1961, et plus tard l'intervention américaine au Vietnam.
L'évolution politique de Shachtman, Morrow, Goldman et Van Heijenoort faisait partie d'un processus social plus large: la guerre froide, la restabilisation économique de l'Europe d'après-guerre et l'étouffement bureaucratique du mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière assombrissait les perspectives politiques de l’intelligentsia de gauche petite-bourgeoise. Le marxisme cédait la place à l'existentialisme. On abandonnait l’attention portée antérieurement aux processus sociaux en faveur d'une fixation sur les problèmes personnels, l'évaluation scientifique des événements politiques en faveur de leur interprétation du point de vue de la psychologie. Des conceptions de l'avenir en fonction du potentiel de la planification économique cédaient la place aux rêveries utopiques. L'intérêt porté à l'exploitation économique de la classe ouvrière diminuait, et la préoccupation pour les problèmes écologiques, séparés des questions de la domination de classe et du système économique, prenaient le dessus.
L'évolution du dirigeant de l'IKD illustre bien ce processus socialement déterminé de la « rétrogression » intellectuelle. L'IKD a rompu ses relations avec la Quatrième Internationale, sur laquelle Joseph Weber écrivit avec un mépris sans retenue. Dans une lettre datée du 11 octobre 1946, Weber affirmait: « La Quatrième Internationale est morte et, de plus, elle n'a jamais existé. » Il a prétendu qu'elle avait été construite sur une base fausse, et que ses documents se lisaient comme s'ils étaient destinés à des « analphabètes politiques ». [36]. Weber a rapidement rompu entièrement avec la politique marxiste, a dénoncé l’Union soviétique comme une société capitaliste d’État et est finalement devenu le prophète d'un utopisme écologique semi-anarchiste. L'un de ses principaux disciples était un ancien membre du Socialist Workers Party, Murray Bookchin (1921-2006) qui, en 1971, a dédié son livre, Post-Scarcity Anarchism, à Josef Weber. Bookchin, qui était devenu un adversaire acharné du marxisme, a remercié son mentor d’avoir « formulé il y a plus de vingt ans, les grandes lignes du projet utopique développé dans ce livre. » [37] Les écrits de Bookchin sont venus à l'attention d'Abdullah Öcalan, le chef du Parti des travailleurs kurdes (PKK), nationaliste bourgeois, après son emprisonnement par le gouvernement turc en 1999. Öcalan a trouvé dans les écrits de Bookchin des idées compatibles avec ses propres propositions pour un « confédéralisme démocratique ». À la mort de Bookchin, le PKK l’a honoré comme « l'un des plus grands spécialistes des sciences sociales du 20e siècle ». [38]
La politique est gouvernée par la logique des intérêts de classe: c'est une vérité fondamentale souvent oubliée, en particulier par les universitaires, qui ont tendance à évaluer les factions politiques sur la base de critères subjectifs. De plus, leurs jugements sont influencés par leurs propres préjugés politiques inexprimés, surtout quand il est question d'évaluer un différend entre opportunistes et révolutionnaires. Pour l'universitaire petit-bourgeois, les politiques opportunistes apparaissent généralement plus « réalistes » que celles avancées par les révolutionnaires. Mais, tout comme il n'y a pas de philosophie innocente, il n'y a pas de politique innocente. Que ce soit prévu ou non, un programme politique a des conséquences objectives. La Quatrième Internationale et le SWP ont correctement reconnu, dans les années 1940, que le programme d'une libération nationale et d'une démocratie universelle supra-historiques formulé par l'IKD était une expression d’intérêts de classe, étrangers et hostiles au socialisme.
A la fin de leur essai, Gaido et Luparello écrivent que « la crise de la Quatrième Internationale commença, non pas, comme on le prétend souvent, avec la controverse suscitée par la tactique ‘d’entrisme profond’ de Michel Pablo en 1953, mais dix ans plus tôt, du fait de l'incapacité de la direction du SWP à adapter sa tactique à la nouvelle situation qui s'était développée en Europe suite à la chute de Mussolini en 1943 ... » [39] L'essentiel de cet argument est que le mouvement trotskyste aurait dû se liquider dans les années 1940. Ses efforts mal conçus pour soutenir un programme révolutionnaire irréaliste l'avaient condamné à « l'impuissance politique » et été la source de crises ultérieures dans la Quatrième Internationale. Le but du nouveau récit proposé par Gaido et Luparello est de ne plus donner la responsabilité des crises au sein de la Quatrième Internationale à ceux qui cherchaient à liquider le mouvement trotskyste et de la faire porter à ceux qui cherchaient à la défendre.
Il est tout à l’honneur politique de James P. Cannon d’avoir défendu la perspective révolutionnaire mondiale du trotskysme contre la tendance Morrow-Goldman qui, suivant la voie de Burnham et Shachtman, prônait la capitulation devant une “démocratie” sous l'égide de l'impérialisme américain. Au lendemain de la lutte contre ces capitulards, la Quatrième Internationale fut confrontée à une autre forme de révisionnisme anti-trotskyste, non moins dangereuse et insidieusement persistante, associée au programme et à la tactique avancés à la fin des années 1940 et au début des années 1950 par Michel Pablo et Ernest Mandel.
Même si leur programme et leur orientation étaient différents, il existait un lien significatif entre les conceptions historiques qui sous-tendaient les deux principales formes de révisionnisme (Burnham-Shachtman et Pablo-Mandel) apparues au sein de la Quatrième Internationale entre 1940 et 1953. Dans le contexte social et politique international des années 1940 et 1950, la conception politique essentielle qui rattachait les shachtmanistes (et leurs adeptes dans le groupe des «Trois Thèses» et la tendance Morrow-Goldman) à l'émergence quelque peu plus tardive du révisionnisme pabliste, était le rejet du potentiel révolutionnaire du la classe ouvrière. Les formes précises prises par ce rejet diffèrent. Shachtman et Burnham ont spéculé que l'Union soviétique représentait une nouvelle forme de société «collectiviste», contrôlée par une élite bureaucratique qui était en train de devenir, ou était déjà, une nouvelle classe dirigeante. Une variante de la théorie shachtmaniste était que l'Union soviétique était une forme de «capitalisme d'État». Le groupe des «Trois Thèses», suivi par la tendance Morrow-Goldman, est arrivé à la conclusion que la révolution socialiste était une cause historiquement perdue.
Les révisions de Pablo et Mandel qui ont émergé à la fin des années 1940, revêtaient leur abandon du trotskisme d’une rhétorique gauchiste superficielle. Mais dans leur perspective, la principale force dans l'établissement du socialisme était la bureaucratie stalinienne, pas la classe ouvrière. La théorie pabliste était une inversion particulière de la théorie shachtmaniste. Alors que les shachtmanistes dénonçaient le régime stalinien comme le géniteur d'une nouvelle forme de société collectiviste bureaucratique exploitante, la tendance pabliste proclamait que les régimes staliniens bureaucratiques établis en Europe de l'Est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient la forme nécessaire de la transition historique du capitalisme au socialisme. Toutes ces tendances, chacune à leur manière, ont fondé leur perspective politique sur le rôle non-révolutionnaire de la classe ouvrière. Elle cessait d'être une force active, et encore moins décisive, dans le processus historique.
Le pessimisme, que l'on pourrait même qualifier de désespoir, qui sous-tendait le révisionnisme pabliste trouvait sa pleine expression dans sa théorie de la « guerre-révolution » développée en vue du troisième Congrès mondial de 1951. « Pour notre mouvement », déclarait le document pabliste, « la réalité sociale objective consiste essentiellement dans le régime capitaliste et le monde stalinien ». La lutte pour le socialisme prendrait la forme d'une guerre entre ces deux camps, de laquelle le système stalinien sortirait victorieux. Émergeant des cendres d'une guerre thermonucléaire, les staliniens établiraient des « États ouvriers déformés », similaires à ceux existant déjà en Europe de l'Est, qui dureraient des siècles. Dans ce scénario bizarre, il n'y avait pas de rôle indépendant pour la classe ouvrière ou la Quatrième Internationale. Ses cadres ont reçu l'ordre d'entrer dans les partis staliniens et d’agir en leur sein comme groupe de pression de gauche. Cette perspective liquidatrice ne se limitait pas à l'entrée dans les partis staliniens. Comme l'explique le chapitre 15 du présent ouvrage :
L'adaptation au stalinisme était l'une des caractéristiques essentielles de la nouvelle conception pabliste, mais ce serait une erreur d'en faire son caractère fondamental. Le pablisme était (et continue d'être) un courant liquidateur de bout en bout: il rejette l'hégémonie du prolétariat dans la révolution socialiste et l'existence véritablement autonome de la Quatrième Internationale en tant qu'expression articulée et consciente du rôle historique de la classe ouvrière. La théorie de la «guerre-révolution» fut le point de départ de l'élaboration de la thèse centrale de ce courant liquidateur: tous les partis trotskystes devaient se dissoudre dans les tendances politiques, peu importait lesquelles, qui dominaient le mouvement ouvrier ou le mouvement populaire de masse dans les pays où travaillaient les sections de la Quatrième Internationale.
La scission qui eut lieu en novembre 1953 est l'un des événements les plus critiques de l'histoire du mouvement socialiste. Ce n’était rien moins que la survie du mouvement trotskyste, l'expression consciente et politiquement organisée de tout le patrimoine de la lutte pour le socialisme, qui était en jeu. Au moment le plus critique de l'histoire de la Quatrième Internationale, la « Lettre ouverte » de Cannon a clairement réaffirmé les principes fondamentaux du trotskysme, tirés des leçons stratégiques des révolutions et contre-révolutions du XXe siècle. La liquidation de la Quatrième Internationale aurait signifié la fin d'une opposition marxiste politiquement organisée à l'impérialisme et ses agences politiques, sa dissolution dans les partis staliniens, sociaux-démocrates et nationalistes bourgeois et leurs organisations. Ce n'est pas une hypothèse spéculative. C’est une question de fait historique que l'on peut vérifier en examinant les conséquences désastreuses du pablisme dans les nombreux pays, sur pratiquement tous les continents, où sa politique liquidatrice a été mise en œuvre.
En ce qui concerne le sort de l'Union soviétique, il faut rappeler que les dirigeants pablistes ont adhéré à la théorie de l'auto-réforme bureaucratique jusqu'à la fin du régime stalinien. Le Comité international a mis en garde, dès 1986, sur le fait que l'accession de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir, et la mise en œuvre de ses réformes de la perestroïka, représentaient la préparation finale de la restauration du capitalisme en Union soviétique; mais les pablistes saluaient ces politiques réactionnaires comme une avancée décisive vers le socialisme. Ernest Mandel décrivit Gorbatchev en 1988 comme « un dirigeant politique remarquable ». Rejetant comme « absurdes » les avertissements que les politiques de Gorbatchev allaient amener la restauration du capitalisme, Mandel déclarait: « le stalinisme et le brejnévisme arrivent définitivement à leur fin. Le peuple soviétique, le prolétariat international, l'humanité toute entière peuvent pousser un grand soupir de soulagement. » [40]
Le pabliste britannique et disciple de Mandel Tariq Ali montrait un enthousiasme encore plus effréné pour les politiques du régime Gorbatchev. Dans son livre Revolution From Above: Where is the Soviet Union Going? [La Révolution d’en haut: Où va l’Union soviétique ?], publié en 1988, Ali combinait plusieurs traits caractéristiques du pablisme: le soutien sans limites à la bureaucratie stalinienne, un opportunisme politique grotesque et une incapacité totale de comprendre la réalité politique. Dans sa préface, Ali résumait ainsi l’argument du livre :
La Révolution d’en haut fait valoir que Gorbatchev représente un courant progressiste, réformiste au sein de l'élite soviétique, dont le programme, en cas de succès, représenterait un gain énorme pour les socialistes et les démocrates à l'échelle mondiale. L'ampleur de l'opération de Gorbatchev rappelle, en fait, les efforts déployés par un président américain du XIXe siècle: Abraham Lincoln. [41]
Craignant apparemment que son élévation de Gorbatchev à la hauteur politique d'Abraham Lincoln n'ait pas donné la pleine mesure de sa propre dévotion au stalinisme, Tariq Ali a dédié humblement son volume à « Boris Eltsine, membre dirigeant du Parti communiste de l'Union soviétique, dont le courage politique a fait de lui un symbole important dans tout le pays ». [42]
Le soutien non dissimulé des dirigeants pablistes aux deux principaux architectes de la destruction finale de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine, apportait une confirmation historique irréfutable du caractère réactionnaire du pablisme et de la légitimité de la lutte, menée sur plusieurs dizaines d'années, par le Comité International contre cette agence politique petite-bourgeoise, pernicieuse, de l'impérialisme.
* * *
Depuis la publication de L'héritage que nous défendons en 1988, le monde a vécu de profonds changements économiques, technologiques et sociaux ainsi que des événements politiques explosifs. La dissolution de l'Union soviétique n'a pas inauguré une nouvelle ère de paix, et encore moins la « fin de l'histoire », comme on le promettait à l'apogée du triomphalisme pro-capitaliste post-soviétique. Dire que le monde est « en crise » est un euphémisme. « Chaos » est une description plus juste. Le dernier quart de siècle a été marqué par une guerre perpétuelle. Le maelström des conflits géopolitiques impérialistes engloutit des parts toujours plus larges du globe. Les États-Unis, frustrés dans leur espoir de diriger le monde après 1991 sont contraints d'accélérer, avec toujours plus de témérité, leurs opérations militaires. Mais les fondements mêmes de l'ordre mondial impérialiste tel qu’il a émergé de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale se désagrègent. Alors que les conflits entre Washington, la Russie et la Chine s'enveniment, même les relations politiques entre les États-Unis et leurs principaux « partenaires » impérialistes, en particulier l'Allemagne, se détériorent rapidement.
Sur le plan économique, le système capitaliste va titubant de crise en crise. Les effets de la crise économique de 2008 n’ont toujours pas été surmontés. Le legs principal du krach économiquea été l’intensification d’une inégalité sociale atteignant un niveau qui est insoutenable dans le cadre de la démocratie. La concentration stupéfiante de la richesse au sein d'une petite élite est un phénomène mondial qui sous-tend l'instabilité politique croissante des gouvernements bourgeois. Les conflits de classe sont à la hausse dans toutes les régions du monde. La mondialisation de la production capitaliste et des transactions financières entraîne la classe ouvrière internationale dans une lutte commune.
Les conditions objectives fournissent l'impulsion d’un énorme développement de luttes de classe révolutionnaires. Mais ces impulsions objectives doivent se traduire en action politique consciente. Et cela pose la question primordiale de la direction de la classe ouvrière.
Malgré l'immense crise du système capitaliste mondial et le désarroi politique généralisé aux plus hautes sphères de la bourgeoisie, les efforts de la classe ouvrière pour aller de l’avant restent bloqués par les partis et organisations qui s'emploient à contenir et à détourner son mouvement. Et pourtant, l'expérience des deux dernières décennies a laissé son empreinte sur la conscience des masses. La faillite des partis « socialistes » officiels est largement reconnue. Quand les masses se tournent vers de nouvelles organisations qui promettent une approche plus radicale, tels que Syriza en Grèce, le vide de leurs promesses est rapidement mis à nu. Il n’a fallu que quelques mois pour que Syriza, après avoir été porté au pouvoir sur une vague de protestations populaires contre l'Union européenne, ne désavoue toutes les promesses qu'il avait faites à ses partisans. Si Podemos en Espagne, Corbyn en Grande-Bretagne ou Sanders aux États-Unis devaient accéder au pouvoir, le résultat ne serait pas différent.
La résolution de la crise de la direction révolutionnaire reste la tâche historique centrale à laquelle fait face la classe ouvrière. Cette tâche immense ne peut être entreprise que par un parti international qui a assimilé toute l'expérience historique de la Quatrième Internationale, qui s'étend à présent sur quatre-vingts ans. Seul le Comité international de la Quatrième Internationale est en mesure de fournir une explication politiquement cohérente et consistante de l’ensemble de son histoire. Sa pratique est ancrée dans la défense consciente de l'héritage théorique et politique de la lutte de Léon Trotsky pour la révolution socialiste mondiale. J'espère que la réédition de L’héritage que nous défendons contribuera à l'éducation révolutionnaire d'une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes, radicalisée par la crise objective du capitalisme, dans l'histoire, le programme et les traditions de la Quatrième Internationale.
David North
Détroit,
le 20 juin 2018
Notes:
[1] Une analyse détaillée de la dégénérescence opportuniste de la section britannique est présentée dans Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme 1973-1985, publié dans Fourth International, Vol. 13, no. 1, Summer 1986. Tous les principaux documents de la scission avec le WRP sont disponibles dans l'édition de l'automne 1986 de Fourth International (vol 13, n ° 2).
[2] Lire pp. 231-32 du présent ouvrage.
[3] Les documents de la Workers League sont publiés dans The ICFI Defends Trotskyism 1982-1986, dans Fourth International, Vol. 13, non. 2, automne 1986.
[4] Karl Marx and Frederick Engels, Collected Works, Vol. 26 (Moscow: Progress Publishers, 1990), p. 389. Traduction française tirée de Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1888/02/fe_18880221_4.htm
[5] Leon Trotsky, “A Letter to James P. Cannon,” September 12, 1939, In Defense of Marxism (London: New Park Publications, 1971), p. 1. Léon Trotsky, Défense du marxisme, Paris: Études et documentation internationale, 1972, p.211.
[6] Ibid. p. 212.
[7] “L’U.R.S.S dans la guerre”, Défense du marxisme, p. 50.
[8] James Burnham and Max Shachtman, “Intellectuals in Retreat,” The New International, Vol. 5, no. 1, January 1939. Available at www.marxists.org/history/etol/writers/burnham/1939/intellectuals/index.htm
[9] Trotsky, Défense du marxisme, p. 362.
[10] Ibid., p. 261.
[11] Je fais référence à la phrase : « N'importe quel petit bourgeois enragé ne pouvait devenir Hitler, mais une partie d'Hitler est contenue dans chaque petit bourgeois enragé. » [Leon Trotsky, “What is National Socialism?,” The Struggle Against Fascism in Germany (New York: Pathfinder Press, 1971), p. 523.
Traduction française tirée de: « Qu'est-ce que le national-socialisme? », https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1933/06/330610.htm
[12] “The National Question in Europe: Three Theses on the European Situation and the Political Tasks,” dated October 19, 1941, published in the December 1942 edition of Fourth International, pp. 370–372. Disponible à: www.marxists.org/history/etol/newspape/fi/vol03/no12/3theses.htm..
[13] Ibid.
[14] “Capitalist Barbarism or Socialism,” The New International (Vol. 10, no. 10), October 1944 (emphasis in the original). Available at www.marxists.org/history/etol/newspape/ni/vol10/no10/ikd.htm
[15] Ibid.
[16] Ibid., souligné dans l’original.
[17] Ibid., souligné dans l’original.
[18] Ibid., souligné dans l’original.
[19] Ibid., souligné dans l’original.
[20] Leon Trotsky, The Permanent Revolution (London: New Park Publications, 1962), p. 152, souligné dans l’original. Traduction française tirée de: « La révolution permanente » : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revperm/rp10.html
[21] Marcel Van Der Linden, “The Prehistory of Post-Society Anarchism: Josef Weber and the Movement for a Democracy of Content (1947–1964),” Anarchist Studies, 9 (2001), p. 131.
[22] Felix Morrow, “The Class Meaning of the Soviet Victories,” Fourth International, Vol. 4, no. 3, March 1943, available at www.marxists.org/archive/morrow-felix/1943/03/soviet.htm
[23] SWP Internal Bulletin, Vol. 8, no. 8, July 1946, p. 28.
[24] Cited in Benn Steil, The Marshall Plan: Dawn of the Cold War (New York: Simon & Schuster), p. 26.
[25] Ibid., pp. 18–19.
[26] Ibid., pp. 19–20.
[27] Elena Agarossi and Victor Zaslavsky, Stalin and Togliatti: Italy and the Origins of the Cold War (Washington, D.C.: Woodrow Wilson Center Press, 2011), p. 95.
[28] Paul Ginsborg, A History of Contemporary Italy: 1943 – 80 (Penguin Books Ltd. Kindle Edition), p.43.
[29] Irwin M. Wall, The United States and the Making of Postwar France, 1945– 47 (Cambridge, Cambridge University Press, 1991), p. 97.
[30] Daniel Gaido and Velia Luparello, “Strategy and Tactics in a Revolutionary Period: U.S. Trotskyism and the European Revolution, 1943–1946,” Science & Society, Vol. 78, no. 4, October 2014, p. 504.
[31] Ibid., p. 503.
[32] Geoff Hodgson, Trotsky and Fatalistic Marxism, (Nottingham: Spokesman Books, 1975), p. 38.
[33] Peter Jenkins, Where Trotskyism got lost: The restoration of European democracy after the Second World War, (Nottingham: Spokesman Books, 1977). Disponible à : www.marxists.org/history/etol/document/fi/1938-1949/ww/essay01.htm
[34] Gaido and Luparello, p. 508.
[35] Trotsky, In Defense of Marxism, p. 131. Trotsky, Défense du marxisme, p. 136 pour la traduction française.
[36] Joseph Weber, Dinge der Zeit, Kritische Beiträge zu Kultur und Politik (Hamburg: Argument, 1995), p. 21, (traduction de David North).
[37] Murray Bookchin, Post-Scarcity Anarchism, (Montreal: Black Rose Books, 1986), p. 32. Au-delà de la rareté - L'anarchisme dans une société d'abondance, éd. Ecosociété, 2016. La traduction française est faite à partir de la citation anglaise.
[38] Joris Leverink, “Murray Bookchin and the Kurdish Resistance,” ROAR magazine, August 9, 2015, available at https://roarmag.org/essays/bookchin-kurdish-struggle-ocalan-rojava/
[39] Gaido and Luparello, p. 508.
[40] Ernest Mandel, Beyond Perestroika (London: Verso Books, 1989), p. xvi.
[41] Tariq Ali, Revolution From Above: Where is the Soviet Union Going? (Surry Hills, Australia: Hutchinson, 1988). p. xiii.
[42] Ibid.