Les révélations concernant les difficultés financières de Northvolt – le fabricant de batteries électriques basé en Suède qui a bénéficié de larges subventions gouvernementales pour son projet d’usine au Québec – mettent en lumière le processus par lequel les ressources de la société sont détournées au profit de la grande entreprise.
En septembre 2023, Northvolt a annoncé son intention de construire une «méga-usine» de fabrication de cellules de batteries lithium-ion pour véhicules électriques (VE) sur un terrain de 120 hectares situé sur la Rive-Sud de Montréal.
Ce projet fait partie d’une restructuration majeure de l’industrie mondiale de l’automobile alors que les entreprises délaissent peu à peu la production des véhicules à essence en faveur des VE. Elles utilisent cette transformation pour éliminer des centaines de milliers d’emplois dans le monde et attaquer les conditions des travailleurs avec la pleine complicité des appareils syndicaux nationalistes et pro-capitalistes.
Il s’inscrit aussi dans les préparatifs des grandes puissances occidentales – les États-Unis en tête avec l’aide de leur allié canadien – pour une confrontation économique et militaire avec la Chine. La création des chaines d’approvisionnements pour les VE dans ces pays est vue comme une façon de nuire à l’économie chinoise et de préparer la leur à passer en mode de guerre le moment venu, plusieurs composantes des VE étant aussi vitales pour l’industrie de l’armement.
Les entreprises qui, comme Northvolt, œuvrent dans le processus de fabrication des batteries pour VE utilisent ce contexte favorable pour placer les gouvernements en compétition les uns contre les autres et ainsi obtenir d’eux des milliards de dollars d’aide financière pour faire augmenter les profits et, comme on le voit avec Northvolt au Québec, socialiser les risques.
Le projet a été généreusement financé par le gouvernement du Québec de l’homme d’affaires multimillionnaire François Legault et par le gouvernement fédéral-libéral de Justin Trudeau.
Du coût de construction de l’usine, estimé à 7 milliards de dollars canadiens, le gouvernement du Québec doit fournir 1,37 milliard et le gouvernent fédéral 1,34 milliard. Les deux gouvernements se sont également engagés à subventionner la production lorsque l’usine sera en fonction, à hauteur de 1,5 milliard de dollars pour le gouvernement Legault et de 3,1 milliards pour le gouvernement Trudeau.
Le gouvernement du Québec a également mis plus de 300 mégawatts d’hydroélectricité à la disposition de Northvolt au tarif dérisoire réservé aux entreprises grandes consommatrices d’énergie (le tarif L), ajoutant ainsi aux milliards de fonds publics dédiés au projet d’usine privée.
Northvolt a ensuite été exempté des lois requérant une évaluation préalable des conséquences environnementales de son projet par une intervention directe du gouvernement Legault. Pour justifier ce passe-droit, le ministre de l’Environnement Benoit Charrette a expliqué que le Québec n’«aurait pas eu le projet» si la CAQ avait exigé que Northvolt respecte la loi. L’entreprise a donc pu commencer ses travaux de préparation du terrain au printemps 2024 et saccager sans contrainte des milieux humides sensibles abritant des espèces menacées.
Mais une série de nouvelles a récemment mis en lumière la situation financière précaire de Northvolt et remis en question son projet québécois avant même que la construction de l’usine ne soit commencée.
En juin, le constructeur automobile BMW a annoncé qu’il annulait un contrat d’une valeur de près de 3 milliards de dollars canadiens avec Northvolt devant l’incapacité de cette dernière à respecter ses délais de livraison des cellules de batteries.
En réponse, Northvolt a amorcé une «révision stratégique» de ses activités après une expansion «un peu trop agressive». Les médias ont alors apporté que Northvolt éprouvait des difficultés à accroitre la production dans sa principale usine suédoise et qu’elle avait subi une perte opérationnelle de plus d’un milliard de dollars américains en 2023.
Volkswagen, client et principal actionnaire de Northvolt, a formé un groupe de travail pour surveiller les problèmes de production de Northvolt. Les prêteurs de l’entreprise ont quant à eux mandaté une firme de Wall Street pour élaborer des «scénarios de redressement».
Malgré ces nouvelles, Québec et Ottawa ont proclamé tout l’été leur confiance que le projet québécois n’était «aucunement remis en cause». Mais à la fin du mois d’août, peu après l’annonce par Northvolt de la fermeture d’une usine en Californie, le ministre québécois de l’Économie, l’homme d’affaires Pierre Fitzgibon qui a récemment démissionné, a soudainement annoncé que l’entreprise devrait revoir son échéancier et que le projet pourrait accuser un retard de 12 à 18 mois.
Puis, le 9 septembre, l’entreprise a annoncé une restructuration de ses activités mondiales et l’annulation d’un projet en Suède. Deux semaines plus tard, le 23 septembre, Northvolt a licencié 1.600 employés, près du quart de ses effectifs mondiaux, et engagé les services de Teneo, une firme spécialisée en conseil de restructuration. Enfin au début du mois d’octobre, une filiale de Northvolt chargée de l’expansion de son usine suédoise a déclaré faillite. Le projet de l’entreprise au Québec est maintenant ouvertement remis en question.
Les efforts de la CAQ pour calmer les inquiétudes et présenter le projet Northvolt comme un «risque contrôlé» ont eu peu d’effet, surtout lorsque les médias ont rapporté que le gouvernement Legault a déjà versé 710 millions à Northvolt et que ces sommes – un prêt «pardonnable» de 240 millions pour l’achat du terrain (à quatre fois sa valeur réelle), une prise de participation de 270 millions et un autre prêt de 200 millions – ne pourront probablement pas être récupérées en cas de faillite ou d’annulation du projet.
Ces nouvelles révélations ont déclenché un torrent d’accusations de la part des partis d’opposition et des médias. Mais, centrées sur la supposée «incompétence financière» de la CAQ qui aurait «parié l’argent des Québécois», ces critiques ignorent sciemment la question essentielle soulevée par la saga Northvolt: la canalisation de toutes les ressources de la société, qui sont produites par le labeur de la classe ouvrière, vers les grandes entreprises et leurs riches actionnaires pendant que la population continue de s’appauvrir et que les services sociaux tombent en ruine.
Chaque parti cherche à profiter des difficultés de Northvolt pour se présenter comme un meilleur gestionnaire de «l’argent des Québécois». En réalité, tous signalent au patronat qu’ils sont, comme la CAQ, d’ardents défenseurs du système capitaliste et que, s’ils la remplaçaient au pouvoir, l’argent public continuerait de couler à flots vers les comptes en banque des riches.
Exploitant le nationalisme économique, le Parti libéral du Québec (PLQ), qui a «investi» 1,3 milliard de dollars dans l’avion Série C de l’avionneur québécois Bombardier lorsqu’il était au pouvoir – un investissement auquel le gouvernement Legault a ajouté 700 millions et qui a été entièrement perdu – a réclamé que le bloc d’électricité réservé à Northvolt soit libéré au profit «d’entreprises québécoises».
Le Parti québécois, qui attaque la CAQ par la droite depuis des mois au sujet de l’immigration et qui clame que le gouvernement Legault n’est pas assez nationaliste, a démontré que leurs différends sont superficiels et que la classe politique est unie lorsqu’il est question d’appuyer le transfert des richesses vers la classe capitaliste. Son chef Paul Saint-Pierre Plamondon a signifié son appui total au projet et réclamé que le Québec respecte ses engagements envers Northvolt afin de «demeurer un milieu d’affaires stable et fiable».
Québec solidaire, le parti soi-disant de «gauche», a simplement demandé que le gouvernement ne mette plus «un sou dans Northvolt avant de tout perdre». Mais Northvolt n’est pas un cas isolé. Pour la seule filière batterie, le gouvernement du Québec a annoncé des financements pour un total qui devait atteindre 30 milliards de dollars canadiens à la fin 2024. C’est sans compter les autres industries qui profitent tout autant des largesses de l’État.
Pour payer ces somptueux cadeaux aux riches, les gouvernements vont intensifier l’austérité, les coupes dans les services sociaux et les attaques sur les salaires et les emplois.
En juillet dernier, il a été révélé qu’Investissement Québec, le bras économique du gouvernement du Québec, attirait des entreprises de la filière batterie en faisant valoir les bas salaires en vigueur au Québec, jusqu’à 30% inférieurs à ceux dans les États du nord-est des États-Unis dans les catégories d’emplois spécifiques à la fabrication de batteries.
L’objectif n’est pas de faire de «bons investissements», d’«enrichir le Québec» ou de créer des emplois, mais d’enrichir la grande entreprise québécoise et de mieux défendre ses intérêts géostratégiques en tant qu’acteur majeur dans le juteux marché des «industries vertes» capitalistes.
À cette orgie de cadeaux aux banques, à la grande entreprise et aux riches actionnaires, la classe ouvrière doit opposer un programme pour la défense des emplois, l’augmentation des salaires et des investissements massifs dans les services sociaux.
Ce programme ne peut être mis en œuvre que dans le cadre d’une lutte politique de la classe ouvrière internationale pour une transformation révolutionnaire de la société vers une économie planifiée à l’échelle mondiale pour satisfaire les besoins sociaux de tous, et non le profit privé.