Un rapport publié le 17 juin dernier par le Directeur parlementaire du budget (DPB) montre de profondes inégalités sociales au Canada. Le capitalisme canadien, souvent dépeint dans les grands médias et la politique officielle comme étant plus «gentil» et plus «progressiste» que les États-Unis, est mis à nu dans l'étude comme un ordre social oligarchique.
Selon le DPB, la part des richesses détenues par le 1 pour cent des Canadiens les plus riches est de 25,6 pour cent. C’est presque le double du seuil de 13,7 pour cent donné par Statistique Canada (Statcan).
Le tableau suivant, tiré du rapport, présente pour l’année 2016 la distribution du patrimoine familial – tous les actifs financiers, immobiliers et autres, moins tous les passifs.
La première colonne du tableau montre des tranches de la population dans la pyramide des richesses, de la fraction la plus riche du 1 pour cent supérieur aux 40 pour cent les plus pauvres; la deuxième colonne indique la part de la richesse totale détenue par chaque tranche selon Statistique Canada; et la troisième colonne la part de la même tranche selon l'étude du DPB.
Avec les nouvelles estimations du DPB, le 1 pour cent le plus riche possède à peu près autant que les 80 pour cent les plus pauvres. La classe moyenne aisée – les 9 pour cent qui suivent immédiatement le 1 pour cent supérieur – possède quant à elle 30,8 pour cent de la richesse.
L’ensemble des millionnaires et milliardaires qui figurent parmi les 10 pour cent les plus riches possèdent la somme astronomique de 5.829 milliards de dollars.
Dès qu’on quitte ce seuil des 10 pour cent les plus riches, qui requiert une fortune familiale nette de 1,4 million de dollars pour en faire partie, la part de la richesse chute drastiquement.
Les 90 pour cent restants de la population – soit l’immense majorité – possèdent seulement 43,6 pour cent de la richesse totale, en forte baisse par rapport aux 52,4 pour cent estimés par Statcan. Quant aux 40 pour cent les plus pauvres, ils n’ont quasiment rien (1,2 pour cent).
Ces nouveaux chiffres apportent un démenti formel aux efforts constants de la classe dirigeante canadienne pour projeter l’image d’une société «plus juste» que la «république rapace du dollar».
Si aux États-Unis, le pays capitaliste avancé le plus inégalitaire au monde, les 3 personnes les plus riches possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population, au Canada, 44 milliardaires détenaient en 2019 une fortune combinée de 141 milliards de dollars, soit un peu plus que les 40 pour cent les plus pauvres du Canada.
La différence d’inégalité des richesses entre les deux pays est purement relative. La tendance fondamentale demeure, de chaque côté de la frontière, un fossé grandissant entre la classe ouvrière, d’un côté, et l’oligarchie capitaliste et les sections des plus privilégiées de la classe moyenne, de l’autre côté. C’est un processus mondial. Selon l’organisme caritatif international Oxfam, le 1 pour cent le plus riche de la planète possède deux fois plus de richesses que les 6,9 milliards d’êtres humains les plus pauvres.
Et plus on s’approche des extrêmes, plus cet écart de richesse se creuse. Les 0,01 pour cent les plus riches, à peine 1.500 familles canadiennes, détiennent 574 milliards de dollars, comparativement à 128 milliards pour les 40 pour cent les plus pauvres – plus de 6 millions de familles.
Le vaste écart de richesses a des conséquences immédiates et dévastatrices sur la vie des gens. Les couches les plus pauvres de la société sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé, de recevoir une éducation de qualité inférieure et de mourir bien des années avant leurs homologues ultra-riches.
Le portrait plus précis – et accablant – des profondes inégalités sociales générées par le capitalisme canadien émerge d’une analyse plus poussée des données disponibles sur la répartition des richesses.
Le DPB explique sa méthodologie en la comparant à celle adoptée par Statistique Canada dans son Enquête de 2016 sur la répartition des richesses, où le patrimoine de la famille canadienne la plus riche est évalué à «seulement» 27 millions – dans un pays connu pour ses nombreux milliardaires.
La grossière «erreur» de StatCan, explique le DPB, découle du fait que son enquête repose sur un questionnaire. Sachant que les bien nantis boudent généralement de tels questionnaires, StatCan a tenté de compenser en surreprésentant les régions où vivent les familles riches, mais cette méthode s’est avérée nettement insuffisante.
Le DPB a adopté pour sa propre étude une approche plus objective, basée sur les travaux des économistes Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, qui ont une réputation internationale bien méritée en tant que chercheurs sur les inégalités sociales. Le modèle élaboré par le DPB permet de croiser les chiffres de la dernière enquête de StatCan avec les Comptes du bilan national (les bilans financiers des ménages) et la liste des 100 personnes les plus riches du magazine Canadian Business(où la moins riche possède 875 millions de dollars). Ces données sont toutes publiques.
Selon le DPB, son étude a été motivée par le besoin de déterminer l’impact financier de propositions faites lors de l’élection fédérale de 2019. L’une d’entre elles était la promesse électorale du NPD social-démocrate d’imposer une taxe de 1 pour cent sur la fortune des familles possédant plus de 20 millions de dollars. En fait, c’est le caractère dérisoire d’une telle mesure – que le NPD pro-patronal et pro-austérité n’avait de toute façon aucune réelle intention d’appliquer – qui ressort de l’étude.
L'accumulation de la richesse dans très peu de mains au sommet de la société et la pauvreté et la misère généralisées dans la population générale sont des produits du système de profit capitaliste. Mais il serait erroné d’y voir des processus économiques objectifs et impersonnels à l'œuvre.
L'accélération spectaculaire de l'inégalité sociale au cours des quatre dernières décennies, qui n'est pas saisie par l'instantané fourni dans le rapport du DPB, est le résultat du féroce programme d'austérité qu'ont imposé la classe dominante et tous ses partis politiques. Les immenses richesses sociales générées par le travail de la classe ouvrière sont canalisées vers le sommet de la pyramide sociale en combinant des baisses d’impôts pour la grande entreprise et les riches, la privatisation et la déréglementation, des coupes drastiques dans les services publics, et des attaques constantes sur les salaires, les avantages sociaux et les retraites.
Ce processus s’est accéléré avec la crise du coronavirus qui a servi de prétexte à un renflouement massif de la grande entreprise et de l’aristocratie financière par le gouvernement libéral de Trudeau, au coût de 650 milliards de dollars. Entre le 16 mars et le 16 mai, période qui correspond aux deux premiers mois officiels de la pandémie de COVID-19 qui a coûté la vie à des milliers et plongé des millions dans le chômage, les 5 plus gros milliardaires du Canada ont vu leur fortune augmenter de 9 pour cent, selon la revue Forbes.
Soulignant l'unanimité au sein de l'élite dirigeante sur cette politique, le gouvernement Trudeau a reçu le soutien crucial des syndicats et du NPD pour mener à bien ce transfert de richesse sans précédent, qui conduira tôt ou tard à une nouvelle série de féroces attaques contre la classe ouvrière. Ce nouvel assaut sur les travailleurs sera justifié par le refrain mensonger – pleinement démenti par les chiffres du DPB – qu’«il n’y a pas d’argent» pour les services sociaux essentiels et des salaires plus élevés.
Les écarts extrêmes de richesse qu’on observe autant au Canada qu’aux États-Unis et ailleurs, sont le signe d’une société de plus en plus oligarchique. Les attaques incessantes sur le niveau de vie des travailleurs sont accompagnées d’un assaut sur les droits démocratiques au pays, et d’un tournant vers le militarisme et l’agression impérialiste à l’étranger.
Pour s'y opposer, la classe ouvrière doit se mobiliser en tant que force politique indépendante dans la lutte pour l'égalité sociale et pour un gouvernement ouvrier qui réorganisera l'économie selon des lignes socialistes afin de répondre aux besoins sociaux de tous.