Argentine : la pseudo-gauche s'associe à Milei dans la campagne #MeToo contre l'ancien président Alberto Fernández

Sur fond d'une crise économique et politique historique, les médias argentins sont dominés depuis plus d'une semaine par des allégations de violence conjugale contre l'ex-président péroniste Alberto Fernández.

Alberto Fernandez et Fabiola Yañez reçoivent un accueil officiel au Brésil, le 26 juin 2023 [Photo by Palácio do Planalto / CC BY 2.0]

Lundi son ancienne compagne, Fabiola Yañez, s'est rendue au consulat d'Argentine à Madrid pour présenter des accusations de « violence de genre » contre Fernández, qui pourrait être passible d’une peine de prison allant jusqu'à deux ans. Elle affirme que Fernandez l'a agressée physiquement et a également perpétré des violences psychologiques et du harcèlement pendant plusieurs années. Elle avait initialement porté plainte pour délit le 6 août, ce qui avait immédiatement abouti à une ordonnance du tribunal ordonnant à Fernández de ne pas approcher ou contacter Yañez et de ne pas quitter l'Argentine.

L'affaire n'a pas été initiée par Yañez. Le juge Julián Ercolini avait contacté Yañez début juillet après avoir découvert dans le téléphone de la secrétaire de Fernandez des SMS et des photos faisant état de violences conjugales contre Yañez. À l’époque, le juge menait une enquête distincte pour corruption liée à un prétendu détournement de paiements d’assurance publique.

Dans une interview exclusive avec Infobae, l'ancienne première dame a expliqué que début juillet, « je reçois un appel du juge. Il voulait tout faire vite. Tout se précipitait. En moins de quatre heures, ils ont organisé une audience pour moi.

Elle a d'abord refusé de porter plainte, mais a changé d'avis et a porté plainte devant le même juge, Ercolini, la semaine dernière. Jeudi, deux jours plus tard, les SMS et les photos des contusions présumées ont été divulgués aux médias.

Fernández a nié ces allégations, indiquant qu'il prouverait son innocence devant le tribunal et suggérant que son ancienne partenaire a été « incitée par quelqu'un ». Depuis une semaine, il est resté confiné dans son appartement en raison de menaces de lynchage. Créant un dangereux précédent, il a déjà perdu son poste à l'Université de Buenos Aires, où il enseignait le droit depuis quatre décennies.

Simultanément, une avalanche de vidéos et d'informations sont apparues suggérant qu'il avait été infidèle avant de se séparer officiellement de sa femme à la fin de son mandat en décembre dernier.

Avant toute enquête ou examen impartial des indices, y compris éventuellement un examen médico-légal numérique de textes et de photographies, les grands médias argentins ont lancé une campagne réactionnaire pour déclarer Fernández coupable avant tout procès.

Alors qu’il existe de nombreuses raisons bien établies pour condamner Fernández sur des bases politiques, notamment les souffrances et les décès massifs dus à la réponse négligente de son administration à la pandémie de COVID-19 et l'imposition des diktats d'austérité du FMI, la campagne actuelle centrée sur des accusations de violence conjugale ne peut servir qu’à des fins réactionnaires.

Les dirigeants péronistes, y compris les anciens alliés de Fernandez, utilisent déjà les accusations pour détourner l’attention des leçons politiques du rôle perfide joué par le péronisme. Le plus pernicieux est que le président fascisant Javier Milei et l’extrême droite en général utilisent le scandale pour attiser un climat de justiciers populaire et de haine irrationnelle.

Milei a immédiatement sauté sur l'occasion pour déclarer ex cathedra : « la solution à la violence perpétrée par les psychopathes contre les femmes n'est pas de créer un ministère de la Femme, ce n'est pas d'embaucher des foules d'employés publics inutiles […] La seule solution pour réduire la criminalité est de sévir brutalement contre ceux qui la commettent ».

Alors que son administration cherche à imposer la thérapie de choc la plus brutale de privatisations et d’austérité de l’histoire du pays, Milei s’apprête à interdire toute forme d’opposition sociale, y compris les manifestations de rue et les grèves, et à préparer le terrain pour une dictature ouverte.

Dans ce contexte, la nécessité de défendre le droit du chef d’un parti politique d’opposition à être entendu avant toute condamnation devrait aller de soi.

Plus largement, si l’impopulaire ancien président constitue aujourd’hui une cible privilégiée, les pauvres et les opprimés sont toujours devenus les principales victimes des atteintes à la présomption d’innocence.

Ce danger pour les travailleurs est démontré par le fait que Milei perpétue l'héritage de la dictature militaire du général Rafael Videla, dont le régime de terreur a encouragé, notamment par l'intimidation et les annonces dans les journaux, les dénonciations contre les « subversifs », ce qui a conduit à des millions de dossiers de police contenant des affirmations d'appartenance à un groupe de gauche ou simplement un manque de respect envers la nation, l'armée ou le catholicisme. Cela a entraîné la mort, l’arrestation, la torture ou le licenciement de dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes.

Au cours de la semaine dernière, pas une seule évaluation objective des motivations politiques et du calendrier de l’affaire n’a été publiée dans les médias. Un tel commentaire mettrait nécessairement en avant les cercles politiques et économiques réactionnaires derrière le juge Ercolini, y compris ses liens avec Milei.

En tant que président, Fernández avait demandé au ministère de la Justice d'engager des poursuites pénales contre le juge Ercolini et d'autres juges fédéraux, anciens agents de renseignement et directeurs du quotidien Clarin, pour avoir participé à un voyage au domicile du milliardaire britannique Joe Lewis à Rio Negro, où des discussions ont vraisemblablement eu lieu concernant les réglementations et les poursuites judiciaires contre les opérations immobilières du magnat, qui incluent le blocage illégal de l'accès du public au lac Escondido. Lewis est un ami proche de l'ancien président Mauricio Macri, qui a constitué le principal financement politique et économique de la campagne présidentielle de Milei. L'un des premiers actes de Milei en tant que président a été l'élimination des réglementations sur l’étendue des terres que les ressortissants étrangers peuvent posséder, ce qui a directement profité à Lewis.

Le juge Ercoloni a rejeté les appels de la défense à se récuser de la direction du procès pour corruption contre Fernández.

Malgré cette information publique, l’ensemble de l’establishment politique s’est rangé derrière le tollé de droite.

Cristina Fernández de Kirchner, leader politique du péronisme et vice-présidente d'Alberto Fernández (sans lien de parenté), a déclaré que les photos de contusions « montrent non seulement les coups infligés, mais révèlent aussi les aspects les plus sombres et les plus sordides de la condition humaine ».

La majorité des membres péronistes de la Chambre des députés ont voté pour une déclaration officielle avec la conclusion : « Nous devons réaffirmer notre conviction politique que dans ce genre d’affaire là, nous croyons toujours la victime. »

Tout en dénonçant à voix basse l'opposition de l'extrême droite à parler de « violence de genre », les organisations de la pseudo-gauche de la classe moyenne occupent le devant de la scène dans la chasse aux sorcières.

Lundi, Gabriel Solano, président du Partido Obrero, qui appartient au soi-disant Front de gauche et des travailleurs (FIT-U), a publié un article maccarthyste enragé pour Infobae. Il convient de souligner qu'Infobae, le média de langue espagnole le plus lu au monde, est ouvertement pro-Milei et a mené la chasse aux sorcières, en étant le premier à divulguer les photos et les textes de l'affaire et en réalisant la seule interview accordée par Yañez.

Solano lança ainsi: « S'il manquait quelque chose pour dénoncer la pourriture du régime politique actuel, c'était la dénonciation irréfutable de la violence exercée par l'ancien président Alberto Fernández contre son ex-épouse. Les photos de Fabiola Yañez avec son oeil au beurre noir et ses bras contusionnés resteront imprégnées dans la rétine des gens pendant de longues années à venir».

Il énumère ensuite une série de scandales sexuels contre d’autres hommes politiques péronistes, concluant que le péronisme est « une force politique pourrie qui utilise les ressources de l’État pour commettre des outrages contre les femmes et les dissimuler ensuite. Dans la liste, il faut noter, entre autres, la complicité avec les réseaux de trafic et le commerce capitaliste de la prostitution, qui inclut également d’enfants ».

C'est une déclaration de faillite politique totale que ces organisations, qui ont abandonné depuis longtemps la lutte pour le trotskisme dans la classe ouvrière, conjuguent activement leurs efforts pour dégrader la conscience démocratique et la vie politique et juridique du pays jusqu'au niveau des scandales sexuels, le fonds de commerce des forces antidémocratiques les plus réactionnaires. De telles activités ne peuvent qu’avoir l’effet le plus destructeur sur la conscience politique et de classe de la classe ouvrière.

Ces tendances de la pseudo-gauche empêchent consciemment le public de tirer des conclusions quant aux forces politiques derrière cette chasse aux sorcières. Celeste Murillo, du Parti des travailleurs socialistes moréniste (PTS), également de la FIT-U, a reconnu dans l'émission de radio « Circulo Rojo » que l'extrême droite avait déjà exploité des allégations de « violence de genre » « pour justifier la criminalisation de groupes de personnes », comme les migrants, mais affirme que ce n’est pas un danger aujourd’hui.

Murillo n'a fourni aucune explication sur la façon dont la campagne visant à déclarer l'ancien président agresseur de femmes avant son procès ne facilitera pas le recours aux scandales sexuels contre les minorités ou d'autres opposants politiques à une époque où des personnalités comme Trump aux États-Unis, Alternative pour l'Allemagne, Vox en Espagne et la Première ministre italienne Giorgia Meloni présentent tous les migrants comme des violeurs et des agresseurs sexuels.

En anticipation d’une telle critique, Murillo dénonce ensuite comme une tentative de « faire taire » tout argument des féministes selon lequel « avec ces critiques, vous faites le jeu de la droite, vous servez de marchepied des réactionnaires ».

Une autre tentative sordide pour dissimuler les dangereuses conséquences politiques de cette chasse aux sorcières a été faite par Jorge Altamira, le fondateur du Partido Obrero et aujourd'hui leader de Politica Obrera. Dans une émission de radio dimanche, il a déclaré : « Le phénomène de genre et le phénomène féminin ne doivent pas être minimisés. »

Après avoir comparé Fernández à Raspoutine comme un « personnage qui ne prospère que dans une image de décomposition », Altamira a déclaré qu'il n'importe pas que les allégations de violence conjugale soient ou non une « opération politique » et a déclaré : « Je n'ai pas le temps et ce n'est pas mon objectif » de découvrir ce qui s'est réellement passé.

L'intervieweur a ensuite posé des questions sur plusieurs précédents qui méritent d'être examinés. Il a d’abord évoqué le cas du président Juan Domingo Perón et de Nelly Rivas, ce qui met en évidence les dangers de l’affaire Fernández. En réponse, Altamira a déclaré : « Là aussi, vous avez un cas de violence de genre qui était fonctionnel et qui s'est également produit au Palais présidentiel, quelle coïncidence, quelle coïncidence ».

Ici, Altamira se lance dans une autre campagne de diffamation, les accusations selon lesquelles Perón aurait eu des relations sexuelles avec Nelly Rivas, 14 ans (ce que Perón a nié et ce qui n'a jamais fait l'objet d'un procès) après la mort de son épouse Eva Perón. Ces affirmations ont été utilisées pour justifier son renversement militaire en 1955 par une faction militaire d’extrême droite, comprenant des néo-nazis, et pour criminaliser le péronisme et les syndicats.

Ensuite, l’intervieweur a évoqué « le cas de Bill Clinton », ajoutant qu’« un événement mineur l’a enterré politiquement ». Altamira a tout simplement refusé de considérer les parallèles et les dangers actuels.

En 1998-99, les Républicains d’extrême droite financèrent et pilotèrent deux poursuites judiciaires contre le président de l’époque, Bill Clinton, pour déclencher un scandale sexuel dans le but de le destituer, notamment des allégations de harcèlement sexuel contre un employé et de mauvaise gestion d’un investissement immobilier manqué. Clinton a été amenée à mentir sous serment pour nier une affaire découverte par les procureurs d'extrême droite emmenés par Kenneth Starr, ce qui a conduit à un procès de destitution qui en fin de compte n'aboutit pas à évincer le président élu deux fois.

Tout en s’opposant à l’administration impérialiste Clinton, le WSWS a averti que la réussite d’un coup d’État de palais « représenterait une étape majeure vers la dictature aux États-Unis » et a appelé les travailleurs à s’opposer à la campagne de destitution. Cette affaire a ouvert la voie aux élections volées en 2000 et à la dégénérescence accélérée de tous les vestiges de la démocratie en Amérique depuis.

L’avènement du mouvement #MeToo aux États-Unis fait suite à la victoire de Trump à l’élection présidentielle de 2016. Comme le WSWS l’a noté en 2020, (article en anglais) l’establishment du Parti démocrate et ses satellites de gauche « avaient besoin de détourner l’attention de leur fiasco électoral, regrouper et galvaniser leurs partisans choqués et démoralisés de la classe moyenne et les orienter vers une perspective politique d’identité droitière. Il n’a jamais été question des droits et des conditions des travailleuses. »

Un processus similaire se déroule aujourd'hui en Argentine, à la suite de l'élection de Milei. Le soutien de la pseudo-gauche à la chasse aux sorcières contre Fernandez démontre que ces organisations parlent au nom des couches sociales de la classe moyenne aisée, qui n'ont d'autre réponse à la menace du fascisme que de se rapprocher et de faire appel à l'extrême droite et à l’État capitaliste comme allié utile contre la classe ouvrière. Il n’y a rien de démocratique, de progressiste ou, encore moins, de socialiste concernant ces groupes politiques.

Les craintes des couches qu’ils représentent, qui appartiennent aux 10 pour cent les plus aisés de la société, ne sont pas suscitées principalement par les agissements de l’extrême droite, mais par un défi révolutionnaire venu d’en bas, à un moment où les 90 pour cent les plus pauvres subissent une attaque historique et continue contre leur niveau de vie et leurs droits sociaux.

(Article paru en anglais le 14 août 2024)

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