Sur ordre du gouvernement libéral fédéral et malgré les objections énergiques du premier ministre du Québec, François Legault, les forces armées canadiennes ont maintenant retiré la quasi-totalité des plus de 1500 militaires déployés dans les résidences pour personnes âgées du Québec et de l'Ontario ravagées par le coronavirus.
En réponse aux appels urgents de Legault et du premier ministre de l'Ontario Doug Ford, le gouvernement Trudeau a accepté en avril d'envoyer des troupes des Forces armées canadiennes (FAC) – y compris une grande partie de son corps médical – dans les établissements de soins de longue durée des deux provinces les plus touchées par la pandémie de COVID-19. Au 28 mai, 1475 soldats étaient déployés dans 23 centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) du Québec, tandis que 285 autres soldats aidaient le personnel dans quatre résidences de l'Ontario et allaient bientôt être déployés dans trois autres.
Les soldats ont été appelés pour combler un manque chronique de personnel dans les résidences pour personnes âgées après des décennies de coupes dans les services publics soutenues et mises en œuvre par tous les partis de l'establishment, des libéraux et des conservateurs au NPD, en passant par le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec (CAQ) de Legault. La pénurie de personnel a été exacerbée par une gestion catastrophique de la pandémie et un manque d'équipement de protection qui a entraîné l'infection de milliers de travailleurs de la santé et plus d'une douzaine de décès.
Les conséquences mortelles de ces politiques sont visibles dans les taux élevés de mortalité dans les résidents pour personnes âgées, qui représentent plus de 80% des plus de 8500 décès dus à la COVID-19 au Canada. Le caractère fallacieux de l'affirmation du gouvernement Trudeau selon laquelle la situation est maintenant «maitrisée» est démontré par le fait que plus de 1100 résidents demeurent infectés par la COVID-19 dans près de 220 CHSLD, résidences privées pour personnes âgées et établissements de soins intermédiaires du Québec.
Legault avait plaidé auprès d'Ottawa pour maintenir jusqu'à un millier de membres des FAC déployés dans les résidences pour personnes âgées du Québec jusqu'à la mi-septembre, date à laquelle les quelque 10.000 nouveaux infirmiers recrutés et formés à la hâte sont censés être prêts à travailler. Mais le gouvernement libéral, encouragé par les hauts gradés des FAC, a insisté dès la fin mai sur la nécessité de mettre rapidement un terme à ce déploiement.
Trudeau a souligné que l'implication militaire «n'est pas une solution à long terme. ... C'est une mesure préliminaire, et nous devons voir comment nous pouvons la faire passer à l'étape suivante afin que le Québec puisse prendre directement le contrôle de la situation.»
La réalité est que ni Trudeau ni Legault n'ont donné la priorité à la protection des vies humaines. Leurs gouvernements ont supervisé une réponse désastreuse et improvisée à une pandémie qui était à la fois prévisible et prévue. Même lorsque la pandémie de COVID-19 s'est propagée en février et au début mars, ils n'ont rien fait pour assurer un approvisionnement adéquat en équipements de protection individuelle et autres fournitures médicales essentielles, comme les respirateurs, ou pour développer des capacités de tester en masse et de retracer les contacts.
Le déploiement de l'armée dans les maisons pour personnes âgées du Québec visait à donner au public l'impression que la pandémie était maitrisée, afin que le gouvernement CAQ de Legault puisse poursuivre sa stratégie meurtrière de retour au travail. Le retour forcé de centaines de milliers de travailleurs dans des lieux de travail dangereux a suivi, avec le soutien total du gouvernement Trudeau et des syndicats, alors même que le nombre de décès par habitant dans la province atteignait l'un des plus élevés au monde.
Le gouvernement Trudeau considérait également le déploiement du personnel des FAC dans les établissements de soins de longue durée de l'Ontario et du Québec comme un moyen de cultiver le soutien populaire pour l'armée et de légitimer ainsi les plans de réarmement et de guerre de l'impérialisme canadien.
En mettant maintenant un terme rapide à ce déploiement, Trudeau et ses libéraux répondent aux demandes de changement de cap des militaires, ainsi qu'aux impératifs de la politique étrangère agressive qu'ils mènent au nom des grandes entreprises canadiennes. Le gouvernement et le haut commandement des FAC veulent tous deux que les soldats cessent ce qu'ils ont qualifié officieusement de «changement de couches», afin qu'ils puissent être réaffectés à leur véritable mission: étendre la participation du Canada aux offensives militaires stratégiques dirigées par les États-Unis dans le monde entier; et se préparer à apporter leur soutien aux autorités civiles pour réprimer l'opposition de la classe ouvrière au pays.
À la fin mai, à peine un mois après le début du déploiement des militaires dans les établissements de soins, le ministre de la Défense Harjit Sajjan a déclaré: «Nous ne pouvons pas tenir comme ça pendant encore quatre mois.» Il a ensuite déclaré: «Les ressources des forces armées canadiennes ne sont pas illimitées.»
D'un point de vue purement technique, de telles affirmations sont absurdes. En mars, les militaires ont affirmé que quelque 24.000 membres du personnel régulier et de la réserve avaient été mobilisés pour répondre à la crise de COVID-19. Si l'armée canadienne est réellement soucieuse de sauver des vies et de renforcer le système de santé, pourquoi considère-t-elle comme un fardeau intolérable le déploiement d'un millier de soldats – c'est-à-dire une infime partie de la force qu'elle avait soi-disant mise de côté pour combattre le virus – dans les résidences pour personnes âgées du Québec pour deux mois et demi supplémentaires ?
La réponse est que le but sous-jacent de la mobilisation militaire est, et a toujours été, de défendre les intérêts de l'impérialisme canadien, tant au pays qu'à l'étranger.
Le chef d'état-major de la Défense Jonathan Vance a annoncé en mars que les 24.000 soldats affectés à la lutte contre la COVID-19 étaient «sur le pied de guerre» et devaient être «prêts à se battre». Le lieutenant-général à la retraite Alain Parent a ajouté à l'époque que les soldats affectés à la force opérationnelle «anti-COVID-19» pour la durée de la pandémie ne se contenteraient pas de fournir une assistance médicale. Ils seraient également utilisés pour «la surveillance, la sécurité et le renforcement de l'ordre public.»
Le retrait des soldats des maisons de soins permettra aux militaires de redéployer le personnel des FAC dans les missions militaires en cours dans le monde entier. Alors que les guerres et les préparatifs de guerre au Moyen-Orient, en Europe de l'Est et en Asie de l'Est se sont poursuivis tout au long de la pandémie, un certain nombre de soldats canadiens ont été temporairement rapatriés. Aujourd'hui, le gouvernement Trudeau a l'intention d'intensifier rapidement ces missions, tout en approfondissant le partenariat militaro-stratégique du Canada avec l'administration Trump, qui intensifie de façon téméraire l'agression contre la Chine et la Russie afin de détourner la colère des masses au pays.
Les missions actuelles des FAC à l’étranger comprennent:
Le déploiement de navires de guerre et d'avions pour intimider la Corée du Nord et pour imposer de lourdes sanctions économiques et diplomatiques contre ce pays appauvri,
Le redéploiement de centaines de soldats en Irak dans le cadre d'une mission de formation de l'OTAN dirigée par le Canada, ainsi que l'envoi de forces spéciales dans le nord du pays pour aider les Peshmerga kurdes à combattre les forces islamistes,
Le retour de 90 formateurs militaires en Ukraine, bientôt suivis par un second groupe de 50. Ils y rejoindront les 60 soldats des FAC restés dans ce pays pendant la pandémie dans le cadre d'une mission d'entraînement lancée en 2015 à la suite d'un coup d'État fomenté par Washington, dans le cadre de sa volonté d'encercler stratégiquement la Russie,
Le commandement d'un bataillon de l'OTAN de 1000 hommes en Lettonie, à la frontière occidentale de la Russie, qui fait partie d'un renforcement militaire dirigé par les États-Unis dans les États baltes et en Pologne.
Ces missions s'inscrivent dans le cadre de la nouvelle politique de défense nationale, «Protection, Sécurité, Engagement» (PSE), adoptée par le gouvernement libéral en 2017. Elle définit la Chine et la Russie comme des «menaces» stratégiques majeures pour le Canada et annonce une augmentation de 70% des dépenses militaires qui portera le budget de la défense à plus de 32 milliards de dollars canadiens d'ici 2026. Des centaines de milliards de dollars doivent être dépensés au cours des 20 prochaines années pour l'achat de nouvelles flottes d'avions de chasse et de navires de guerre et d'autres armements. Au début de ce mois, le gouvernement a inclus 585 millions de dollars canadiens dans son dernier projet de loi de dépenses pour les coronavirus afin de payer la poursuite des travaux de construction de deux navires de soutien naval. Les néo-démocrates (NDP), qui ont soutenu à plusieurs reprises le programme de réarmement du gouvernement, ont voté en faveur du projet de loi.
L'élite dirigeante du Canada réclame de plus en plus une nouvelle volée de mesures d'austérité pour payer les centaines de milliards de dollars de fonds de renflouage que le gouvernement Trudeau a versés dans les coffres des grandes banques et des super-riches. Les dépenses consacrées à l'armée canadienne vont cependant continuer à augmenter. La sous-ministre à la Défense nationale, Jody Thomas, a récemment déclaré à la presse canadienne: «Nous ne connaissons aucun ralentissement. ...Nous continuons à poursuivre notre plan de manière très agressive et ambitieuse.»
«Dans un monde post-COVID», a poursuivi Thomas, «il est nécessaire que la PSE soit en fait réalisée plus rapidement plutôt que de la ralentir ou de réduire le budget.»
Sur le plan intérieur, l'élite dirigeante craint une explosion sociale en raison de la crise économique qui s'aggrave, du chômage de masse et de l'accroissement des inégalités sociales. Les manifestations multiraciales de masse qui ont uni les travailleurs et les jeunes à travers les États-Unis contre la violence policière et le racisme à la fin mai et au début juin sont une première expression d'une radicalisation politique mondiale. L’élément déclencheur de ces manifestations, qui se sont rapidement étendues au monde entier et ont attiré des dizaines de milliers de participants dans tout le pays, a été le meurtre brutal de George Floyd. Cependant, elles ont été motivées plus fondamentalement par la colère croissante contre un ordre social qui n'a rien à offrir aux travailleurs et aux jeunes.
Dans ces conditions, l'armée se prépare activement à réprimer l'opposition de masse, ou ce que le général Vance a appelé par euphémisme «le pire des scénarios» lorsqu'il a exposé les objectifs du déploiement de l'armée en réponse à la COVID-19 en mars.
Il y a tout juste quatre mois, lorsque des manifestants autochtones ont bloqué des lignes de chemin de fer à travers le pays pour s'opposer à la construction d'un pipeline sur les terres des Wet'suwet'en, une grande partie de l'élite dirigeante canadienne a exigé que l'armée soit déployée pour briser les barricades. Finalement, le gouvernement Trudeau, avec le soutien du NPD, des Verts et du Bloc Québécois, a pu conclure un accord avec les manifestants qui impliquait le démantèlement de certaines barricades par la police.
(Article paru en anglais le 27 juin 2020)
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