Elon Musk, milliardaire et proche de Donald Trump, poursuit sa campagne de soutien à l'Alternative pour l'Allemagne (AfD). Après avoir annoncé sur X que seule l'AfD pouvait seule sauver l'Allemagne et avoir appelé les électeurs à voter pour ce parti d'extrême droite dans le journal Welt am Sonntag, il a eu jeudi 9 janvier sur X une longue conversation avec la présidente de l'AfD, Alice Weidel, qui a été suivie par un public allant jusqu'à 210 000 personnes.
Musk et Weidel se sont couverts de compliments pendant 75 minutes, discutant, riant et s’encourageant mutuellement en criant des «Yeah» d’admiration. Un spectacle obscène montrant que tous deux étaient d’accord sur tous leurs grands thèmes politiques: expulsion des migrants, déréglementation de l’économie, baisses d’impôts pour les riches, rejet des mesures de protection contre le COVID-19, retour à l’énergie nucléaire, réarmement massif, soutien au génocide israélien à Gaza, etc.
Elon Musk a réitéré avec insistance son appel à voter pour l'AfD. Il a recommandé à la population allemande:
Si vous n’êtes pas satisfait de la situation, vous devez voter pour le changement, et c’est pourquoi je recommande vivement aux gens de voter pour l’AfD. C’est ma recommandation la plus forte. Comme je l’ai dit publiquement, je pense que seule l’AfD peut sauver l’Allemagne, et je veux être très clair à ce sujet: seule l’AfD peut sauver l’Allemagne, point final! Les gens doivent vraiment soutenir l’AfD, sinon la situation va empirer en Allemagne.
Avec une fortune de plus de 400 milliards de dollars, Elon Musk est l'homme le plus riche du monde. Il est l'un des plus proches confidents du futur président américain Donald Trump, pour qui il doit diriger un «Département de l'efficacité gouvernementale» dont l'objectif affiché est de réduire le budget de plus d'un quart et de supprimer des centaines de milliers d'emplois. Elon Musk utilise le réseau social Twitter, qu'il a acheté pour 44 milliards de dollars et rebaptisé X, pour promouvoir les mouvements d'extrême droite dans le monde.
Le fait qu’Alice Weidel soit désormais l’une des favorites d’Elon Musk aux côtés du président argentin Javier Milei, de la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni et du parti britannique Reform UK met en lumière le caractère de classe de l’AfD. Le parti a gagné des voix en exploitant la colère de la population laborieuse contre les partis traditionnels, qui ne font qu’organiser le déclin social et la redistribution des richesses en faveur des riches, et en l’orientant vers la droite extrême. Désormais, il s’identifie ouvertement aux représentants les plus parasitaires du capital.
Donald Trump, qui a fait fortune dans le milieu criminel des spéculateurs immobiliers et des exploitants de casinos, forme un gouvernement d’oligarques pour poursuivre une politique d’austérité sociale, de conquête militaire et de dictature fasciste.
La réélection de l’aspirant-Führer est «l’expression du réalignement fondamental de la politique aux Etats-Unis comme dans le monde entier », a écrit le WSWS dans sa déclaration de Nouvel an. «Le nouveau gouvernement sera un gouvernement des riches, par les riches et pour les riches. À une échelle sans précédent dans l’histoire américaine, l’oligarchie exercera un contrôle direct sur l’État.» La fortune d’Elon Musk et des autres milliardaires de l’administration Trump est estimée à près de 500 milliards de dollars.
Trump mène une politique de répression interne dont le point culminant est la menace d’expulser de force des millions d’immigrés et celle de l’expansion militaire. Il a menacé d’annexer par la force le Groenland et le Canal de Panama et de faire du Canada le 51e État américain.
Il exige que les pays européens membres de l’OTAN augmentent leurs dépenses militaires à 5 pour cent de leur produit intérieur brut. Pour l’Allemagne, qui n’atteint actuellement que 2 pour cent grâce au fonds spécial de 100 milliards d’euros, cela signifierait un quadruplement du budget militaire ordinaire à 200 milliards d’euros par an. Cela correspondrait à environ la moitié du budget allemand total.
Alice Weidel soutient cet objectif, qui ne peut être atteint qu’en supprimant presque toutes les dépenses sociales. Elle a déclaré à la chaîne de télévision ZDF qu’il serait également possible d’envisager des dépenses supérieures aux 5 pour cent évoqués par Trump si nécessaire: «Je pense que c’est possible et très probable si l’on prend vraiment au sérieux le renforcement de la Bundeswehr [armée allemande] et de notre défense nationale.»
L’un des passages les plus bizarres de la conversation entre Weidel et Musk fut lorsque tous deux firent référence à Adolf Hitler, disant que c’était un «socialiste» et un « communiste », attaquant pour ainsi dire le dictateur nazi depuis la droite.
Interrogé par Musk sur l’accusation que l’AfD serait «d’extrême droite et en quelque sorte associée au nazisme», Weidel a répondu que les nationaux-socialistes étaient en fait, comme leur nom l’indique, des socialistes. «Ouais, ouais, ils ont nationalisé les industries comme des fous», a ajouté Musk. Et Weidel de poursuivre:
Oui, absolument. Hitler était communiste et se considérait comme socialiste. Ils ont financé des entreprises privées avec l’argent de l'État et ont ensuite réclamé des impôts, des impôts énormes. Et puis ils ont aussi nationalisé toute l'industrie. Le plus grand succès de notre histoire après cette terrible période a été de qualifier Adolf Hitler d'homme de droite et de conservateur. Il était exactement le contraire, il n'était pas conservateur, il n'était pas libertarien, il était communiste et socialiste. Nous sommes exactement le contraire, nous sommes un parti conservateur libertarien.
N’importe quel écolier sait qu'Hitler était un anticommuniste fanatique. Les bandes paramilitaires nazies ont persécuté les communistes avec brutalité et en ont tué beaucoup avant même qu'Hitler n'arrive au pouvoir. Dès son arrivée au pouvoir, Hitler a interdit le Parti communiste et, peu après, les sociaux-démocrates et les syndicats. Les premiers camps de concentration n'ont pas été construits pour les Juifs, mais pour les communistes et les sociaux-démocrates.
Les principaux représentants du monde des affaires, de l’armée et de la politique ont fait d’Hitler le chancelier du Reich et, avec la ‘Loi d’habilitation’, l’ont fait dictateur, car ils avaient besoin de lui pour écraser la classe ouvrière organisée et préparer la guerre. Hitler avait donc de nombreux admirateurs à l’étranger, y compris aux États-Unis. L’un des plus connus était Henry Ford, qui, comme Elon Musk aujourd’hui, dirigeait un grand trust automobile opérant à l’échelle internationale.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont intensifié l’exploitation jusqu’à atteindre des niveaux de brutalité sans précédent. Vingt-six millions de personnes de toute l’Europe ont été contraintes d’effectuer des travaux forcés pour l’économie de l’Allemagne et des territoires occupés. Les prisonniers des camps de concentration ont été littéralement victimes du programme d’‘extermination par le travail’. Hitler n’a pas touché à la propriété privée capitaliste. La seule expropriation effectuée par son régime a été « l’aryanisation» des biens juifs, qui ont été distribués à ses sbires.
L’État n’a eu d’influence sur la production que dans la mesure où l’économie de guerre l’exigeait. Il n’a pas réduit les profits des capitalistes. Aujourd’hui encore, les fortunes de nombreuses familles milliardaires allemandes – les Klatten et Quandt (BMW), les Porsche et Piëch (Volkswagen), les Schaeffler (Schaeffler et Continental) ou August von Finck (Degussa) qui a fait don de millions à l’AfD – peuvent être attribuées aux crimes des nazis.
Léon Trotsky écrivait dans son excellent article «Qu’est-ce que le national-socialisme» en 1933:
Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s'est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie, dont il s'est servi comme d'un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir n'est en rien le gouvernement de la petite bourgeoisie […] le national-socialisme s'élève au-dessus de la nation, comme la forme la plus pure de l'impérialisme […]La concentration forcée de toutes les forces et moyens du peuple dans l'intérêt de l'impérialisme, qui est la véritable mission historique de la dictature fasciste, implique la préparation de la guerre; ce but, à son tour, ne tolère aucune résistance intérieure et conduit à une concentration mécanique ultérieure du pouvoir. Il est impossible de réformer le fascisme ou de lui donner son congé. On ne peut que le renverser. L'orbite politique du régime des nazis bute contre l'alternative: la guerre ou la révolution?
Le programme conservateur et libertarien que Weidel déclare représenter tient du programme nazi. C’est le programme de la subordonnation de tous les besoins sociaux à l’enrichissement sans limite des oligarques et aux exigences de la guerre impérialiste, et de la suppression de tous les obstacles s’opposant à cet objectif. L’État doit être réduit à ses tâches répressives – police, services secrets et armée – afin de réprimer la résistance sociale et de mener des guerres impérialistes. Les tâches sociales telles que l’éducation, la santé et les infrastructures, en revanche, doivent être privatisées ou – comme la protection sociale, les soins, les retraites et la protection de l’environnement – carrément supprimées.
Ce programme est soutenu sous une forme ou une autre par tous les partis établis.
Le chef du Parti libéral-démocrate (FDP), Christian Lindner, a appelé à «davantage de Musk et de Milei» après l’éclatement du gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates et les Verts, et a supplié Elon Musk via X de travailler avec lui plutôt qu'avec Weidel.
Julia Klöckner, une dirigeante de l'Union chrétienne-démocrate (CSU), a publié jeudi sur ses réseaux sociaux la citation suivante: «Vous n'êtes pas obligés de voter pour l'AfD pour obtenir ce que vous voulez. Il existe une alternative démocratique: la CDU.» Elle n'a retiré cette citation que suite à des protestations.
La dirigeante du BSW, Sahra Wagenknecht, qui a elle-même débattu avec Weidel sur Welt-TV en octobre et n’a pas exclu une coopération politique, s’est contentée d’accuser la cheffe de l’AfD de s’associer avec un milliardaire américain au lieu de représenter les intérêts impérialistes allemands. Dans une déclaration vidéo, Wagenknecht a déclaré: «L’AfD a désormais trouvé son parrain américain. Ceux qui en ont assez de la soumission des politiciens allemands à l’establishment américain ne peuvent que voter pour le BSW. Nous défendons une politique sûre d’elle-même qui place les intérêts de notre pays au centre de tout.»
La presse établie fait elle aussi pour la première fois ouvertement campagne pour l'AfD. Après les protestations et les démissions au groupe de presse Springer, suite à la publication de l'appel électoral pro-AfD d'Elon Musk en première page de Welt am Sonntag, il est désormais clair que le patron et propriétaire du groupe Mathias Döpfner est personnellement à l'origine de cette décision.
Döpfner, qui a racheté les médias américains Politico et Business Insider, est un admirateur d’Elon Musk, à qui il a remis le «Prix Axel Springer» il y a quatre ans. Il entretient une ligne de communication directe avec Elon Musk. Selon un renseignement du magazine d’information Der Spiegel, Döpfner aurait recommandé à Elon Musk d’acheter Twitter et lui aurait proposé de gérer le réseau social pour lui.
Der Spiegel a également appris que le quotidien conservateur Die Welt avait invité Musk et Weidel à son «sommet économique» de fin janvier, auquel veulent aussi participer le chancelier Olaf Scholz, le chef de file de la CDU Friedrich Merz, ainsi que Robert Habeck (Verts) et Christian Lindner (FDP). L’information n’a pas encore été confirmée.
Le prétendu pare-feu que les partis traditionnels et les médias ont invoqué jusque là contre l'AfD d'extrême droite n'est en réalité qu'un mur délabré en train de s'effondrer. Le retour de Trump à la Maison Blanche et l'intensification des tensions internationales et sociales qui en découle ont provoqué un fort déportement à droite dans les cercles dirigeants européens.
En Italie et aux Pays-Bas, les partis fascistes sont déjà à la tête du gouvernement, en France, le Rassemblement national d’extrême droite est au seuil d’accéder au palais présidentiel, et en Autriche, l’ÖVP, parti frère de la CDU et de la CSU allemandes, négocie avec le FPÖ d’extrême droite pour former un gouvernement sous la direction d’Herbert Kickl, qui a des liens étroits avec le camp néonazi. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’AfD ne soit intégrée au gouvernement.
Cela ne peut être évité qu’à travers un mouvement indépendant de la classe ouvrière qui associe la lutte contre les coupes sociales, le fascisme et la guerre à la lutte contre leur cause: le capitalisme.
(Article paru en anglais le 11 janvier 2025)