Perspective

L’occupation d’Ottawa par l’extrême-droite : le coup du 6 janvier s’exporte

Le Parlement et la capitale nationale du Canada se trouvent maintenant assiégés depuis 12 jours par des militants d’extrême-droite et fascistes, dont beaucoup sont équipés d’armes à feu et d’autres armes mortelles. Ils jurent de poursuivre leur occupation du centre-ville d’Ottawa jusqu’à ce qu’on abolisse toutes les mesures de santé publique qui visent à prévenir la propagation du COVID-19.

Des manifestants montrent leur soutien au Convoi de la liberté, composé de camionneurs qui se rendent à Ottawa pour protester contre le mandat du gouvernement canadien concernant le vaccin contre la COVID-19, le jeudi 27 janvier 2022, à Vaughan. (Photo: Arthur Mola/Invision/AP) [AP Photo/Arthur Mola/Invision/AP]

La grande majorité des Canadiens – y compris les camionneurs, dont près de 90 pour cent sont entièrement vaccinés – considèrent ce « convoi de la liberté » d’extrême droite avec dégoût.

Néanmoins, le Convoi constitue une menace grave et imminente pour les droits démocratiques et sociaux des travailleurs au Canada et dans le monde.

Deux raisons essentielles existent. Tout d’abord, des sections puissantes de l’élite capitaliste dirigeante du Canada ont mis sur pied le Convoi. Ce dernier sert d’instrument extra-parlementaire à ces sections. Elles se trouvent politiquement dirigées par l’opposition officielle du Parti conservateur et une grande partie des médias patronaux. Leur objectif est de pousser la politique très à droite. Cela commence par l’abandon de toutes les mesures anti-COVID-19 et par mettre fin au gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau. Ensuite, ils visent à le remplacer avec un régime qui non seulement s’engage à poursuivre encore plus agressivement la guerre de classe au pays ; mais aussi qui va défendre les intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien dans le monde.

Cette conspiration antidémocratique et anti-ouvrière est aidée et encouragée par Donald Trump, d’autres figures de proue du coup d’État manqué du 6 janvier 2021 et la racaille fasciste qui leur a servi de troupes de choc dans la tentative de renverser les résultats de l’élection présidentielle américaine de 2020 en prenant d’assaut le Capitole américain. Ces forces apportent au Convoi un soutien politique, financier et logistique important.

Il s’agit, en d’autres termes, d’une conspiration transfrontalière d’extrême-droite. En avril 2020, Trump a appelé ses partisans à « libérer » le Michigan et d’autres États, en organisant des rassemblements dirigés par des fascistes pour exiger la fin de toutes les restrictions COVID-19, alors que les États-Unis procédaient à la réouverture prématurée des entreprises et des écoles. Dans le Michigan, ces rassemblements ont débouché sur un complot très avancé visant à renverser le gouvernement de l’État et à enlever le gouverneur Gretchen Whitmer. Ce sont ces forces qui ont ensuite fourni les effectifs pour l’insurrection du 6 janvier.

La conspiration actuelle cherche à exploiter la colère et la frustration suscitées par la réponse ruineuse du gouvernement Trudeau à la pandémie. Parce qu’il est en conflit avec les intérêts de l’élite patronale canadienne, Trudeau a rejeté une politique scientifique de Zéro COVID et n’a mis en œuvre que des mesures d’atténuation de plus en plus limitées, ce qui a entraîné cinq vagues d’infections et de morts massives.

La deuxième raison, encore plus fondamentale, pour laquelle le convoi, incité par l’élite et dirigé par l’extrême droite, représente un danger réel et urgent, est que la classe ouvrière se trouve politiquement muselée et démobilisée par les syndicats et le Nouveau Parti Démocrate (NPD).

Le convoi a déjà été utilisé pour faire évoluer la politique canadienne nettement vers la droite. Les partisans les plus visibles du Convoi parmi la cabale des premiers ministres provinciaux de droite, Scott Moe de la Saskatchewan et Jason Kenney de l’Alberta, se sont engagés à lever immédiatement toutes les mesures de santé publique anti-COVID restantes, alors même que la vague Omicron a fait grimper le nombre de décès à des niveaux que l’on n’avait vus qu’aux jours les plus sombres de la pandémie.

Vendredi, l’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Thérésa Tam, qui sert au bon vouloir de Trudeau, a déclaré que les Canadiens « doivent apprendre à vivre avec le virus ». Dans une déclaration qui ne serait que de la musique aux oreilles des meneurs du convoi d’extrême droite, Tam a proclamé que toutes les politiques de santé publique devront être « réexaminées » dans les semaines à venir, car « ce virus ne va pas disparaître ».

Mercredi dernier, les conservateurs ont éjecté Erin O’Toole de son poste de chef pour ne pas avoir soutenu à fond l’occupation d’Ottawa. Sa remplaçante par intérim, Candice Bergen, a publiquement présenté les éléments d’extrême-droite qui occupent le centre-ville d’Ottawa comme des « Canadiens patriotes et épris de paix ». Elle a demandé au Premier ministre Trudeau de leur tendre un « rameau d’olivier ». En privé, dans des courriels adressés aux principaux dirigeants du parti et divulgués au Globe and Mail, elle a soutenu que les conservateurs devraient appuyer l’occupation continue d’Ottawa afin d’en faire « le problème de Trudeau ».

Trump et les autres chefs de l’insurrection du 6 janvier n’ont pas seulement accueilli favorablement l’occupation d’Ottawa. Ils en font le point central de leurs efforts pour mobiliser leurs partisans dans un nouvel assaut violent contre l’ordre constitutionnel démocratique. Dans une déclaration provocatrice vendredi, Trump a déclaré : « Le convoi de la liberté proteste pacifiquement contre les politiques dures de Justin Trudeau, un fou d’extrême-gauche qui a détruit le Canada avec des obligations folles concernant la Covid. » Le sénateur du Texas et acolyte de Trump Ted Cruz, le gouverneur d’extrême droite de Floride Ron DeSantis et la députée Marjorie Taylor Greene, membre du groupe fasciste QAnon, ont tous pesé dans le même sens.

La police d’Ottawa a confirmé qu’un important contingent des occupants est américain et qu’une grande partie des ressources financières soutenant le convoi proviennent des États-Unis. Les militants américains d’extrême-droite qui assiègent le Parlement canadien sont soit des vétérans de la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier, soit des membres du réseau nord-américain très soudé de groupes fascistes, comme les Proud Boys, qui ont aidé à l’organiser.

Du point de vue de Trump et de ses intrigants, l’occupation d’Ottawa est une continuation de leur complot du 6 janvier. Suite à l’appel de Trump pour que le Convoi serve d’exemple aux Américains, des groupes d’extrême droite à travers les États-Unis organisent maintenant, selon Politico, des manifestations du même genre pour occuper les capitales des États, de l’Alabama au Wyoming. Ils ont aussi un plan pour converger vers Washington D.C. pendant la première moitié de mars.

Si Trump, Cruz et leurs alliés d’extrême droite peuvent s’organiser aussi ouvertement et publiquement, c’est avant tout grâce au rôle criminel joué par Biden et les démocrates. Plus d’un an après le coup d’État manqué du 6 janvier 2021, les démocrates ont systématiquement couvert le rôle du Parti républicain dans le soutien au putsch. Ils ont refusé d’inculper Trump ou l’un quelconque de ses principaux partenaires dans ce coup.

L’occupation d’Ottawa par le convoi de la liberté marque un point d’inflexion dans l’effondrement de la démocratie canadienne. Elle s’inscrit dans le cadre d’une évolution des élites dirigeantes du monde entier vers des formes de pouvoir dictatoriales.

Tout au long des deux dernières années de la pandémie, les gouvernements des puissances impérialistes d’Amérique du Nord et d’Europe ont systématiquement donné la priorité aux profits sur les vies. Cela a entraîné des millions de morts. Les milliardaires et les 1 pour cent les plus riches se sont gavés de renflouements gouvernementaux et de l’injection incessante de fonds dans les marchés financiers. Mais, les travailleurs ont tout au plus reçu une aide insuffisante en cas de pandémie. Au milieu de cette horrible crise sanitaire et sociale, les impérialismes américain et canadien, ainsi que leurs alliés européens, cherchent à pousser la Russie, dotée de l’arme nucléaire, dans une guerre catastrophique. En même temps, ils augmentant les tensions avec la Chine.

Faute de soutien populaire pour leur programme criminel de contagions et de morts en masse, de militarisme et d’inégalités sociales toujours plus grandes, les élites dirigeantes capitalistes mobilisent l’extrême-droite pour intimider la classe ouvrière. Elles trouvent dans les fascistes, avec leur marque toxique de nationalisme, leur anti-égalitarisme brutal et leur vénération de la violence, la distillation de leur propre recherche du profit et de leur indifférence à la vie humaine.

Dans tous les grands pays capitalistes, des États-Unis en avril 2020 à l’Allemagne, la France et maintenant le Canada, la classe dirigeante a utilisé les forces d’extrême droite et fascistes pour mener et imposer le démantèlement de toutes les mesures de santé publique anti-COVID-19.

Le patronage des forces d’extrême droite par l’élite dirigeante est motivé avant tout par sa crainte que la classe ouvrière, radicalisée par la pandémie et des décennies d’attaques contre son niveau de vie, n’entre dans des luttes de masse à travers le monde.

Le grand danger est que cette rébellion croissante de la classe ouvrière n’a pas encore trouvé son articulation politique sous la forme d’un mouvement de masse pour le socialisme en opposition à l’ensemble de l’establishment politique, y compris ses faux partis de « gauche » et ses syndicats patronaux.

Sans l’intervention politique de la classe ouvrière, toutes les issues possibles à l’impasse actuelle à Ottawa ne feront que produire une nouvelle dérive vers la droite, mettant en péril les droits démocratiques et sociaux les plus fondamentaux de la classe ouvrière.

Si Trudeau parvient à une « solution politique » avec la foule d’extrême droite, cela ne fera qu’enhardir les fascistes et leurs soutiens réactionnaires dans les cercles dirigeants. Si le gouvernement Trudeau fait appel à l’armée pour mettre fin à l’occupation, les forces armées joueront un rôle sans précédent dans la vie politique canadienne, la viabilité du gouvernement dépendant de la satisfaction des hauts gradés de l’armée et de l’appareil de sécurité nationale. Les conservateurs et les médias bourgeois vont exploiter un affrontement violent quelconque entre les manifestants et la police pour intensifier leurs attaques contre Trudeau et leurs efforts pour amener au pouvoir un régime conservateur de style Boris Johnson aligné avec l’extrême droite.

La lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière acquiert maintenant une urgence brûlante. La pointe de cette lutte doit être une exposition implacable du rôle des syndicats et du NPD, qui ont soutenu le gouvernement Trudeau et sa stratégie de faire passer « les profits avant les vies » tout au long de la pandémie.

Les syndicats et le NPD ont systématiquement couverts le rôle que les conservateurs et d’autres sections importantes de l’élite dirigeante ont joué dans l’incitation du Convoi et sa transformation en une force extra-parlementaire dirigée par l’extrême-droite. Tout en dénonçant les occupants comme des « racistes » et des « suprémacistes blancs », ils ne mentionnent jamais le fait que le Convoi vise à démanteler toutes les mesures de santé publique liées à la COVID-19. Cette omission ne devrait pas surprendre étant donné que les syndicats et le NPD ont appliqué la campagne de retour au travail/retour à l’école tout au long de la pandémie en partenariat avec Trudeau.

Les syndicats d’Ottawa et de Toronto sont intervenus ces derniers jours pour saboter et faire taire les contre-manifestations contre le Convoi préparées par la base des travailleurs. La perspective des bureaucrates syndicaux a été résumée par le Congrès du travail du Canada. Ce dernier a ordonné à tous, dans un communiqué, de « laisser les députés élus se mettre au travail ». En d’autres termes, ils veulent que l’alliance entre les libéraux et les néo-démocrates continue à travailler pour contaminer toute la population avec la COVID-19, réduire l’aide aux travailleurs en cas de pandémie et préparer la guerre avec la Russie.

Les actions des syndicats et du NPD démontrent qu’ils craignent la perspective d’un mouvement de masse dirigé par les travailleurs depuis la base contre la guerre, l’austérité et la menace de dictature, bien plus que le danger de la violence politique de l’extrême droite fasciste.

La mainmise exercée par les syndicats et le NPD sur la classe ouvrière doit se faire briser par la construction d’un réseau de comités de la base dans chaque lieu de travail. Ces comités doivent rejeter de façon décisive le programme d’infection et de mort de masse mené par le Convoi de la liberté, reprendre la lutte pour une stratégie d’élimination globale du COVID-19, et mener une lutte politique pour briser l’emprise de l’oligarchie financière et de ses serviteurs politiques sur tous les aspects de la vie sociale et économique.

Cette lutte nécessite d’abord et avant tout la construction d’une direction politique socialiste dans la classe ouvrière. Seul un parti révolutionnaire, imprégné des leçons historiques des décennies de lutte intransigeante du mouvement trotskyste contre le stalinisme et la barbarie capitaliste, peut fournir cette direction. Nous demandons instamment à tous ceux qui, au Canada, sont prêts à lutter contre la menace posée par l’extrême-droite et l’impitoyable programme de guerre de classe de l’élite dirigeante, de rejoindre et de construire le Parti de l’égalité socialiste en tant que section canadienne du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 8 février 2022)

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