Trois ouvriers ont péri jeudi dernier dans l'effondrement d'une mine d'or de l’extrême-orient russe. Leurs corps écrasés ont été extraits de la mine de Kumroch, dans le district d'Oust-Kamtchatski, au Kamtchatka, avec l'aide d'une équipe spécialisée.
Le lendemain, le directeur général de l'exploitation, qui appartient à la compagnie minière Bistrinskaya (BGK), a nié qu'il y ait eu un éboulement ; il a affirmé que la cause de la mort des mineurs était encore inconnue et a insisté pour dire qu'il n'y avait aucun danger dans les autres puits à proximité. Ceux-ci restent ouverts et actifs. Les autorités ont rapidement publié des déclarations peu convaincantes sur l'ouverture d'une enquête et sur la nécessité de traduire les responsables en justice.
L'une des victimes, Evgeniy Loginovsky, 36 ans, était père de quatre enfants et venait de Bakal, une petite ville de 20 000 habitants située dans les montagnes de l'Oural. Au cours du week-end, spn épouse a parcouru quelque 5 600 kilomètres pour venir récupérer sa dépouille à la mine où il travaillait loin de sa famille depuis 2022. Loginovsky était mineur depuis 17 ans. Aucune autre information n'est disponible sur les autres personnes tuées.
La mine de Kumroch, récemment ouverte et qui sera pleinement opérationnelle en 2026, est capable de produire 600 000 tonnes de minerai par an, avec un rendement de 4 tonnes d'or par an. Bien que le prix du métal précieux varie constamment, selon les moyennes récentes, un tel volume générerait entre 200 et 250 millions de dollars par an. Si l'exploitation de Kumroch peut fournir les 4 tonnes attendues, elle augmentera la production d'or de la région du Kamchatka, qui a cru de près d'un tiers l'an dernier, de 50 pour cent supplémentaires. En 2018, une étude avait trouvé que la mine possédait 48,8 tonnes de réserves d'or ; d'autres estimations les évaluaient à moins.
Les agences gouvernementales ont investi de l'argent à tout-va dans cette opération. La société mère de la mine, BGK, a récemment signé de nouveaux marchés garantissant à son exploitation un soutien au niveau national au Forum économique de l'Est, tenu en septembre. La Société russe de développement de l'Extrême-Orient et de l'Arctique, financée par l'État, est un investisseur majeur.
Le développement de la mine de Kumroch fait partie des efforts déployés par le Kremlin, qui vient d’annoncer une nouvelle hausse considérable des dépenses de sécurité, pour développer rapidement le complexe militaro-industriel de la Russie, alors qu’il doit faire face aux tentatives incessantes des États-Unis et de l’OTAN de briser et de soumettre le pays. Une expansion dont le but ultime n’est pas de défendre la classe ouvrière russe contre l’impérialisme mais de garantir la capacité de la classe capitaliste russe à exploiter la population, se fait aux dépens des masses.
Les services sociaux subissent des coupes et les conditions de travail se dégradent dû à la pénurie de main-d’œuvre et à la course effrénée à la création de nouvelles entreprises. Tout cela se greffe à une base industrielle déjà hautement dangereuse pour les travailleurs, ravagée qu’elle fut pendant des décennies par les anciens bureaucrates soviétiques et leurs héritiers. Après avoir restauré le capitalisme en URSS, ils l’ont pressé jusqu’au dernier centime sans souci aucun des conséquences humaines.
Autre manifestation de la réalité des lieux de travail industriels en Russie : les mineurs sibériens ont entamé cette semaine une grève de la faim pour protester contre le non-paiement de leurs salaires. La mine de Kemerovo les laisse sans paye depuis trois mois. Le propriétaire Denis Nemikin doit aux trois cent quatre-vingt-deux mineurs 46 millions de roubles (475 000 dollars ou 440 000 euros), somme qu’il affirme ne pas pouvoir payer dû à la faillite de l'entreprise. Jusqu'à présent, 12 mineurs ont signé une déclaration annonçant leur intention de faire la grève de la faim jusqu'à ce qu'ils obtiennent ce qui leur est dû.
Selon des informations de presse, le gouvernement «surveille» la situation. Bien que les mineurs aient dénoncé le non-paiement de leurs salaires en juillet, les autorités n’ont pris aucune mesure, à part demander au propriétaire de la mine d’indiquer les mesures prises pour remédier à la situation. L’agence officielle de statistiques de la région de Kemerovo n’enregistre pas les arriérés de salaires de la mine d’Inskaïa ; elle affirme que pour toute la région, qui n’a que 94 000 km², ils ne dépassent pas 5 millions de roubles pour tous les travailleurs.
À une réunion avec les mineurs lundi, Nemikin les a appelés à reprendre le travail pour assurer la «viabilité» de l'entreprise et a déclaré qu'il leur avait déjà «fait cadeau» de neuf mois de salaire. En réponse, les mineurs ont clairement indiqué qu'ils ne travaillaient pas gratuitement et ont fait remarquer qu'ils ne pouvaient pas utiliser les équipements de la mine, qui n’étaient plus fonctionnels tant ils étaient vieux. Ils sont sans aucun doute conscients des dangers que cela représente et ne veulent pas subir le même sort que leurs collègues de la mine de Kumroch.
L'hécatombe qui frappe les mineurs russes est une réalité pour les travailleurs de tout le pays, comme pour le reste du monde. Une analyse des articles de presse publiés entre le 8 et le 18 octobre seulement révèle au moins 23 morts industrielles dans le pays. Les travailleurs sont écrasés, broyés, enterrés vivants ou déchiquetés.
Vendredi dernier, un ouvrier du bâtiment de 23 ans est décédé à Nijni Novgorod en tombant d'un immeuble de 25 étages. Le même jour, dans le nord-est de Moscou, un ouvrier en pause s'est appuyé contre un mur de briques sur un chantier et a fait une chute mortelle de quatre étages. A Riazan, un conducteur de chariot élévateur est décédé pendant un chargement. Le 17 octobre, un homme de 50 ans a péri en nettoyant une bétonnière dans une usine d'asphalte près de Saratov. Le même jour, un ouvrier n'a pas survécu après avoir été pris dans une roue de tracteur dans une usine sucrière d'Oulianovsk. Un autre est décédé à Baranul, dans l'Altaï, après avoir fait une chute de six étages pendant des travaux de montage. Et à Vladivostok, la vie d'un ouvrier du bâtiment de 23 ans s'est terminée suite à une chute dans une cage d'ascenseur.
Le 16 octobre, à Saratov, un homme a été «enterré vivant» alors qu’il remplaçait une canalisation. Le 15 octobre, quelqu’un est mort à l’usine d’extraction de minerai de fer de Yakovlevsky. Le même jour, à Samara, un ouvrier a été renversé pendant des travaux routiers par un camion KamAz. Deux jours plus tôt, un homme de 38 ans qui posait des câbles dans la région de Svobodensky est mort enseveli sous plusieurs tonnes de sable et de gravier. Au même moment, les portes d’un entrepôt de légumes à Nizhniy Novogord se sont fermées sur un employé, l’écrasant mortellement.
Le 12 octobre, un immeuble s'est effondré à Moscou pendant la construction d'un nouveau centre d'affaires ; un ouvrier est mort, un autre est resté coincé sous les décombres. Le 10 octobre, un mineur a été tué et un autre a dû être secouru à la mine Mokhovsky en Sibérie. Le même jour, un homme a été pris dans un éboulement alors qu'il travaillait sous terre dans la région de Belgorod. Le 9 octobre, un homme de 44 ans est décédé dans une usine d'aluminium à Irkoutsk. La veille, un autre a été écrasé alors qu'il creusait un tunnel dans la mine de charbon Denisovsky Vostochny, en Iakoutie. Le même jour, un soudeur de Rostov est tombé et est décédé.
Parmi les morts figurent des enfants. À Iskitim, petite ville de 60 000 habitants proche de Novossibirsk, un jeune de 16 ans a été «mangé» par une machine alors qu’il tentait de sauver son collègue, lui-même âgé de juste 22 ans, qui allait être happé par un tapis roulant dans une carrière. Le garçon était élève de troisième. «Seules ses jambes dépassaient», a déclaré l’un de ses collègues. Le contremaître et le directeur ont été détenus pour négligence.
En avril de cette année, 13 mineurs de la région d'Amour ont été tués par l'effondrement d'une mine qui les a piégés 30 étages sous terre (article en anglais).
La liste est longue. Et cela n’inclut pas les blessures sans fin que subissent les travailleurs et dont beaucoup se révèlent mortelles à court et à long terme. Chaque cas révèle des violations des règles de sécurité et des cas de corruption. Il arrive parfois qu’une poignée de personnes soient jugées pour leurs crimes et que des amendes soient infligées, mais la situation ne change pas.
En novembre 2021, 51 personnes ont péri dans une explosion de méthane dans la mine de Listvyazhnaya dans le Kouzbass. Le 16 octobre de cette année a commencé, trois ans après les faits, le procès de fonctionnaires du gouvernement ayant falsifié des documents et accepté des pots-de-vin pour fermer les yeux lors d’inspections. Le 18 octobre, la femme d’un mineur tué il y a 11 ans dans une explosion qui a coûté la vie à 18 personnes, a obtenu une indemnité supplémentaire de la part de l’entreprise, le fruit d’une plainte qu’elle avait elle-même déposée. Après avoir fait éterniser l’enquête pendant six ans, les autorités avaient classé l’affaire au motif que le délai de prescription était atteint.
(Article paru en anglais le 23 octobre 2024)