Rapport d’Oxfam : Une condamnation dévastatrice des inégalités et du pouvoir des monopoles

Alors que s’ouvre le rassemblement des élites mondiales lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos, en Suisse, l’agence d’aide internationale Oxfam a publié un rapport dévastateur sur l’escalade des inégalités.

Il montre comment l’énorme croissance du pouvoir et de la richesse des sociétés est en train de remodeler le monde, produisant une dévastation sociale pour des milliards de personnes et l’accumulation de richesses fabuleuses pour une poignée d’oligarques.

Une femme brandit une pancarte «Nos soupes populaires ont besoin de nourriture» devant le ministère du Développement social lors d'une manifestation demandant plus d'aide alimentaire du gouvernement pour les soupes populaires à Buenos Aires, en Argentine, vendredi 22 décembre 2023. [AP Photo/Rodrigo Abd]

Le rapport commence par noter que depuis 2020, les cinq hommes les plus riches du monde ont plus que doublé leur fortune, au rythme de 14 millions de dollars par heure, passant de 405 milliards de dollars à 869 milliards de dollars, tandis que près de 5 milliards de personnes, soit plus de la moitié de la population mondiale, se sont appauvries.

S’exprimant sur le rapport, le directeur général intérimaire d’Oxfam, Amitabh Behar, a déclaré: «Nous assistons aux prémices d’une décennie de division, des milliards de personnes subissant les chocs économiques de la pandémie, de l’inflation et des guerres, tandis que les milliardaires voient leur fortune s’envoler.

«Cette inégalité, a-t-il poursuivi, n'est pas le fruit du hasard; la classe des milliardaires veille à ce que les entreprises lui apportent toujours plus de richesses au détriment de tous les autres.»

C’est important de noter qu’il a également mis l’accent sur une tendance soulignée dans la déclaration de perspective du Nouvel An du World Socialist Web Site, à savoir le rôle du pouvoir et de la concentration des entreprises, et pas seulement de la croissance de la richesse individuelle, dans l’affaiblissement de toutes les structures démocratiques et la montée des régimes d’extrême droite et fascistes.

«Le pouvoir démesuré des entreprises et des monopoles», a-t-il dit, «est une machine à générer des inégalités: en exploitant toujours plus les travailleurs, en éludant l’impôt, en privatisant l’État et en provoquant la dégradation du climat, les entreprises acheminent des richesses sans fin vers leurs propriétaires ultra-riches».

«Mais elles sont aussi une source de pouvoir, qui sape les démocraties et nos droits».

Le premier chapitre du rapport, intitulé «Un nouvel âge d’or de la division», met en évidence l’énorme croissance de la concentration et des profits des entreprises, qui contraste avec le «monde brutal» dans lequel vivent des milliards de personnes confrontées à la «dure réalité» de l’augmentation du coût des denrées alimentaires et d’autres produits de première nécessité.

Le rapport note que 4,8 milliards de personnes sont aujourd’hui dans une situation pire qu’en 2019, les prix dépassant les salaires dans le monde entier, «des centaines de millions de personnes voyant leur salaire diminuer chaque mois et leurs perspectives d’un avenir meilleur s’évanouir».

Cela signifie qu’au cours des deux dernières années, quelque 800 millions de travailleurs ont perdu 1.500 milliards de dollars parce que leurs salaires ont été inférieurs à l’inflation, ce qui équivaut à près d’un mois (25 jours) pour chaque travailleur. Sur les 1.600 plus grandes entreprises mondiales, seules 0,4 pour cent se sont engagées à payer un salaire décent aux travailleurs et à soutenir un salaire décent dans leurs chaînes de valeur.

Pour des milliards de personnes dans les pays à faible revenu, une nouvelle ère de colonialisme est arrivée. L’exploitation des masses, qui s’effectuait auparavant par un contrôle direct, a été remplacée par les opérations sans faille, et même plus efficaces, du système financier mondial.

Selon les termes du rapport, les gouvernements ne parviennent plus à se maintenir à flot: «Les pays à revenu faible et moyen inférieur devraient payer près d’un demi-milliard de dollars US par jour en intérêts et en remboursement de la dette d’ici à 2029, et ils doivent procéder à des coupes sombres dans leurs dépenses pour payer leurs créanciers».

Il détaille l’augmentation considérable des bénéfices des entreprises au sommet de l’échelle, constatant que les plus grandes sociétés du monde ont enregistré un bond de 89 pour cent de leurs bénéfices pour les années 2021 et 2022 par rapport à la période 2017-2022, alors que les données couvrant les six premiers mois de l’année dernière indiquent qu’elle «devrait pulvériser tous les records en tant qu’année la plus rentable à ce jour pour les grandes entreprises».

Voici quelques chiffres: une augmentation de 278 pour cent en 2023 pour les bénéfices de 14 sociétés pétrolières et gazières; les bénéfices de deux marques de luxe en hausse de 120 pour cent par rapport à la moyenne de 2018-21; une augmentation des bénéfices de 32 pour cent pour 22 sociétés financières en 2023 par rapport à la moyenne de 2018-21; une augmentation de 32 pour cent des bénéfices de 11 sociétés pharmaceutiques en 2022 par rapport à 2018-21.

Mais plus encore que les augmentations de bénéfices elles-mêmes, c’est la concentration du pouvoir des sociétés qui est à l’ordre du jour, dans des proportions jamais atteintes dans l’histoire.

Le rapport note que le 0,001 pour cent des entreprises les plus importantes engrange environ un tiers de tous les bénéfices des entreprises.

Le chapitre sur le pouvoir des monopoles a été introduit par l’image de la main d’un marionnettiste contrôlant les ficelles pour souligner l’effet du contrôle exercé par les entreprises sur les gouvernements et leur programme législatif, allant de la politique fiscale à la concentration des entreprises, en passant par les dépenses sociales et le changement climatique.

«Nous vivons une nouvelle ère de pouvoir monopolistique», selon le rapport. «Un petit nombre d’entreprises toujours plus nombreuses exerce une influence extraordinaire sur les économies et les gouvernements avec […] un pouvoir largement débridé qui leur permet d’escroquer les consommateurs, de réduire les salaires et de maltraiter les travailleurs, de limiter l’accès aux biens et services essentiels, de contrecarrer l’innovation et l’esprit d’entreprise et de privatiser les services publics et l’énergie à des fins de profit privé».

Dans son introduction au rapport, Behar a déclaré que le monde n’avait pas oublié «comment les monopoles pharmaceutiques ont privé des millions de personnes des vaccins COVID, créant un apartheid vaccinal raciste, tout en créant un nouveau club de milliardaires».

Le pouvoir des monopoles s’étend à tous les domaines. Ceux qui appellent à la réforme du système capitaliste, y compris Oxfam, évoquent souvent l’augmentation de l’impôt sur les sociétés et les riches comme moyen d’atténuer, au moins dans une certaine mesure, les inégalités sociales. Mais ces propositions vont à l’encontre de l'histoire, comme le montre le rapport.

Le rapport affirme que depuis 1980, les entreprises ont mené une «guerre soutenue et très efficace» contre l’imposition, avec pour résultat que le taux statutaire a plus que diminué de moitié, passant de 48 pour cent à 23,1 pour cent. Mais ce n’est qu’une partie du tableau, car les grandes entreprises, avec leurs avocats et leurs comptables, peuvent exploiter les failles de la législation, les amortissements et autres, délibérément mis en place pour permettre l’évasion fiscale, et finir par payer des impôts bien inférieurs au taux légal, voire, dans certains cas, pas d’impôt du tout.

À cela s’ajoute l’utilisation des paradis fiscaux. On estime qu’environ 1.000 milliards de dollars de bénéfices, soit 35 pour cent des bénéfices étrangers, ont été transférés dans des paradis fiscaux en 2022.

Une autre proposition de réforme souvent avancée est le démantèlement du pouvoir monopolistique par la réglementation gouvernementale. Mais comme le rapport lui-même l’indique clairement, la tendance historique va dans la direction opposée et «loin d’être accidentelle, cette puissance a été transmise aux monopoles par nos gouvernements».

Le degré de concentration est illustré par des données significatives. Au cours des deux dernières décennies, dix entreprises pharmaceutiques géantes ont émergé de 60; deux entreprises mondiales contrôlent plus de 40 pour cent du marché mondial des semences, contre dix il y a 25 ans; quatre entreprises contrôlent 62 pour cent du marché mondial des pesticides; les trois quarts de la publicité en ligne mondiale sont réalisés par Meta (propriétaire de Facebook) et Alphabet (propriétaire de Google); et quatre entreprises contrôlent 74 pour cent du marché mondial de la comptabilité.

Sur la question vitale du réchauffement climatique, le rapport note que «le pouvoir des entreprises est à l’origine de la dégradation du climat, ce qui entraîne de grandes souffrances et exacerbe les inégalités».

«De nombreux milliardaires possèdent, contrôlent, façonnent et profitent financièrement des processus qui émettent des gaz à effet de serre. Ils en tirent profit lorsque les entreprises cherchent à bloquer les progrès d’une transition rapide et juste, nient et déforment la vérité sur le changement climatique et écrasent ceux qui se sont opposés à l’extraction des combustibles fossiles».

Comme dans tous les rapports précédents d’Oxfam, les conclusions qu’il tire des faits et des chiffres qu’il expose, ainsi que les tendances et les processus prononcés qu’il détaille, remontant à plusieurs décennies, contrastent fortement avec les «solutions» complètement creuses qu’il avance.

Dans le cas présent, où l'accent est mis sur la croissance du pouvoir monopolistique des entreprises, il appelle à «revitaliser l'État».

Cet appel repose sur une conception fondamentalement erronée: l’idée que l’État se situe en quelque sorte au-dessus des classes sociales, qu’il est une sorte d’instrument neutre qui, par la pression, peut être amené à agir dans l’intérêt de la société.

Cette conception a été réfutée il y a longtemps par l’analyse historique du mouvement marxiste, qui remonte à la remarque de Marx selon laquelle tout gouvernement capitaliste n’est que le comité exécutif chargé de gérer les affaires de la bourgeoisie.

Cette analyse est soulignée par le rapport Oxfam lui-même. La conclusion qui s’impose à la classe ouvrière est qu’elle doit chercher non pas à réformer l’État capitaliste ou à faire pression sur lui – ce qui est impossible – mais à prendre le pouvoir politique entre ses mains et à établir un État ouvrier comme première étape de la reconstruction de la société sur des bases socialistes.

(Article paru en anglais le 16 janvier 2024)

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