La police tue en Nouvelle-Calédonie alors que Macron installe son gouvernement d'extrême droite

La police française a abattu deux hommes en Nouvelle-Calédonie le 19 septembre, attisant encore les tensions avec les groupes indépendantistes à quelques jours du jour férié du 24 septembre marquant l'annexion de l’archipel du Pacifique par la France en 1853.

Des policiers devant le commissariat central de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 23 mai 2024 [AP Photo]

Ces fusillades portent à 13 le nombre de morts des troubles ayant commencé en mai en réaction aux modifications apportées par le gouvernement français à une loi électorale étendant le droit de vote aux nouveaux immigrés. Les Kanaks craignent que cette mesure ne les marginalise davantage politiquement, alors qu'ils sont confrontés à une dégradation de leurs conditions économiques et sociales.

Les deux hommes ont été tués lors d'un affrontement entre la gendarmerie française et des manifestants kanaks dans le village de Saint-Louis, haut lieu du mouvement indépendantiste près de la capitale Nouméa. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), un mouvement indépendantiste, a condamné les «méthodes barbares et humiliantes» utilisées par la police, qui ont abouti à des «exécutions sommaires» et a appelé à une enquête indépendante.

Les quatre partis composant le FLNKS, qui font partie de l’establishment politique de la colonie, ont tenté de calmer la colère de la population kanak. Ils ont publié un communiqué appelant «l’ensemble de la population à ne pas céder à la violence, malgré sa douleur et face aux provocations. Aujourd’hui plus que jamais, la paix et la justice doivent guider nos actions, en vue de préserver la stabilité de notre pays».

Le procureur de la République à Nouméa, Yves Dupas, a indiqué que l'opération policière, menée à l'aide de véhicules blindés, visait à interpeller des suspects pour tentative de meurtre sur agents et vol à main armée, avec « près de 300 coups de feu constatés ces derniers mois ». Les personnes décédées faisaient l'objet d'un mandat de recherche « parmi un total de 13 personnes impliquées, recherchées et localisées dans la tribu de Saint-Louis », a-t-il précisé.

Selon Dupas, la police a essuyé des tirs de la part de cinq personnes et a riposté. Le premier coup de feu avait «touché un homme de 30 ans, positionné comme un tireur isolé, au côté droit de l'abdomen ». «Le deuxième coup de feu a touché un homme de 29 ans au thorax.» L'un d'eux est décédé sur place, l'autre est décédé dans un hôpital local.

La France mène des opérations militaires brutales pour maintenir son occupation coloniale face à une résistance farouche. Des unités militaires françaises ont déjà été déployées en Afghanistan, au Kosovo, en Côte d'Ivoire et dans le département de Mayotte dans l'océan Indien. Saint-Louis même a une longue histoire coloniale. Après les révoltes kanak de 1878, les habitants ont fui vers cette zone pour échapper aux attaques militaires, où leurs descendants vivent toujours.

La répression a fait sa 10e victime le 10 juillet lors d'un échange de coups de feu avec des militants retranchés dans une église de Saint-Louis. Les autorités ont imputé la responsabilité à la victime, le neveu de l'homme politique indépendantiste en vue et président du Congrès local Roch Wamytan, affirmant qu'il avait tiré sur les gendarmes, qui avaient ensuite riposté.

Le soulèvement commencé en mai ne faiblit pas. RNZ Pacific a rapporté le 10 septembre que l'église Saint-Denis de Balade, à Pouébo, à la pointe nord de l'île principale de Grande Terre, avait été détruite par un incendie. Cet incendie criminel, le sixième en quelques mois, était symbolique: il s'agissait de la première église catholique, fondée dix ans avant que la France ne prenne officiellement possession de la colonie.

Alors que le bastion de Saint-Louis était toujours fermement aux mains de militants armés, les forces de sécurité ont construit un mur de béton le long de la route provinciale à côté du village, isolant la tribu. La police française a alors commencé ses opérations, la semaine précédant l'affrontement mortel. Le correspondant d'Islands Business, Nic Maclellan, a rapporté sur X/Twitter que les gendarmes ont utilisé des gaz lacrymogènes lors des affrontements.

Dans une interview à La Voix du Caillou, le haut-commissaire français Louis Le Franc a affirmé que «l’ordre public» était «beaucoup plus calme depuis un mois». Il a dû reconnaître : «À Nouméa, nous avons des problèmes récurrents […] avec les populations jeunes qui vivent dans les logements sociaux et les squats». Les autorités ont maintenu un couvre-feu nocturne de 18 heures à 6 heures du matin, restreint la vente d’alcool, interdit le transport de carburant et la possession d’armes à feu.

La sécurité a été renforcée avant le jour férié, près de 7 000 soldats et gendarmes français étant désormais positionnés dans la colonie. Le Franc a déclaré aux médias locaux: «Cela ne s’est jamais vu auparavant, même pendant les moments les plus difficiles des événements de 1984 et 1988 – nous n’avons jamais eu cela.» Il faisait référence à une révolte kanak dans les années 1980 qui n’a pris fin qu’avec l’accord de «partage du pouvoir» de Nouméa de 1998 promettant une série de référendums sur l’indépendance.

L’impasse risque d’être aggravée par la décision du président français Emmanuel Macron d’installer un gouvernement d’extrême droite à Paris après les élections anticipées de juillet. Le Premier ministre Michel Barnier s’est déjà rangé du côté des «loyalistes» pro-français du territoire, qui ont rapidement applaudi sa nomination. Pendant les élections, la dirigeante fasciste du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, qui exige que Barnier s’adapte au programme du RN, a déclaré sans détour que la Nouvelle-Calédonie était «française» et ne connaîtrait pas l’indépendance avant «30 ou 40 ans».

Macron a promis des pourparlers avec les responsables politiques de la Nouvelle-Calédonie pour rétablir le «dialogue» afin de résoudre la crise et d’assurer l’avenir à long terme du territoire. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale française en juin et les élections législatives qui ont suivi, le projet de loi constitutionnel sur la liste électorale de la Nouvelle-Calédonie est dans l’incertitude, Macron déclarant qu’il était «suspendu » (article en anglais), mais pas «retiré».

La nomination du nouveau ministre des Outre-mer François Noël Buffet, un sénateur du parti de droite Les Républicains qui n'a recueilli que 7,25 pour cent des voix aux élections, signalait un renforcement de la répression dans la colonie. Contrairement à ses prédécesseurs qui étaient ministres «délégués» auprès du ministre de l'Intérieur, Buffet est ministre à part entière, directement rattaché au cabinet du Premier ministre.

Une délégation bipartite de Nouvelle-Calédonie est actuellement à Paris pour rencontrer des responsables. Elle comprend des députés calédoniens du Sénat et de l'Assemblée nationale, deux de chaque faction indépendantiste et loyaliste, ainsi que les chefs de caucus du Congrès du territoire, le président du Sénat coutumier, un représentant du gouvernement local et le président du Conseil économique et social.

A l'ordre du jour figure le plan de reconstruction du Congrès, d'un montant de 4,1 milliards d'euros sur cinq ans, que les dirigeants estiment nécessaire pour reconstruire la Nouvelle-Calédonie. Les dégâts matériels sont estimés à 2,2 milliards d'euros, plus de 800 magasins et entreprises ayant été détruits et 20 000 personnes ayant perdu leur emploi. Même si ces paiements sont versés, ils ne contribueront en rien à résoudre le problème de la pauvreté, du chômage et de l'aliénation sociale qui sont à l'origine de la rébellion.

La crise a entraîné de profonds changements dans la situation politique de la colonie. Lors d'un vote surprise fin août, le président du Congrès pro-indépendance, Wamytan, a été remplacé par Veylma Falaeo, qui est membre du parti Eveil Océanien (EO). EO, qui ne comptait que trois membres au Congrès, avait auparavant assuré une majorité à la faction indépendantiste. Mais Falaeo a gagné le soutien des loyalistes, ce qui a fait basculer la faible majorité en leur faveur.

La base d'EO se trouve dans la communauté du territoire français voisin de Wallis et Futuna, et promeut ostensiblement une «voie médiane» entre les blocs opposés. Après la victoire de Falaeo, les partis loyalistes ont déclaré leur «joie» de voir la fin de la présidence de cinq ans de Wamytan.

Le FLNKS est en proie à une crise interne. Deux des quatre partis qui le composent, le Parti de libération kanak (PALIKA) « modéré » et l’Union progressiste mélanésienne (UPM), ont refusé de participer à un congrès organisé le week-end du 31 août. Ils ont scindé l’organisation en deux, affirmant que la priorité était de mettre fin à la violence et de lever tous les obstacles pour que la «normalité» revienne.

Les dirigeants du PALIKA et de l’UPM avaient déjà exprimé leur opposition à la position de la faction dite «dure» de l’Union calédonienne (UC) et du Rassemblement démocratique océanien (RDO). Au début de l’an dernier, l’UC avait organisé une série de manifestations coordonnées par sa cellule de coordination des actions sur le terrain (CCAT), qui ont déclenché des émeutes, qui durent depuis des mois.

L'UC a annoncé devant le congrès son intention de nommer Christian Téin, le leader du CCAT, au poste de président du FLNKS et d'intégrer formellement le CCAT comme «outil de mobilisation» reconnu du FLNKS. Téin, que les autorités accusent d'être le «meneur» du soulèvement, a été arrêté et déporté et mis en détention provisoire dans une prison française.

Malgré la posture radicale du FLNKS, la porte-parole Laurie Humuni a déclaré aux médias après le congrès tronqué qu'elle était prête à reprendre les discussions sur l'avenir politique de la Nouvelle-Calédonie, mais seulement avec l'État français et non avec les partis anti-indépendantistes.

(Article paru en anglais le 27 septembre 2024)

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