Le vice-président américain Mike Pence s'est rendu à Ottawa jeudi dernier pour discuter avec le premier ministre Justin Trudeau et d'autres hautes personnalités de son gouvernement libéral du rôle toujours croissant du Canada dans les offensives stratégiques de Washington contre la Chine et la Russie, ainsi que de son opération en faillite de changement de régime au Venezuela.
Le vice-président de Trump joue un rôle de plus en plus important dans l'articulation et la mise en œuvre de l'agression impérialiste américaine, en particulier contre la Chine et le Venezuela. Dans un important discours prononcé l'automne dernier, M. Pence a fait savoir que l'impérialisme américain allait déployer toute sa puissance économique et militaire pour contrecarrer la montée en puissance de la Chine.
La déclaration commune d'Ottawa et de Washington publiée à l'issue des pourparlers de M. Pence avec M. Trudeau indiquait clairement que la Chine était un sujet clé de leurs discussions et que le Canada s'aligne de plus en plus complètement sur Washington dans sa confrontation avec Beijing. Cela inclut le soutien à la guerre commerciale de Trump contre la Chine – Washington a récemment augmenté ses tarifs douaniers sur 200 milliards de dollars de marchandises chinoises à 25 % – et la volonté des États-Unis d'empêcher la Chine de se lancer dans la 5G et d'autres technologies d'avant-garde.
La déclaration demandait la libération de deux citoyens canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, que Beijing a détenus à la fin de l'année dernière en représailles de l'arrestation, par Ottawa, de Meng Wangzhou, directrice financière de Huawei, en vertu d'un mandat d'extradition américain. Il a poursuivi en affirmant que le Canada et les États-Unis préconisent «un engagement constructif et axé sur les résultats avec la Chine qui démontre concrètement le respect de la primauté du droit, des droits de la personne et du commerce équitable et réciproque».
La déclaration de jeudi marque un approfondissement de l'étroite collaboration du Canada avec l'impérialisme américain, qui cherche à contrer le déclin de sa position mondiale par l’agression militaire et la guerre commerciale. Ces politiques unilatérales et protectionnistes font écho à celles des grandes puissances de l'avant-guerre des années 1930 et soulèvent le spectre de la guerre totale entre puissances nucléaires.
Dans ce conflit, l'impérialisme canadien ne laisse aucun doute quant à sa position. Le gouvernement conservateur de M. Harper a signé l'accord anti-Chine «Pivot vers l'Asie» de M. Obama, y compris la signature d'un accord secret en 2013 pour coordonner plus étroitement les opérations militaires canadiennes et américaines dans la région Asie-Pacifique. Sous Trudeau, le Canada a annoncé un programme de réarmement massif qui augmentera les dépenses militaires de plus de 70 p. 100 d'ici 2026 et a entrepris des déploiements navals réguliers dans le sud de la mer de Chine et le détroit de Malacca.
En décembre dernier, le jour même où Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping en marge du sommet du G-20, les autorités canadiennes, en étroite consultation avec leurs homologues américaines, ont arrêté Meng à Vancouver, en Colombie-Britannique, pour de fausses accusations d'activités illégales avec l'Iran. Ces accusations pourraient entraîner l'emprisonnement de Meng aux États-Unis pour une période pouvant aller jusqu'à 30 ans.
En reconnaissance de l'appui fiable du Canada à sa campagne contre la Chine, M. Trump a annoncé le mois dernier que les droits de douane de 25 % et de 10 % imposés sur les importations canadiennes d'acier et d'aluminium, respectivement, seraient levés. L'année dernière, le président américain a imposé les tarifs douaniers comme moyen de pression lors des négociations sur la révision de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Néanmoins, l'administration Trump veut qu'Ottawa aille encore plus loin. Jeudi, M. Pence a demandé publiquement au gouvernement Trudeau d'interdire à Huawei l'accès au réseau 5G du Canada, ce qui s'inscrit dans la foulée de ses actes d'intimidation à l'endroit des alliés américains en Europe sur la même question. «Nous avons été très clairs avec le Canada, a déclaré M. Pence, et avec tous nos alliés, que nous jugions que Huawei est incompatible avec les intérêts de sécurité des États-Unis d'Amérique ou de nos alliés... à travers le monde.»
Des fonctionnaires de l'administration Trump et des démocrates de premier plan, comme Mark Warner, vice-président de la commission du renseignement du Sénat américain, ont menacé à plusieurs reprises de réduire la coopération avec le Canada en matière de sécurité si celui-ci ne cède pas à leurs demandes concernant Huawei.
Trudeau a répondu à la demande de Pence en faisant remarquer que le rôle de Huawei dans le développement du réseau 5G du Canada fait actuellement l'objet d'un examen par l'appareil de renseignement militaire du Canada, et que cet examen devrait se terminer bientôt. L'opposition officielle conservatrice et le Nouveau Parti démocratique (NPD) social-démocrate ont demandé au gouvernement de suivre l'exemple des États-Unis et d'interdire Huawei.
Les pressions exercées par Pence et Trudeau pour faire adopter l'ALENA révisé, qui a été surnommé par Trump le traité États-Unis-Mexique-Canada ou USMCA, doivent être considérées dans le contexte du ferme appui de l'impérialisme canadien à la volonté de Washington de maintenir son hégémonie mondiale.
USMEC transformera l'Amérique du Nord en un bloc commercial plus explicite et plus agressif dirigé par les États-Unis dans le but de défier tous ses rivaux économiques. Il comprend un droit de veto effectif des États-Unis sur tout accord de libre-échange entre le Canada ou le Mexique et la Chine.
Reflétant la dépendance de l'impérialisme canadien à l'égard de Washington pour la poursuite de ses propres intérêts prédateurs mondiaux, le gouvernement Trudeau a été contraint de faire cette concession, et d’autres, aux grandes entreprises américaines lors des négociations de l'ALENA. M. Pence l'a presque reconnu jeudi lorsqu'il a tenté d'aider M. Trudeau à repousser les critiques à l'endroit de l'USMCA en prétendant que le premier ministre du Canada avait mené une «dure négociation».
Les syndicats canadiens appuient le gouvernement libéral dans son étroite collaboration avec l'administration Trump et dans son rôle mondial de plus en plus agressif. Ils ne critiquent pas la politique de défense nationale et les plans de réarmement du gouvernement Trudeau et ils collaborent étroitement avec le gouvernement et les grandes entreprises dans le cadre des négociations de l'ALENA. Le président du Congrès du travail du Canada (CTC), Hassan Yussuff, a siégé au comité consultatif de l'ALENA de Trudeau et Dias d'Unifor a été conseiller et négociateur semi-officiel du gouvernement.
La veille de la visite de Pence à Ottawa, les libéraux ont déposé au parlement un projet de loi pour l'adoption de l'USMCA. Le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador a pris une mesure similaire jeudi, et l'administration Trump devrait bientôt déposer des documents l'engageant à présenter l'accord au Congrès dans les 30 jours.
Au-delà de la Chine, Pence et Trudeau ont également discuté des efforts des deux pays pour renverser le gouvernement élu du Venezuela. M. Pence a fait l'éloge du rôle de premier plan joué par le Canada au sein du Groupe de Lima, un groupe d'alliés américains dans les Amériques qui a suivi Washington en déclarant que le président intérimaire Daniel Guaido, qui s'est autoproclamé, était le chef légitime du Venezuela, et en imposant des sanctions punitives au peuple du Venezuela.
Le fait que M. Pence, qui a ouvert la voie en lançant des menaces militaires sanglantes contre le Venezuela, ait tenu des propos aussi élogieux sur le rôle du Canada est une reconnaissance du fait qu'Ottawa, en se présentant comme un défenseur des «droits de la personne» et en s'opposant «en ce moment» aux interventions militaires américaines au Venezuela, fournit une couverture utile à l'opération de changement de régime orchestrée par les États-Unis dans le pays qui possède les réserves de pétrole avérées les plus importantes du monde.
Pence et Trudeau ont également parlé de l'Ukraine, où les États-Unis et le Canada mènent une politique antirusse provocatrice. L'appui de plusieurs milliards de dollars d'Ottawa et de Washington au coup d'État fasciste de Kiev, il y a cinq ans, qui a porté au pouvoir un gouvernement d'extrême droite et antirusse, a été suivi du déploiement de 200 soldats canadiens dans l'ouest de l'Ukraine. Ils y forment des soldats ukrainiens et des membres de la Garde nationale ukrainienne à «libérer» le territoire ukrainien, selon les mots de Trudeau, une référence aux enclaves à majorité russe de l'est de l'Ukraine qui ont fait sécession après la prise du pouvoir des ultranationalistes en 2014 à Kiev.
En mars, le gouvernement Trudeau a annoncé que le déploiement militaire en Ukraine, qui complète les opérations menées par des milliers de militaires canadiens et américains le long des frontières de la Russie, en Baltique et en Pologne, était prolongé de trois ans jusqu'en 2022.
Comme c'est le cas chaque fois que des conspirateurs impérialistes se réunissent, le contenu réel des pourparlers Pence-Trudeau était caché derrière un mur de propagande. Les lecteurs et téléspectateurs des journaux canadiens et des émissions de nouvelles télévisées ont été informés que l'un des points clés des pourparlers a été le moment où Trudeau a fait part au fondamentaliste chrétien Pence de ses préoccupations au sujet des attaques contre le droit à l'avortement aux États-Unis et dans le monde. Cela survient alors que l'administration Trump encourage toute une série d'États américains, y compris ceux dirigés par des gouverneurs démocrates, à imposer une législation antiavortement sévère dans le but de renverser la décision rendue en 1973 par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Roe v. Wade, qui a légalisé l'avortement.
Cette pièce de théâtre politique transparente visait à mettre un peu de distance les libéraux de Trudeau et l'administration d'extrême droite de Trump dans des conditions où, sur les questions clés de politique étrangère et de sécurité militaire, ils marchent main dans la main.
Le gouvernement libéral a aussi soulevé la question de l'avortement pour tenter de se présenter comme une alternative «progressiste» aux conservateurs avant les élections fédérales de cet automne. Chrétien socialement conservateur, le chef conservateur Andrew Scheer a déjà milité en faveur d'une loi antiavortement et, dans le cadre de sa campagne à la direction du Parti conservateur de 2017, il a déclaré qu'il donnerait aux députés conservateurs un vote libre sur cette question si elle était soumise au parlement.
(Article paru en anglais le 3 juin 2019)