Les grévistes de l’usine Cargill de Guelph d’une valeur de plusieurs milliards de dollars sont contraints de recourir aux banques alimentaires

La semaine dernière, la direction de l’usine de transformation de la viande Cargill de Guelph, en Ontario, a rompu un silence d’un mois en envoyant par courriel une nouvelle offre de contrat au syndicat local des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) en grève. Les représentants des TUAC ont décrit l’offre comme étant encore plus basse que l’accord misérable qui avait été rejeté par les membres à la fin du mois dernier par une marge de 82,4 %. Bien qu’il fut loin de répondre aux attentes des travailleurs en matière d’augmentation salariale, le contrat provisoire rejeté avait été recommandé à l’unanimité par la direction du syndicat.

Piquet de grève à l’usine Cargill de Guelph, en Ontario, juin 2024

Sam Caetano, directeur régional de la région 6 des TUAC, semblait toutefois plus préoccupé par le fait que Cargill ait snobé la bureaucratie syndicale que par la situation désespérée des 960 membres de l’usine, s’offusquant particulièrement non pas de la nouvelle offre insultante, mais plutôt de la façon dont elle a été présentée. «Nous venons d’informer les membres de la position de l’entreprise et nous venons de dire à l’employeur que nous ne négocierons pas par courriel et que nous voulons retourner à la table des négociations», a-t-il déclaré.

La grève à l’usine Cargill en est maintenant à sa cinquième semaine. Un article publié dans le Guelph News décrit l’augmentation constante du nombre de grévistes ayant recours à une banque alimentaire locale. Jaya James, directrice générale de Hope House – un important fournisseur de nourriture et de services communautaires dans la ville – a expliqué au journaliste Mark Pare qu’au cours des deux dernières semaines de grève, il y a eu un afflux croissant de grévistes qui se sont inscrits pour bénéficier d’une aide alimentaire. L’augmentation est telle que Hope House pourrait bientôt être contrainte d’introduire une liste d’attente pour les nouvelles inscriptions. «Pour nous, une journée normale en ce qui concerne le nombre de personnes passant par notre marché alimentaire, est de 36 ménages, a-t-elle déclaré. Lundi dernier, nous avons servi 63 ménages.»

Depuis le début de la grève, plus de 100 nouveaux ménages ont eu recours au soutien alimentaire, soit presque le triple de la moyenne mensuelle. Lorsqu’on regarde les chiffres sur la pauvreté dans la région, le dernier recensement montre que 11 % des personnes vivant à Guelph sont des familles à faible revenu. Les enfants étant touchés de façon disproportionnée par la pauvreté, le taux de pauvreté infantile était de 15 % pour la même période. Depuis le début de la pandémie de 2020, ces chiffres n’ont fait qu’augmenter.

Les travailleurs de l’usine Cargill, en particulier les travailleurs temporaires étrangers aux salaires de misère, avaient recours aux services de diverses associations caritatives avant même le début de la grève. Ils ont été rejoints par un nombre croissant de travailleurs aux salaires plus élevés.

En moyenne, les travailleurs de l’usine gagnent actuellement un peu plus de 42.000 dollars canadiens par année, selon les statistiques de l’entreprise. Les catégories d’emploi les plus élevées paient environ 27 dollars de l’heure pour les maîtres bouchers, ce qui est à peine supérieur à la norme provinciale actuelle du «salaire de base». Les travailleurs des classifications inférieures gagnent beaucoup moins, certains d’entre eux gagnant à peine plus que le salaire minimum de l’Ontario. La direction de Cargill emploie des centaines de travailleurs temporaires étrangers mal payés, originaires des quatre coins du monde.

Tous les détails de la proposition de contrat de quatre ans initialement rejetée n’ont pas été rendus publics, bien que Cargill se soit vanté d’une augmentation de salaire de 9,3 % la première année, mais d’augmentations nettement inférieures les trois années suivantes.

Au cours des quatre dernières années, le coût de la vie au Canada, comme ailleurs, a grimpé en flèche, l’inflation atteignant près de 9 %. Même si l’inflation a baissé à environ 3 % au cours de l’année écoulée, les dépenses de base des travailleurs, notamment pour l’alimentation, l’essence, les loyers et les prêts hypothécaires, continuent d’augmenter. Les chiffres de l’inflation récemment annoncés pour le mois de mai montrent que l’inflation est à nouveau en hausse.

La dernière convention quadriennale de l’usine Cargill de Guelph a été conclue en 2020, au début de la flambée des prix provoquée par l’apparition de la pandémie de la COVID-19. En moyenne, elle prévoyait une augmentation totale de 1,90 $, soit moins de 50 cents de l’heure pour chaque année de la convention, ce qui signifie que les travailleurs ont dans les faits subi une baisse substantielle de leur salaire en termes réels. C’est là une compensation tellement atroce pour le travail éreintant et oppressant effectué dans l’usine que les travailleurs ont déclaré aux journalistes du World Socialist Web Site, lors de plusieurs visites sur le piquet de grève, qu’ils étaient déterminés à obtenir une offre de contrat nettement plus avantageuse.

Conglomérat international connu pour ses profits, Cargill emploie 160.000 personnes dans 70 pays et son chiffre d’affaires pour 2023 s’élève à 177 milliards de dollars. L’entreprise annonce toujours des augmentations significatives de ses bénéfices année après année. Vingt-trois membres de la famille Cargill-MacMillan possèdent 88 % de l’entreprise, et quatorze d’entre eux sont milliardaires. Au plus fort de la pandémie de la COVID-19, ceux-ci engrangeaient 20 millions de dollars par jour en bénéfices personnels. Après avoir été contrainte de verser une prime de 2 dollars de l’heure pour limiter l’absentéisme lors de la pandémie, l’entreprise s’est empressée d’interrompre ce paiement dès que ses niveaux de production élevés ont été rétablis.

Les producteurs de viande bovine de la province commencent à s’inquiéter de l’augmentation des coûts d’expédition de leurs bovins vers les abattoirs des États-Unis et de l’Alberta. «L’Ontario est la deuxième province d’élevage de bovins au pays, et l’impact sur le secteur des parcs d’engraissement, sur les partenaires de la chaîne d’approvisionnement en viande bovine et sur la capacité des agriculteurs à générer des liquidités ne peut être sous-estimé», déclare Craig McLaughlin, président de l’organisme Beef Farmers of Ontario (BFO).

Les conditions sont extrêmement favorables au développement d’un vaste mouvement de la classe ouvrière pour s’opposer aux assauts persistants des entreprises. Alors que la grève se poursuit à Guelph, 400 autres travailleurs de transformation de la viande également syndiqués avec les TUAC et employés chez Cargill Case Ready, à Calgary en Alberta, ont déjà voté à 100 % pour la grève et pourraient débrayer dès la fin juin. À Guelph même, des centaines d’autres travailleurs locaux de Case Ready verront leur convention expirer l’an prochain. La lutte de ces travailleurs pour défendre leur niveau de vie et s’opposer à l’accélération des cadences et à la destruction des normes de santé et de sécurité par la direction suscite une grande sympathie dans tout le Canada, et même dans le monde entier.

Mais les travailleurs de Guelph Cargill doivent être avertis. Un vaste fossé existe entre les travailleurs de l’usine, confrontés à des salaires et des conditions misérables, et la bureaucratie des TUAC, qui exerçait avec enthousiasme le mois dernier des pressions pour leur faire accepter la misérable entente de principe initiale. L’appareil des TUAC, comme toutes les grandes bureaucraties syndicales, se tient du côté de la direction de l’entreprise, avec laquelle il a développé des relations corporatistes étroites au cours des quarante dernières années.

La principale préoccupation des bureaucrates des TUAC est de maintenir les grévistes isolés sur les piquets de grève jusqu’à ce qu’ils puissent leur faire accepter une autre entente bourrée de concessions, et empêcher que la lutte contre Cargill ne devienne le catalyseur d’un mouvement plus vaste contre les conditions de travail misérables et les réductions de salaires réels.

Les travailleurs doivent immédiatement mettre sur pied un comité de grève indépendant de l’appareil syndical afin d’empêcher une capitulation et d’étendre leur lutte à d’autres sections de travailleurs pour combattre l’assaut de la classe dirigeante sur leurs conditions de travail et garantir des emplois décents et sûrs pour tous. Pour plus d’informations sur la façon de développer cette lutte, contactez-nous.

(Article paru en anglais le 29 juin 2024)

Loading