Biden au Viêt Nam: Le chef de l’impérialisme américain retourne sur les lieux de l’un de ses plus grands crimes

La visite de deux jours du président Joe Biden au Viêt Nam, une étape lors de son retour aux États-Unis après le sommet du G-20 en Inde, n’a fait l’objet que d’une couverture très superficielle dans les médias américains.

La couverture était obsédée par des futilités liées à la politique intérieure des États-Unis. Le président, âgé de 80 ans, a-t-il bavé ou bafouillé plus que d’habitude lors de sa conférence de presse nocturne à Hanoï? Au contraire, un tour du monde en cinq jours montrerait-il que Biden a encore l’endurance nécessaire pour un second mandat à la Maison-Blanche?

Ou bien les médias ont discuté des avantages que ce voyage pourrait apporter à l’impérialisme américain: quelles sont les perspectives d’alignement du Viêt Nam sur l’axe anti-chinois construit par Washington, qui a déjà enrôlé le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Inde?

La presse économique s’est penchée sur l’argent que ce voyage allait générer pour les multinationales américaines (il serait question d’immenses sommes, puisque Vietnam Air a confirmé l’achat de 10 milliards de dollars d’avions de ligne à Boeing, et les fabricants de semi-conducteurs vont être «incités» à installer des sites de production au Viêt Nam, un autre effort pour diversifier l’approvisionnement en puces vitales pour l’industrie manufacturière et l’armée des États-Unis).

Le président américain Joe Biden porte un toast lors du déjeuner d’État avec le président vietnamien Vo Van Thuong à Hanoï, au Viêt Nam, le lundi 11 septembre 2023. [AP Photo/Evan Vucci]

L’histoire amère de 30 années de guerre qui ont abouti à la libération de la colonie française d’Indochine et à la création des pays indépendants du Viêt Nam, du Laos et du Cambodge, au cours desquelles les impérialismes japonais, français et américain ont été responsables du massacre de millions de personnes, n’a guère été évoquée.

Cette histoire est rarement évoquée dans les médias américains ou dans le système éducatif américain et ne fait désormais plus partie de l’expérience personnelle de la grande majorité de la population américaine. Cela fait 50 ans que les dernières troupes américaines ont été retirées du Viêt Nam. Les événements clés antérieurs, tels que l’offensive du Têt lancée en 1968 par les forces de libération vietnamiennes, l’«incident» du golfe du Tonkin en 1964, qui a servi de prétexte à une escalade militaire massive de la part des États-Unis, sans parler de la défaite catastrophique des Français à Diên Biên Phu en 1954, sont peu ou pas du tout évoqués.

Le nombre de morts de la série de guerres au Viêt Nam – contre les occupants japonais en 1944-45, contre le régime colonial français rétabli avec le soutien des États-Unis, entre 1946 et 1954, et contre les États-Unis et leur régime fantoche dans le Sud, entre 1959 et 1975 – a été estimé à plus de 4 millions, la majorité d’entre eux étant des civils, et presque tous des Vietnamiens (un peu moins de 60.000 soldats américains ont été tués).

Si les massacres sauvages de civils par des soldats américains, comme celui de My Lai, révélé par le journaliste Seymour Hersh en 1969, ont été largement médiatisés au cours de la guerre, la grande majorité des morts ont été infligées par des méthodes dépersonnalisées telles que les bombardements intensifs, les tirs d’artillerie, l’utilisation de napalm et d’autres armes chimiques, et la déclaration de zones de «tir libre», qui autorisaient les avions à réaction et les hélicoptères d’attaque à tirer sur tout ce qui bougeait.

Un rare passage de la couverture médiatique du voyage de Biden indique que le Viêt Nam subit encore «l’héritage de la guerre... où des munitions non explosées tuent et mutilent encore des gens chaque année... » Derrière cette brève référence se cache une réalité qui fait froid dans le dos: en onze ans, de 1964 à 1975, les États-Unis ont largué sur le Viêt Nam, le Laos et le Cambodge un tonnage de bombes deux fois supérieur à celui qui a été utilisé par tous les belligérants pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale.

Cinquante ans plus tard, la liste des victimes de la guerre continue de s’allonger, depuis les enfants qui ramassent des morceaux de bombes à fragmentation dans la campagne vietnamienne jusqu’aux vétérans américains qui se suicident ou meurent de cancers provoqués par les produits défoliants.

La victoire des combattants de la libération vietnamienne en avril 1975, avec les images emblématiques des hélicoptères évacuant le dernier membre du personnel américain du toit de l’ambassade des États-Unis à Saïgon, a porté un coup colossal à l’impérialisme américain. Elle a marqué un tournant décisif dans la position mondiale des États-Unis, qui avaient commencé à décliner économiquement dans les années 1960.

L’impérialisme américain a subi une défaite dont il ne s’est jamais vraiment remis, surtout sur le plan intérieur. Le Pentagone a été contraint de maintenir une armée entièrement volontaire. Ce système a été instauré pour la première fois après la fin de la conscription en 1972. La conscription universelle, même avec des exemptions substantielles, avait fortement contribué à des conflits au sein de l’armée au Viêt Nam et à la montée du sentiment antiguerre parmi les jeunes au pays.

Le principe de l’enrôlement volontaire limite intrinsèquement la taille de la force militaire américaine, qui a été mise à rude épreuve par les guerres simultanées en Irak et en Afghanistan, et qui serait totalement inadaptée en cas de guerre généralisée avec la Russie ou la Chine. Mais un retour à la conscription universelle provoquerait des troubles intérieurs d’une ampleur colossale. Les jeunes Américains ne veulent pas donner leur vie pour défendre les objectifs militaires des banques et des entreprises géantes, sous la direction d’un système politique corrompu contrôlé par la classe des capitalistes milliardaires.

Le voyage de Biden au Viêt Nam visait à préparer une telle issue, en s’assurant du soutien vietnamien à la position militariste de l’impérialisme américain en Extrême-Orient. Cette démarche a été inaugurée publiquement par Barack Obama dans son discours sur le «pivot vers l’Asie» prononcé devant le parlement australien en 2011. Le Pentagone procède à une mobilisation dans le cadre de laquelle 60 pour cent des ressources militaires américaines pourront être déployées dans la région Asie-Pacifique. Les généraux américains discutent régulièrement de la probabilité, voire de l’imminence d’une guerre avec la Chine, certains estimant qu’elle pourrait éclater dès 2025.

À des fins de propagande, les responsables américains et les grands médias présentent toujours la Chine comme la puissance qui est l’agresseur et les actions américaines comme purement défensives. Lundi, le jour même où Biden achevait son voyage à Hanoï, le secrétaire à l’armée de l’air, Frank Kendall, a déclaré lors de la conférence annuelle de l’Association des forces aériennes et spatiales que la Chine était en train de renforcer ses capacités militaires pour combattre les États-Unis: «Quelles que soient ses intentions réelles, je ne saurais le dire, mais la Chine se prépare à une guerre, et plus particulièrement à une guerre contre les États-Unis.»

Bien entendu, ce sont les forces militaires américaines qui sont déployées à quelques kilomètres des côtes chinoises, de vastes livraisons d’armes américaines qui sont destinées à Taïwan – une partie de la Chine, aussi proche du continent que Cuba l’est de la Floride – et les fonctionnaires américains tels que Biden, le secrétaire d’État Antony Blinken et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin qui établissent un système d’alliances dirigé contre Pékin regroupant la quasi-totalité des voisins de la Chine.

Le cynisme de la politique étrangère américaine peut être mis en évidence par une comparaison historique. En 1979, alors que Washington considérait l’Union soviétique comme son principal antagoniste mondial, il s’est allié à la Chine, à la suite du rapprochement Nixon-Mao, et a soutenu l’invasion chinoise du Viêt Nam, qui s’est soldée par une débâcle militaire. Les décideurs américains considéraient le Viêt Nam comme un État client de l’Union soviétique qui avait renversé le régime génocidaire de Pol Pot au Cambodge, un allié de la Chine. Pendant plusieurs décennies, les États-Unis ont eux-mêmes financé les Khmers rouges, qui se sont livrés à une guérilla contre le gouvernement cambodgien mis en place par le Viêt Nam.

Aujourd’hui, 44 ans plus tard, Washington considère la Chine comme son principal rival et cherche à cultiver ses relations avec le Viêt Nam. Biden se rend à Hanoï et organise la première visite d’État entre un président américain et le secrétaire général du Parti communiste vietnamien, reconnaissant ainsi la légitimité de l’État stalinien à parti unique, qui a entièrement rétabli le capitalisme. Il a même, selon la presse, proposé de vendre au Viêt Nam des avions de combat F-16, que Biden a jusqu’à présent refusés même au régime fantoche américain en Ukraine qui mène une guerre par procuration pour l’OTAN contre la Russie.

En vérité, comme l’a dit Lord Palmerston à propos de la Grande-Bretagne lorsqu’elle était la puissance mondiale dominante au 19e siècle, «il n’y a pas d’ennemis permanents ni d’amis permanents, seulement des intérêts permanents».

(Article paru en anglais le 13 septembre 2023)

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