900.000 personnes manifestent contre Macron, les appareils syndicaux tentent d’étrangler la lutte

Hier, 900.000 personnes ont manifesté pour une 14e journée d’action contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. C’était la première journée d’action depuis le 1er mai, après six semaines pendant lesquelles les confédérations syndicales n’ont organisé aucune mobilisation contre la réforme pourtant rejetée par les trois-quarts de la Français et une écrasante majorité des travailleurs.

La mobilisation était en recul vis-à-vis de la mobilisation du 1er mai, de plus de 2 millions, voire plus de 3 millions quand Macron a imposé sa réforme sans vote à l’Assemblée. Cela ne reflète pas un changement d’opinion des travailleurs envers cette réforme illégitime. Mais les directions syndicales et leurs alliés politiques s’opposent à une lutte pour faire chuter Macron et protègent le gouvernement, et les masses sentent que cette mobilisation, dans sa forme actuelle, va à la défaite.

Loading Tweet ...
Tweet not loading? See it directly on Twitter

Le Parti de l’égalité socialiste (PES) a insisté sur l’importance de tirer les leçons essentielles de cette mobilisation ouvrière, la plus grande en France depuis Mai 68. La lutte contre la réforme est une lutte politique contre l’État capitaliste, et pour la mener il faut lutter pour faire chuter Macron. Ceci nécessite d’organiser les travailleurs à la base, dans des comités d’action afin de mener la lutte indépendamment d’appareils syndicaux qui sont complices de Macron et de l’État policier.

Les directions syndicales et la pseudo-gauche, elles, font tout leur possible pour étrangler la lutte et permettre non seulement à la loi illégitime de Macron de rester en place, mais aussi à la bourgeoisie française d’utiliser cet argent pour sa participation à la guerre de l’OTAN contre la Russie. Laurent Berger, le chef de la CFDT, a déclaré que les directions syndicales avaient l’intention de mettre fin à la lutte.

«Le match pour les retraites est en train de se terminer, qu’on le veuille ou non», a déclaré Berger sur BFM-TV. «C’est la dernière manifestation contre la réforme des retraites, sur ce format-là, on ne va pas se raconter d’histoire (...) Mais il y a toujours une colère et un ressentiment.»

Sophie Binet, la dirigeante de la CGT, a proclamé l’unité syndicale avec Berger, tout en prétendant être favorable à d’éventuelles mobilisations ultérieures. «Depuis six mois l'intersyndicale tient et elle tiendra», a-t-elle déclaré, avant d’ajouter: «Ce qui est sûr c'est que cela va continuer.»

La France insoumise (LFI) épaule la campagne des dirigeants syndicaux pour étouffer la lutte. «La lutte continuera», a dit Jean-Luc Mélenchon, ajoutant ensuite qu’on «ne sait pas sous quelle forme.» En effet, Mélenchon a laissé clairement entendre que LFI cherche «continuer» la lutte non pas en mobilisant les travailleurs, mais en collaborant plus étroitement avec les bureaucraties syndicales.

«D'une manière ou d'une autre, cette lutte va trouver son prolongement … Les jeux ne sont pas faits», a-t-il ajouté. «Je préfèrerais une organisation plus ample où les syndicats acceptent de collaborer avec les organisations politiques».

Or, toute l’expérience des luttes des millions de travailleurs et de jeunes contre Macron démontre qu’un gouffre de classe sépare les directions syndicales et les partis de pseudo-gauche des masses de travailleurs et de jeunes mobilisés contre Macron. Alors que des masses de travailleurs et de jeunes rejettent encore la réforme et le gouvernement, les milieux dirigeants veulent stopper la mobilisation contre Macron.

Dans la manifestation à Paris, les journalistes du WSWS ont interviewé Jérôme Fichet, délégué CGT à Safran dans la région du Havre, qui a rappelé la lutte des travailleurs des raffineries et des zones industrielles de la région contre la réforme.

Il a dit, «On a bloqué la zone industrielle, on a fait beaucoup de mal à l’économie havraise. On est venu ici pour prendre des contacts sur Paris, faire monter un peu la sauce. On trouve qu’il y en a besoin. Il faut que tout le monde se regroupe, se motive pour être plus fort. Le gouvernement ne fait que diviser les gens, il ne faut pas entrer dans ce jeu-là. Il faut montrer la force ouvrière et dire non, tout le monde sait bien qu’il y a plus de 50, 60, 70 pour cent des salariés et même des non-salariés qui sont contre cette réforme.»

Jérôme Fichet, délégué CGT à Safran dans la région du Havre.

Il a ajouté: «La légitimité n’est pas avec le gouvernement, il est avec le peuple. Il nous brosse les chaussures un peu pendant les élections, puis ensuite c’est: ‘Taisez vous, même si vous êtes trois millions dans la rue, mais c’est moi qui décide’. Mais non, ce n’est pas comme ça que ça se passe.»

Pointant la répression policière des piquets de grève et le caractère fascisant du gouvernement et du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, sympathisant de l’Action française, il a dit: «Il faut se regrouper et faire voir au gouvernement qu’on n’est pas d’accord avec ce régime totalitaire. … Quand l’Action française a manifesté, elle a dit, ‘Darmanin reviens on a besoin de toi’. Ils ont des sympathies fascistes.»

Interrogé à propos de les dépenses militaires que fait Macron avec l’argent pris aux retraites et au soutien de l’OTAN aux milices néonazies en Ukraine, Fichet a dit: «Il y a tout avec Internet et je ne dis pas que ce n’est pas bien. Mais on nous fixe là-dessus. On regarde l’intelligence artificielle, mais où est notre intelligence à nous, à regarder l’histoire et à ne pas recommettre les mêmes erreurs qu’avant? Parce que tout ce qui s’est passé en 1939-1940, c’est en train de se passer là. Ils sont en train de rouvrir le chemin à l’extrême droite.»

Le WSWS a aussi interviewé deux lycéennes, Judith et Lisa, venues manifester leur opposition à la réforme et à Macron.

Judith a exprimé son manque de confiance dans la politique des appareils syndicaux de négocier avec Macron: «Macron n’écoute pas beaucoup, il n’en fait qu’à sa tête. La majorité des Français sont contre, mais il ne veut rien entendre. Alors ils peuvent toujours essayer de négocier, ce sera toujours de façade. Pour lui, il peut ensuite dire, ‘Oui, on a essayé de parlementer et c’est comme ça.’ Mais je ne pense pas que cela changera quelque chose.»

A propos de la Loi de programmation militaire, Lisa a ajouté: «Surtout on n’a pas envie que l’argent qui était censé revenir à nos parents après qu’ils aient travaillé pendant toutes leurs carrières soit mis dans la guerre. C’est vraiment injuste. Nous, à la base, on ne fait pas partie de cette guerre. On n’a pas envie que tout cet argent soit réinvesti dans la guerre.»

Antoine, qui étudie aussi au Lycée Rodin à Paris et qui est membre des jeunesses de LFI, a également parlé aux journalistes du WSWS.

Antoine

Tout en soulignant son opposition à la réforme des retraites, Antoine a relayé les critiques que fait LFI de l’opposition du PES et du WSWS à l’augmentation du budget militaire français et à la guerre en Ukraine. Il a dit: «Pour les retraites, je n’irai pas chercher l’argent dans l’armée mais dans la fraude fiscale. La Loi de programmation militaire c’est une chose très importante pour la position internationale de la France. Comme les retraites c’est aussi très important».

Il a expliqué les arguments fournis par LFI pour défendre la politique étrangère de Macron: «Ce que je veux, c’est qu’il y ait la voix de la France indépendante, non pas la voix de la France derrière les Etats-Unis. Si Emmanuel Macron augmente le budget de l’armée afin d’avoir une armée forte et indépendante, alors là c’est oui. Mais si c’est juste pour fournir des caisses de munitions à Kiev pour qu’ils puissent se battre avec les Russes, là c’est non.»

Toutefois, Antoine a aussi avoué que ses camarades ne savent pas comment défendre les travailleurs et les droits démocratiques face à Macron et à l’État policier. Il a dit: «On ne sait pas quoi faire pour avoir quelque chose de démocratique, parce qu’il ne va rien lâcher. C’est un vrai problème. .. Après des manifestations monstrueuses et record, trois millions et demi de personnes dans les rues, des lycées bloqués, des cortèges énormes, des manifestations énormes, il n’a rien lâché et c’est très problématique pour la démocratie.»

En réalité, pour développer un mouvement contre la réforme des retraites et l’Etat policier dirigé par Macron, il faut rompre avec la perspective nationaliste et réactionnaire de renforcer l’impérialisme français, qu’il soit «indépendant» ou non de Washington. La guerre de l’OTAN contre la Russie à l’extérieur et la guerre de classes contre les travailleurs à l’intérieur sont deux faces de la même médaille. Pour lutte contre l’une, il faut s’opposer aussi à l’autre, et aux forces politiques de pseudo-gauche qui étranglent les luttes contre les deux.

La lutte pour défendre les droits démocratiques et sociaux des travailleurs nécessite à présent, comme insiste le PES, la formation de comités de la base pour organiser les luttes ouvrières contre les gouvernements capitalistes qui à travers l’Europe mènent l’austérité et la guerre. La lutte contre la réforme des retraites nécessite la construction de l’Alliance ouvrière internationale des comités de la base et d’un mouvement international antiguerre dans la classe ouvrière.

Loading