David North
L’héritage que nous défendons

Les « Trois thèses » des rétrogressionnistes

Lorsqu’il traite des années de guerre, Banda lance des affirmations comme « En Europe des sections se sont abstenues de participer à la Résistance », cherchant à susciter le mépris à l’égard de l’histoire de la Quatrième Internationale chez ceux qui n’ont pas eu la possibilité de l’étudier.

Banda transforme le refus de la Quatrième Internationale de subordonner l’indépendance politique du prolétariat au programme de l’impérialisme « démocratique » et sa détermination à élaborer une ligne de principe vis-à-vis des mouvements de Résistance en cette affirmation mensongère : les trotskystes, qui ont toujours fait preuve de lâcheté politique, se sont « abstenus » ! Voilà une raison de plus d’enterrer le Comité International ! À bas le trotskysme !

Que Banda ne manifeste aucun intérêt à retracer les origines historiques de la discussion sur l’attitude de la Quatrième Internationale vis-à-vis des mouvements de Résistance de la Seconde Guerre mondiale n’est pas pour nous surprendre. Il ne se préoccupe pas de savoir qui, dans les années 1940, critiquait ainsi le mouvement trotskyste, ni d’étudier les positions politiques qui sous-tendaient ces critiques.

En revanche, il mentionne en passant la lutte de Cannon contre la minorité Morrow-Goldman. Il qualifie celle-ci d’ » alibi et de diversion commode qui ne put mettre un terme à la chute dans un pragmatisme de la pire espèce ». Et tel le malfaiteur qui n’a rien de plus pressé que de quitter les lieux du crime, Banda passe immédiatement à autre chose. Pourquoi tant de hâte ? Une si courte remarque pourrait laisser à croire qu’il a abordé là un épisode secondaire, sans réelle importance de l’histoire de la Quatrième Internationale.

Mais c’est loin d’être le cas. La lutte menée par Cannon contre Félix Morrow et Albert Goldman continuait et approfondissait la lutte menée en 1939-1940, sous la conduite de Léon Trotsky, par le SWP contre l’opposition petite-bourgeoise de Shachtman, Burnham et Abern. La lutte contre la minorité dirigée par Morrow et Goldman allait finalement prendre la forme d’une lutte contre des éléments petits-bourgeois et droitiers dans l’ensemble de la Quatrième Internationale.

Le fait que Banda ne s’attarde pas sur cette lutte et la réduise à un simple « alibi » et à « une diversion commode » est important à deux titres.

Tout d’abord, cela montre une fois de plus que Banda a une conception totalement subjective de l’histoire de la Quatrième Internationale et de ses luttes internes. Il est incapable de concevoir le rapport objectif qui existe entre la lutte de tendances dans le mouvement trotskyste, le développement de la crise mondiale du capitalisme et la lutte des classes. Plutôt que de considérer la biographie politique des dirigeants de la Quatrième Internationale comme le reflet contradictoire de rapports sociaux ayant une existence objective, Banda les voit uniquement comme une lutte entre les bons, les brutes et les truands.

Deuxièmement, une analyse des questions soulevées au cours de la lutte contre Morrow, Goldman et ceux qui les suivirent au niveau international montre quelle tradition politique et théorique réactionnaire est celle des accusations lancées aujourd’hui par Banda contre la Quatrième Internationale. Banda, nous l’avons souligné plus haut, est un éclectique qui ramasse ça et là de vieux arguments révisionnistes auxquels il fut répondu il y a longtemps et à la satisfaction de tous les trotskystes, à l’exception de lui-même comme on s’en aperçoit à présent.

Ce n’est pas seulement sa critique de l’attitude de la Quatrième Internationale vis-à-vis des mouvements officiels de la Résistance qui reprend les allégations de Félix Morrow, mais aussi l’accusation selon laquelle « la Quatrième Internationale toute entière, privée des capacités dialectiques et visionnaires de Trotsky, fut plongée dans la plus complète confusion par la situation d’après-guerre, parce que les dirigeants trotskystes comme Cannon avaient fait du trotskysme un dogme fétichiste ».

Voici comment Félix Morrow expliquait la source de ce qu’il considérait être la crise finale de la Quatrième Internationale :

« Le fol attachement à des formules vieillies, voilà la source de toutes nos disputes. Ce que le camarade Cannon appelle ‘notre inaltérable programme’. C’est là le cœur de la dispute. Pour Cannon et ses partisans, le programme ne peut souffrir le contact de mains profanes, il est sacré, intouchable…

« Pour comprendre le cœur de la dispute, il faut comprendre la situation dans laquelle la mort de Trotsky nous a laissés. La mort de Trotsky devait, tôt ou tard, conduire à une crise politique de la Quatrième Internationale et c’est ce à quoi nous avons affaire : une crise politique à l’échelle internationale. Il fallait que cela arrive parce que la mort de Trotsky a laissé un vide que rien ni personne ne pouvait combler, que ce soit de façon individuelle ou de façon collective. » [69]

L’attaque par Morrow du « programme inaltérable de Cannon », ce que Banda appelle « faire du trotskysme un dogme fétichiste », était une tentative de renverser le programme de la Quatrième Internationale. La similitude des deux positions n’est ni superficielle ni accidentelle. Les opposants petits-bourgeois de la Quatrième Internationale se repassent leurs vieilles défroques théoriques de génération en génération. Chaque nouvelle génération de révisionnistes – de Shachtman en 1940 à Banda en 1986 – se flatte néanmoins d’avoir découvert la tare fatale de la Quatrième Internationale.

Considérons les origines de la lutte contre la minorité de Morrow-Goldman et de leurs sympathisants dans la Quatrième Internationale, qui comptait dans ses rangs, soit-dit en passant, Grandizio Munis, que Banda affectionne tant, et Jock Haston de la Revolutionary Communist League, nom que portait alors la section britannique. La lutte engagée par Trotsky et le SWP contre Burnham, Shachtman et Abern constituait un jalon politique dans la transformation du Socialist Workers Party en un parti marxiste prolétarien. Elle marquait une rupture décisive d’avec les propagandistes petits-bourgeois étrangers au mouvement ouvrier qui succombèrent aux pressions de classe exercées par l’impérialisme sur l’avant-garde à la veille de l’entrée en guerre des États-Unis.

James Burnham, l’idéologue dirigeant de la minorité, déclara ouvertement son opposition au matérialisme dialectique et déserta du mouvement pour rejoindre le camp de la réaction impérialiste démocratique un mois à peine après la scission d’avril 1940. Le groupe de Shachtman qui prit le nom de « Workers Party » se prétendait toujours trotskyste tout en rejetant la définition donnée par la Quatrième Internationale de l’Union Soviétique, refusant de considérer celle-ci comme un État ouvrier et de la défendre inconditionnellement contre les attaques impérialistes.

La désertion de Shachtman exprimait le scepticisme d’une large couche d’intellectuels petits-bourgeois qui, sous l’impression des défaites du prolétariat, de la force apparente de la bureaucratie soviétique et du spectre menaçant de la guerre avaient perdu toute confiance dans la perspective de la révolution socialiste. Comme l’avait expliqué Trotsky :

« Au contraire, toutes les variétés de représentants désenchantés et apeurés du pseudo-marxisme partent du point de vue que la banqueroute de la direction ne fait que refléter l’incapacité du prolétariat à remplir sa mission révolutionnaire. Tous nos adversaires n’expriment pas clairement cette idée, mais tous, ultra-gauches, centristes, anarchistes, sans parler même des staliniens et des sociaux-démocrates – se déchargent de la responsabilité de la défaite sur le dos du prolétariat. Aucun d’eux n’indique dans quelles conditions précisément le prolétariat s’avérera capable de réaliser la révolution socialiste. » [70]

Si la scission d’avec Shachtman eut une importance décisive du point de vue politique, théorique et organisationnel, elle ne signifiait pas pour autant que les pressions sociales qui avaient engendré la dégénérescence politique et la trahison de celui-ci devenaient moins importantes ni que la Quatrième internationale avait rompu définitivement avec tous les éléments petit-bourgeois qui se trouvaient dans ses rangs. Tant que le capitalisme continue d’exister et même dans la période suivant immédiatement la révolution socialiste, il n’y aura pas de « lutte finale » contre le révisionnisme. Le déclenchement de la guerre, son impact catastrophique et ses conséquences imprévisibles conduisirent à de nouveaux regroupements dans la Quatrième Internationale.

Les premiers signes de l’existence de tendances révisionnistes dans la Quatrième Internationale apparurent dès 1942, lorsqu’un groupe de trotskystes immigrés allemands publièrent un document intitulé Trois thèses sur la situation politique et les tâches politiques. Les positions avancées dans ce document venaient confirmer l’avertissement qu’avait donné Trotsky en 1939 sur le scepticisme petit-bourgeois devant inévitablement conduire à une impasse. « Si l’on admet que les qualités sociales du prolétariat lui-même constituent la cause des défaites, il faut alors considérer comme sans espoir la situation de la société contemporaine ». [71]

C’était plus ou moins la conclusion à laquelle étaient parvenus les auteurs des Trois thèses et de la théorie de la « rétrogression ». Convaincus que la défaite de la classe ouvrière allemande et la conquête de l’Europe par les nazis étaient irréversibles, les « rétrogressionnistes » de l’IKD (Internationale Kommunisten Deutschlands) arrivaient à la conclusion que la perspective du socialisme n’était plus à l’ordre du jour pour un avenir prévisible. Leur opinion était que la guerre ferait rage pendant des décennies. Leur pessimisme prit des proportions apocalyptiques. « On ne voit à perte de vue qu’une destruction sans bornes, une gangrène et un chaos alarmant qui marque le naufrage de toute culture humaine ». [72]

L’hitlérisme n’était pas le résultat du capitalisme pourrissant, mais plutôt l’annonce d’un nouveau système social : « Les prisons, les nouveaux ghettos, le travail obligatoire, les camps de concentration et même les camps de prisonniers de guerre ne sont pas que des institutions politico-militaires temporaires, mais constituent précisément autant de formes d’un nouveau type d’exploitation économique qui accompagnent le développement vers un État esclavagiste moderne et qui est destinée à devenir le lot permanent d’une bonne partie de l’humanité ». [73]

La vieille conception de la lutte des classes avait perdu sa validité. « La situation politique… se caractérise avant tout par le fait que les partis ouvriers et tous les partis bourgeois non fascistes ont été anéantis… Mis à part quelques exceptions, il n’y a plus de mouvement politique traditionnel indépendant bourgeois ou prolétarien… même la bourgeoisie ‘nationale’ est systématiquement détruite…Dans ces conditions, il faut que l’opposition à la misère grandissante trouve une autre expression ». [74]

Le nouveau mouvement serait constitué de « toutes les classes et couches sociales » qui se rassembleraient dans une lutte unie pour la « libération nationale » de l’Europe. Envisager le renversement du capitalisme n’était plus possible : « La transition du fascisme au socialisme reste une utopie sans un stade intermédiaire qui est dans ses grands traits l’équivalent d’une révolution démocratique ». [75]

La défaite d’Hitler à Stalingrad à la fin de 1942, le début de la fin pour le fascisme allemand, enlevait sa pierre d’assise aux Trois thèses selon lesquelles il n’y avait pas de fin prévisible à la domination de l’impérialisme allemand et à la guerre. Mais au lieu d’abandonner leur vieille théorie, les rétrogressionnistes l’ont simplement révisée et ont rendu plus universel et plus catégorique encore son rejet de la perspective de la révolution socialiste.

En 1944, ils présentèrent un nouveau document intitulé Barbarie capitaliste ou socialisme, dans lequel ils affirmaient que « le développement vers des États esclavagistes modernes est un phénomène mondial qui résulte de la pourriture du capitalisme ». [76]

Le développement historique de l’humanité se trouvait rejeté de plusieurs siècles en arrière. La classe ouvrière avait par conséquent pour tâche de reconquérir la liberté nationale afin de créer les conditions d’un développement vers le socialisme. Le développement rétrograde : « …est un processus qui nous apparaît comme la terrible lutte pour la survie d’une société condamnée à disparaître. Elle parcourt le chemin de l’histoire en sens inverse, retournant à la fin du Moyen âge, à l’époque de ‘l’accumulation primitive’, de la guerre de trente ans, des révolutions bourgeoises etc. À cette époque, il fallait détruire les formes économiques dépassées et ériger des nations indépendantes. Aujourd’hui, cette indépendance est détruite et la société est rejetée dans la barbarie du moyen-âge…

« Le socialisme…est aspiré dans le passé…Le prolétariat est, comme par le passé, une masse informe. Les qualités qu’il a acquises à l’époque de son ascension et de sa formation ont été perdues. » [77]

Le contenu historique de la « rétrogression » se trouvait formulé de cette façon : « sortir de l’esclavagisme, de la servitude, de l’absence d’indépendance nationale, de la dépendance économique et de l’arriération, pour retomber dans l’arriération et la dépendance économique, l’absence d’indépendance nationale, la servitude et l’esclavagisme ». [78]

Et pour être bien sûr d’exclure tout optimisme déplacé, les théoriciens de l’IKD proclamaient fièrement qu’ils avaient « déterminé concrètement le point de départ de la rétrogression dans la Russie de la révolution socialiste victorieuse. Nous avons donc inclus la révolution d’octobre victorieuse dans la théorie de la rétrogression, la considérant dans ses contradictions internes comme une révolution isolée se transformant pour devenir contre-révolutionnaire ». [79]

Au lieu d’attribuer le rôle de maître de l’état esclavagiste universel au fascisme allemand, les rétrogressionnistes attribuaient ce rôle aux États-Unis. Le conflit fondamental dans la société devenait la lutte des nations pour leur indépendance.

« Avant que l’Europe ne puisse se réunifier sous la forme d’’États socialistes’, il lui faut à nouveau se diviser en nations indépendantes et autonomes. Il s’agit avant tout pour les peuples et le prolétariat divisés, soumis à l’esclavage et rejetés en arrière de se constituer à nouveau en nations.

« La plus urgente de toutes les questions politiques est la question posée depuis des siècles, depuis les débuts du capitalisme industriel et du socialisme scientifique : la conquête de la liberté politique, l’établissement de la démocratie (cela vaut donc aussi pour la Russie) comme la condition préalable indispensable à la libération nationale et à la fondation du mouvement ouvrier. » [80]

Les socialistes se devaient de reconnaître que :

« …le développement rétrograde avait concentré sur une grande échelle tous les problèmes qui se sont posés durant l’ensemble du développement ascendant de la société bourgeoise et de sa préhistoire…Et le moyen indispensable à la solution de la crise mondiale du capitalisme et du socialisme offert par la rétrogression, un moyen qu’il suffit aux révolutionnaires de saisir, s’appelle : liberté nationale. Par là, nous voulons dire : la question nationale est un des épisodes historiques qui deviennent nécessairement un jalon stratégique dans la reconstruction du mouvement ouvrier et la lutte pour la révolution socialiste. Celui qui ne comprend pas ce phénomène historiquement nécessaire et ne sait pas de quelle façon s’en servir ne sait rien du marxisme-léninisme et n’en comprend pas plus. » [81]

Les sentiers tortueux de la perspective rétrogressionniste conduisaient à la négation de la conception marxiste fondamentale de l’indépendance politique du prolétariat et à une nouvelle justification de la collaboration de classe sous la forme des « fronts populaires ». Dans l’Europe de 1942-1945, cela signifiait une soumission complète de la classe ouvrière aux organisations de la Résistance sous direction bourgeoise. « Les révolutionnaires ont le choix entre un soutien inconditionnel de ces mouvements ou un retrait total de la politique ». [82]

Les rétrogressionnistes de l’IKD insistaient pour dire que la seule perspective viable était celle du commencement d’une nouvelle époque de révolutions démocratiques nationales. Il ne restait plus à la classe ouvrière qu’à se mettre à la remorque des dirigeants bourgeois et petit-bourgeois de la Résistance. « Nous avions de bonnes raisons, et cela devrait donner à réfléchir, pour ne pas nous occuper, ni dans Barbarie capitaliste ni dans les Trois thèses, des ‘perspectives d’avenir prolétariennes révolutionnaires’. On ne peut trouver dans nos écrits que mépris et moquerie pour ce fatras révolutionnaire de la Quatrième [Internationale] ». [83]

Le Socialist Workers Party s’opposa à la perspective des rétrogressionnistes et la condamna presque aussitôt qu’elle vit le jour. En 1942, le SWP lançait cet avertissement dans un document interne :

« Le patriotisme officiel n’est qu’un masque servant à cacher les intérêts de classe des exploiteurs. La capitulation après coup de la bourgeoisie française devant Hitler en a apporté une preuve de plus.

« L’aspiration à l’indépendance des masses en France et dans les autres pays occupés a une grande importance révolutionnaire. Mais, tout comme l’antifascisme, cette aspiration peut elle aussi être détournée au profit des objectifs impérialistes. Un tel abus du mouvement est inévitable s’il reste soumis aux slogans et à la direction du nationalisme bourgeois. Les gangsters de l’impérialisme ‘démocratique’ ne s’intéressent qu’à une chose, s’emparer à nouveau de la propriété qui leur a été dérobée par les gangsters fascistes.

« C’est ce qu’ils entendent par libération nationale. Les intérêts des masses diffèrent profondément des leurs. La tâche des travailleurs des pays occupés est de se placer à la tête du mouvement insurrectionnel et de le diriger vers une lutte pour une réorganisation socialiste de l’Europe. Leurs alliés dans cette lutte ne sont pas les impérialistes anglo-saxons et leurs associés dans la bourgeoisie nationale mais les travailleurs allemands… Le mot d’ordre pour unifier la lutte révolutionnaire est celui des ‘États-Unis socialistes d’Europe’. Tout autre mot d’ordre doit être subordonné à celui-ci ». [84]

Le conflit gagna en ampleur et en intensité. Et c’est précisément Shachtman et son Workers Party (qui, souvenons-nous, avait condamné la « politique militaire » du SWP comme une forme de « social-chauvinisme ») qui accueillirent favorablement les théories des rétrogressionnistes de l’IKD. Ils qualifièrent le mot d’ordre du SWP, les « États-Unis socialistes d’Europe », de « purement abstrait et dogmatique…Avant que les masses puissent reconnaître dans les ‘États-Unis socialistes d’Europe’ une perspective réaliste, elles voudront indubitablement disposer de leurs propres États nationaux indépendants ». [85]

Comme il fallait s’y attendre, l’impressionnisme de Shachtman produisit les résultats politiques les plus bizarres. En Asie, où de véritables tâches démocratiques restaient à résoudre, le Workers Party s’opposa à la lutte de libération nationale du peuple chinois contre l’impérialisme japonais, ce qu’il justifiait en déclarant qu’il était impossible d’accorder un soutien quelconque à Tchang-Kaï-chek étant donné que c’était un nationaliste bourgeois. Mais en Europe, où la révolution démocratique était achevée depuis longtemps, Shachtman insistait pour subordonner le prolétariat à la bourgeoisie nationale réactionnaire des territoires occupés.

Shachtman s’en prit naturellement au fait que les trotskystes refusèrent de se dissoudre entièrement dans les mouvements officiels de Résistance et de s’adapter à leurs programmes bourgeois : « Les sections de la Quatrième Internationale… se sont révélées politiquement stériles…[parce qu’elles] ont échoué à se faire les champions les plus fervents et les plus conséquents de la libération nationale, de l’objectif central de ces mouvements révolutionnaires démocratiques ». [86]

Dans son analyse des positions de Shachtman, le SWP expliqua clairement que la vraie question n’était pas de savoir si les trotskystes devaient ou non participer aux luttes de la Résistance contre les nazis.

« Les révolutionnaires participent à tout mouvement révolutionnaire ayant un caractère de masse, mais ils le font avec leur propre programme révolutionnaire et leurs propres méthodes. Mais la résolution du Workers Party appelle à la solidarité politique avec ces fronts populaires, à une participation à des mouvements de front populaire en tant que partisans du front populaire. Les mentors de l’IKD dans le Workers Party avaient écrit que ces mouvements devaient être ‘soutenus inconditionnellement’. C’est là que réside la véritable différence entre Shachtman et nous ». [87]

Quelques années seulement auparavant, Trotsky avait prévenu de ce que la conséquence de l’impressionnisme était la désintégration de la pensée théorique ; les documents de l’IKD en étaient un exemple concret. Sous l’impact de grands événements historiques, leurs auteurs avaient vu le sol se dérober sous leurs pieds et s’étaient retrouvés la tête en bas.

Malgré la complexité quasi impénétrable de leur style et leur étalage d’érudition, les formulations théoriques de l’IKD n’étaient, en essence, que des constructions subjectives dont les prévisions historiques étaient tirées directement d’impressions superficielles de la situation politique apparente. Le contenu de classe de leur méthode impressionniste devait inévitablement se manifester dans des conclusions politiques qui signifiaient une capitulation devant la bourgeoisie et par là soutenaient la trahison des staliniens et des sociaux-démocrates.

Comme tous les impressionnistes, ils ne voyaient rien du développement concret du processus historique qu’ils prétendaient expliquer. À partir de l’année 1943, le prolétariat de tout le continent européen se mettait en mouvement.

Encouragée par l’impressionnante force sociale lancée contre les nazis par l’Union Soviétique, la classe ouvrière commença une puissante offensive contre l’impérialisme allemand et ses alliés bourgeois. En particulier en France, en Italie et en Grèce, les masses armées virent s’ouvrir des possibilités de prendre le pouvoir qu’ils tentèrent de mettre à profit. Ces luttes furent trahies par les staliniens qui, s’appuyant sur les accords passés entre la bureaucratie soviétique et les impérialistes anglo-américains, acceptèrent le maintien de la domination capitaliste sur la Grèce et l’Europe de l’Ouest.


[69]

Bulletin interne du SWP, t. 8, n°8, juillet 1946, pp.28-29.

[70]

Léon Trotsky, Défense du marxisme, EDI, Paris 1976, p.114

[71]

Ibid.

[72]

Bulletin interne du SWP, t.8, n°10, août 1946, p.15.

[73]

Ibid.

[74]

Ibid.

[75]

Ibid.

[76]

International Communists of Germany, Capitalist Barbarism or Socialism, Supplément à New International, octobre 1944, p.331.

[77]

Ibid., p.333-334.

[78]

Ibid., p.333.

[79]

Ibid., p.334.

[80]

Ibid., p.340.

[81]

Ibid.

[82]

Bulletin interne du SWP, t.8, n°10, août 1946, p.16.

[83]

Ibid.

[84]

Ibid., pp.16-17.

[85]

Ibid., p.18.

[86]

Ibid., p.19.

[87]

Ibid.