Perspective

Sommet de guerre de Biden avec le Japon et la Corée du Sud

Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol, à gauche, et le Premier ministre japonais Fumio Kishida, à droite, écoutent le président Joe Biden lors d’une conférence de presse conjointe, le vendredi 18 août 2023, à Camp David, la retraite présidentielle près de Thurmont, dans le Maryland. [AP Photo/Andrew Harnik]

Le sommet de Camp David qui s’est tenu vendredi dernier entre le président américain Joe Biden, le Premier ministre japonais Fumio Kishida et le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a marqué une étape inquiétante dans l’accélération de la campagne guerrière des États-Unis contre la Chine.

Sous couvert de maintenir la «paix et la stabilité» en Asie et de «dissuader la Chine», l’impérialisme américain et ses deux principaux alliés militaires en Asie du Nord-Est ont convenu d’une collaboration militaire et économique dont la seule signification est la préparation à la guerre. Il s’agit notamment de jeux de guerre annuels conjoints, d’un partage élargi des renseignements militaires, de la consolidation des chaînes d’approvisionnement et d’une ligne directe de communication tripartite d’urgence pour les dirigeants.

La coopération militaire du Japon et de la Corée du Sud, qui accueillent tous deux d’importantes bases américaines et des dizaines de milliers de militaires, est essentielle aux plans de guerre des États-Unis contre leur rival doté de l’arme nucléaire. Les communications et l’échange de renseignements sont essentiels dans tout conflit moderne. Mais ils sont particulièrement importants pour la coordination des systèmes sophistiqués de missiles antibalistiques au Japon et en Corée du Sud, qui sont cruciaux pour la stratégie du Pentagone en cas de guerre nucléaire avec la Chine.

Le fait que Biden ait pu surmonter l’hostilité de longue date engendrée par la colonisation brutale de la Corée par le Japon a été applaudi dans les cercles dirigeants américains. Un article d’opinion paru dans le Washington Post a salué «l’accomplissement majeur de Biden», qui représente une étape importante vers «une nouvelle alliance trilatérale» pour contrer «les menaces croissantes de la Corée du Nord et de la Chine».

Le Wall Street Journal a consacré un éditorial au «succès de Biden en Asie du Nord», déclarant que le sommet était «un succès diplomatique, tant par son symbolisme que par sa substance». Il a rejeté les critiques selon lesquelles la réunion n’avait pas permis d’établir un pacte équivalant à l’OTAN qui engagerait les trois puissances à mener une action militaire, déclarant: «Les États-Unis ont déployé des forces au Japon et en Corée du Sud, et personne ne pense que ces troupes resteront dans leurs casernes si l’un des pays est attaqué.»

Dans le même temps, l’éditorial déclare que Biden doit faire beaucoup plus pour renforcer l’armée américaine et impliquer le Japon et la Corée du Sud afin de mettre la Chine sur la touche économiquement. «Dans une région où la Chine cherche à dominer militairement et économiquement, il n’y a pas de substitut à l’influence qui découle de la puissance militaire américaine et du libre-échange», écrit l’éditorial.

Si la Corée du Nord est mentionnée comme une menace, il ne fait aucun doute que la Chine est la principale cible de l’alliance militaire trilatérale dirigée par les États-Unis. Alors même qu’il s’engage imprudemment dans une guerre d’escalade contre la Russie en Ukraine, l’impérialisme américain considère la Chine comme la principale menace à son hégémonie mondiale de l’après-Seconde Guerre mondiale.

Une interview réalisée ce mois-ci par Der Spiegel avec Elbridge Colby, conseiller à la sécurité nationale au sein de l’ancien gouvernement Trump, est intitulée «La stratégie américaine dans le conflit des grandes puissances: Xi est beaucoup plus dangereux que Poutine». Colby, dont le grand-père a dirigé la CIA sous la présidence de Nixon, «exige que les Européens portent seuls le fardeau de la guerre en Ukraine. Les États-Unis ont besoin de toutes leurs ressources pour se préparer à une guerre avec la Chine», explique le magazine allemand.

Tout comme la guerre en Ukraine, qui est le résultat de l’empiètement de l’OTAN sur les frontières russes dans le sillage de la dissolution de l’Union soviétique et du coup d’État d’extrême droite à Kiev soutenu par les États-Unis en 2014, la confrontation croissante des États-Unis avec la Chine a des racines historiques profondes.

Après la réunion de rapprochement Nixon-Mao en 1972, l’impérialisme américain a exploité la Chine comme un bélier contre l’URSS. Puis, lorsque le Parti communiste chinois s’est rallié à la restauration du capitalisme, les États-Unis ont utilisé la Chine comme une immense source de main-d’œuvre bon marché. Toutefois, la croissance même de l’économie chinoise pour devenir la deuxième économie mondiale a commencé à saper la position de Washington dans le monde.

Les préparatifs de guerre des États-Unis contre la Chine ont commencé avec le «pivot vers l’Asie» du gouvernement Obama, une stratégie diplomatique, économique et militaire globale visant à saper l’influence de la Chine en Asie, à former un bloc économique excluant Pékin et à renforcer les forces militaires et les alliances des États-Unis dans toute la région. Le «rééquilibrage» militaire, qui alloue 60 pour cent des ressources aériennes et navales du Pentagone à la région indo-pacifique, s’est achevé en 2020, et le renforcement militaire se poursuit à un rythme soutenu.

Asie du Nord-est [Photo by NormanEinstein / CC BY-SA 3.0]

Le gouvernement Trump a poursuivi la confrontation, en imposant des tarifs commerciaux punitifs et des sanctions économiques à la Chine, qui ont été maintenus et considérablement élargis sous le gouvernement Biden. Au nom de la «sécurité nationale», Biden, qui a été vice-président sous Obama, a imposé des interdictions d’exportation qui visent à paralyser les industries chinoises de haute technologie et à assurer la domination technologique des États-Unis dans les sphères économique et militaire.

La création par Biden d’une alliance trilatérale avec le Japon et la Corée du Sud fait suite à l’instauration du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité, un groupement quasi militaire avec l’Inde, le Japon et l’Australie. En outre, l’année dernière, il a formalisé le pacte AUKUS avec la Grande-Bretagne et l’Australie, qui dotera l’Australie de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire et d’une capacité de missiles considérablement accrue, tout en la transformant en point d’ancrage méridional pour une guerre avec la Chine, en ouvrant davantage ses bases aux forces américaines.

La stratégie américaine en Asie a un autre parallèle avec la guerre en Ukraine. Tout comme ils ont poussé Moscou à envahir l’Ukraine, les États-Unis sapent délibérément la base même de leurs relations diplomatiques avec la Chine, à savoir le statut de Taïwan. Washington a pratiquement mis fin à la politique d’une seule Chine, en vertu de laquelle il reconnaissait Pékin comme le gouvernement légitime de fait de toute la Chine, y compris de Taïwan. En renforçant les accords économiques et militaires avec Taïwan, Washington incite Pékin à envahir l’île et fournit un prétexte à la guerre.

Le monde ressemble de plus en plus à la situation chaotique qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, avec la formation de blocs économiques et de pactes militaires qui ont abouti à un conflit mondial désastreux responsable de la mort de dizaines de millions de personnes. En réponse à la stratégie agressive de l’impérialisme américain et de ses alliés, la Chine et la Russie se rapprochent. Lors du sommet actuel des BRICS, auquel participent les dirigeants du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, le président chinois Xi Jinping appelle à son expansion et à sa transformation en un groupement destiné à contrer l’agression économique menée par les États-Unis.

L’accélération de la course à la guerre mondiale est sous-tendue par l’aggravation de la crise du capitalisme mondial centrée sur l’impérialisme américain, qui ne reculera devant rien pour maintenir sa domination mondiale. Dans son introduction à l’université d’été internationale 2023 du Parti de l’égalité socialiste (É.-U.), David North, président du World Socialist Web Site, a expliqué:

Pour comprendre le caractère fondamentalement existentiel de la crise, il faut reconnaître que la provocation délibérée de cette guerre et la détermination imprudente d’intensifier la confrontation avec la Russie et la Chine – deux puissances dotées d’armes nucléaires – ne sont pas simplement le produit d’une agression irrationnelle. Comme dans les années 1930, les classes dominantes ne voient d’issue à leur crise que par la guerre. En 1938, Trotsky écrivait dans l’introduction du Programme de transition que les puissances impérialistes étaient encore moins capables d’éviter la Seconde Guerre mondiale qu’elles ne l’avaient été à la veille de la Première Guerre mondiale. On peut maintenant dire, avec non moins d’urgence, que le les élites capitalistes d’Amérique du Nord et d’Europe sont moins capables d’empêcher la Troisième Guerre mondiale qu’elles ne l’étaient d’arrêter le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

On doit supposer que le gouvernement Biden n’ignore pas totalement la forte probabilité qu’une guerre nucléaire entraîne la mort de dizaines de millions de personnes et la destruction des États-Unis – nous devrions dire des centaines de millions de personnes rien qu’aux États-Unis. Mais cela ne peut que signifier que la guerre nucléaire est considérée par les élites dirigeantes comme un risque qu’il faut prendre pour atteindre des objectifs encore plus critiques pour la survie du capitalisme américain. De plus, du point de vue de la classe dirigeante, une Amérique sans capitalisme est un pays qui ne vaut pas la peine d’être sauvé.

Un monde embrasé dans un holocauste nucléaire n’est cependant pas inévitable. Les mêmes contradictions du capitalisme qui conduisent à un conflit nucléaire alimentent la croissance des luttes de la classe ouvrière internationale qui est forcée de supporter des charges économiques de plus en plus lourdes.

Pour empêcher une telle catastrophe, les travailleurs doivent comprendre que la source de la guerre et de la guerre de classe menée contre leurs conditions de vie ne fait qu'un: le système de profit et sa division en États-nations rivaux. Pour éviter la guerre, il ne faut rien de moins qu’un mouvement international antiguerre de la classe ouvrière pour renverser le capitalisme et instaurer le socialisme. Telle est la perspective révolutionnaire pour laquelle se bat le Comité international de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskiste mondial.

(Article paru en anglais le 23 août 2023)