En janvier, des millions de jeunes et de travailleurs ont lancé une puissante mobilisation contre la réforme des retraites largement impopulaire d’Emmanuel Macron. Cette mobilisation s’est achevée ce mois, le 6 juin, avec l’imposition de la réforme contre la volonté des trois-quarts des Français, et le transfert sur le reste des années 2020 de presque 100 milliards d’euros des retraites vers l’armée via la réforme et la Loi de programmation militaire.
Il est temps de tirer les leçons de la première étape de cette lutte, que même les commentateurs bourgeois avouaient être la plus grande mobilisation depuis la grève générale de Mai 68. Elle a donné raison aux analyses avancées au cours du mouvement par le Parti de l’égalité socialiste (PES), section française du Comité international de la IVe Internationale (CIQI). En effet, le PES a insisté que la seule voie ouverte aux travailleurs était de lutter pour faire chuter Macron.
Face au contexte international de la guerre OTAN-Russie en Ukraine, qui plonge l’Europe dans une Troisième Guerre mondiale, l’impérialisme français s’est révélé intraitable. Il n’y avait rien à négocier avec Macron, qui n’avait d’autre stratégie que de passer en force. Les travailleurs se sont trouvés dans une situation qu’auraient comprise leurs aïeux des Première et Deuxièmes Guerres mondiales: pour bâtir «l’économie de guerre européenne» et mener des «guerres de haute intensité» que veut Macron, la bourgeoisie écrase leurs niveaux de vie.
Dans cette situation, de nouvelles explosions de la lutte des classes, en France comme à travers l’Europe et le monde, sont inévitables dans un avenir proche. Macron s’est discrédité. Il gouverne contre le peuple, sabordant des droits sociaux essentiels pour mener une guerre qui menace d’embraser toute l’Europe et de déboucher sur le recours à l’arme nucléaire. La question est de savoir quelle lutte il faut mener contre Macron.
La mobilisation contre la réforme des retraites a d’abord confirmé le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Elle a réfuté toutes les théories «populistes» antimarxistes selon laquelle la lutte des classes, l’opposition capital-travail, et la lutte des travailleurs contre le capitalisme seraient dépassées. Animés d’une énorme colère, les travailleurs et les jeunes se sont jetés dans ce qui était, comme l’a expliqué le PES, une lutte politique directe contre l’État capitaliste français.
Quand Macron a passé en force à l’Assemblée nationale, imposant sa réforme sans vote en utilisant l’article 49.3 antidémocratique de la Constitution française, des manifestations ont éclaté à travers la France. Le sol a tangué sous les pieds du gouvernement et de toute l’élite dirigeante. «Nous sommes dans une crise politique majeure», a paniqué Sandrine Rousseau de la Nouvelle union populaire de Jean-Luc Mélenchon à BFM-TV, où Alain Duhamel s’écriait: «Le risque est que les syndicats ne tiennent pas. Les directions syndicales pourront-elles tenir?»
La classe ouvrière était prête à une lutte révolutionnaire. Selon les sondages, les deux-tiers des Français voulaient bloquer l’économie pour stopper la réforme, ce qui signifiait faire chuter Macron. Alors que les travailleurs et les jeunes luttaient chaque soir contre des hordes de flics que Macron lachait sur les manifestants, 62 pour cent des Français, surtout parmi les travailleurs plus modestes, voulaient durcir la lutte contre Macron.
La deuxième leçon critique de cette expérience était que l’obstacle à une lutte révolutionnaire s’est révélé être précisément les mêmes bureaucraties qui prétendaient «organiser» la lutte, avec le soutien de partis de pseudo-gauche comme La France insoumise (LFI). Ceux-ci ont joué un rôle même plus décisif que les interventions violentes des flics pour étrangler la lutte.
En effet, les appareils de la CFDT et de la CGT se sont interposés pour empêcher les travailleurs de faire chuter Macron. Laurent Berger, chef de la CFDT, a exigé une «pause» dans le mouvement et une «médiation» avec Macron. Critiquant un «climat politique dangereux» et «une folie qui pourrait s’emparer de ce pays avec de la violence», Berger a déclaré: «Il vaut mieux faire redescendre la température que d’attiser les choses.»
Les bureaucraties syndicales, appuyées par LFI et le Nouveau parti anticapitaliste qui traitait les critiques des appareils syndicaux de «sectaires», foulait aux pieds la volonté des travailleurs. Les travailleurs et les jeunes qui ont parlé aux PES étaient unanimes dans leur hostilité et leur manque d’enthousiasme envers l’idée d’une médiation avec Macron. Mais les dirigeants syndicaux n’ont fourni aucune perspective au mouvement, ont laché les raffineurs et éboueurs grévistes attaqués par les forces de l’ordre, et ont peu à peu espacé les manifestations afin de laisser mourir la lutte.
Les bureaucraties syndicales tentaient d’étouffer l’opposition à un système verrouillé contre l’influence du peuple. L’Assemblée a refusé de censurer Macron pour le recours au 49.3, et le Conseil constitutionnel a validé la loi scélérate de Macron. Sophie Binet, la nouvelle dirigeante de la bureaucratie de la CGT, a réagi en déclarant: «On n’est pas dans la logique du grand soir.»
C’est un avertissement quant au rôle des centrales syndicales lors de crises mortelles du capitalisme. En 1914, elles se sont rangées derrière l’Union sacrée pro-guerre allant des social-démocrates aux forces nationalistes antisémites comme l’Action française. En 1940, elles se sont rangées pendant un temps derrière l’ignoble vote de l’Assemblée nationale, le 10 juillet 1940, des pleins pouvoir au dictateur collaborationniste Philippe Pétain.
Alors que le monde est au bord d’une Troisième Guerre mondiale, les bureaucraties préparent à nouveau des catastrophes historiques, si la classe ouvrière ne se mobilise pas indépendamment d’elles pour prendre ses propres luttes en main.
Finalement, la lutte contre la réforme des retraites a grandement contribué à clarifier quel est le parti trotskyste en France. En effet, c’est le PES, et non pas les descendants politiques de divers renégats petit-bourgeois du trotskysme qui ont rompu il y a longtemps avec le CIQI.
Le PES a appelé à une révolte ouvrière contre la bureaucratie, en construisant des comités d’action à la base pour préparer une grève générale et faire chuter Macron. Il a souligné la nécessité de relier cette lutte à la construction d’un mouvement antiguerre parmi l’explosion des luttes de classe qui se déroule actuellement à travers l’Europe. Quand Macron a imposé sa réforme à l’Assemblée, le PES a développé cette perspective dans son appel à faire chuter Macron, en écrivant:
«Macron, ce centre névralgique des conspirations financières et policières contre le peuple, doit être renvoyé. Cela ne peut se faire, cependant, qu'en mobilisant des masses de travailleurs à la base dans une campagne pour renvoyer Macron, abolir les pouvoirs draconiens de la présidence française et préparer une grève générale contre son gouvernement. …
«Il faut discuter et adopter, sur chaque lieu de travail et dans chaque école, des résolutions exigeant la chute de Macron. Des assemblées générales de travailleurs et de jeunes devront débattre et adopter ces résolutions, et des comités qu’elles formeront sur les lieux de travail pourront partager et publier ces résolutions pour unir la classe ouvrière contre Macron. Cette mobilisation indépendante, permettant aux travailleurs de prendre conscience de leur force collective, créera les conditions pour une grève générale pour chasser Macron du pouvoir.»
Diverses autres tendances petite-bourgeoises, comme Révolution permanente, Le Bolchévik, ou le Parti ouvrier indépendant démocratique (POID) lambertiste ont certes critiqué les directions syndicales. Mais ils insistaient que la seule perspective était d’implorer les directions syndicales de fournir aux travailleurs un «plan de bataille» contre Macron. Or, les bureaucraties n’avaient aucune intention de le faire. L’issue de la lutte contre la réforme a révélé la faillite de tous ceux qui faisait miroiter ces faux espoirs devant les travailleurs.
Les défenseurs petit-bourgeois des bureaucraties partaient tous de la déclaration de foi du dirigeant de Révolution permanente, Juan Chingo, qui pendant cette lutte a déclaré: «La situation n’est pas révolutionnaire.» Et de même, ils s’alignaient sur la guerre de l’OTAN en Ukraine, en évitant de soulever le lien entre la réforme de Macron et les projets guerriers de l’impérialisme français.
Or, la situation est objectivement révolutionnaire. On le voit non seulement à travers la lutte des travailleurs contre Macron en France, mais dans la vague de grève qui secoue toute l’Europe, alors que des millions de travailleurs se mobilisent en Allemagne, en Grande Bretagne, en Espagne, en Italie, au portugal, en Belgique, en Roumanie, en Tchéquie et au-delà.
La question décisive dans ce contexte est: Quel est le parti trotskyste qu’il faut construire pour permettre aux travailleurs de briser l’opposition des bureaucraties pro-capitalistes à une lutte révolutionnaire. Cette tendance est le CIQI et, en France, le PES.