Banda attaque furieusement la Lettre ouverte, mais c’est bien en vain qu’on cherchera dans les Vingt-sept raisons une analyse quelconque de ce document de Cannon. La Lettre ouverte est vilipendée et qualifiée d’ « Épître des philistins du ‘trotskysme orthodoxe’ », d’ « ultimatum arrogant », de « réaction opportuniste » et de « manœuvre équivoque et indigne ». Mais il ne dit rien de son contenu politique. Il ne dit pas s’il est ou non d’accord avec la récapitulation des principes trotskystes qu’elle contient, sur le fait que la politique de Pablo y soit définie comme révisionniste ou encore s’il est d’accord avec l’affirmation qu’il y a entre trotskysme et pablisme des divergences insurmontables. Et il n’explique pas plus pourquoi il a lui-même soutenu la Lettre ouverte en 1953.
Banda peut écrire de Cannon ce qu’il veut. Il peut mettre l’accent sur ses défauts personnels et ses limites politiques. Mais à la fin, il lui reste encore à expliquer ce qui, dans le contenu politique de la Lettre ouverte, était sans principe ou révisionniste. C’est précisément ce qu’il ne fait pas et cela montre que son approche de l’histoire de la Quatrième Internationale est subjective, dénuée de principes et réactionnaire.
Dans un document de triste mémoire écrit en 1939 et intitulé Guerre et conservatisme bureaucratique, Shachtman, Abern et Burnham avaient dressé une longue liste de faiblesses personnelles, d’erreurs et de forfaits imputés à Cannon. Trotsky ne fut pas le moins du monde impressionné ou même intéressé. Voilà ce qu’il répondit : « Cannon représente le parti prolétarien en formation. Le droit historique dans cette lutte – indépendamment des erreurs et des fautes qui ont pu être commises – est entièrement du côté de Cannon ». [205]
Ferions-nous une erreur en posant le même jugement sur la tendance Cannon en 1953 ? Pablo et Mandel représentaient-ils désormais « le parti prolétarien en formation » ? À part les erreurs commises dans toute lutte difficile et complexe, même par les plus grands marxistes, de quel côté était le droit historique en 1953 ? Qui représentait, malgré ses faiblesses personnelles, les intérêts du prolétariat ? La Quatrième Internationale aurait-elle été plus forte si Cannon n’avait pas combattu la tendance de Cochran, s’il n’avait pas défié les positions de Pablo, s’il n’avait pas écrit la Lettre ouverte ? Le trotskysme se serait-il développé si la politique « d’entrisme » de Pablo avait été appliquée et la Quatrième Internationale liquidée dans les partis staliniens ? Banda évite de poser de telles questions, car les réponses seraient autant de réfutations accablantes de son attaque de la Lettre ouverte. Le fait que Banda attaque la Lettre ouverte sans souffler mot des conceptions liquidatrices que combattaient Cannon, prouve que ses attaques sont dirigées contre le trotskysme lui-même.
Près de trente-trois ans après sa parution, la Lettre ouverte demeure un document extraordinairement contemporain. Elle reprend toutes les questions politiques fondamentales soulevées par la lutte contre le courant liquidateur qu’est le pablisme. Elle débute ainsi :
« Au 25e anniversaire de la fondation du mouvement trotskyste aux États-Unis, le plénum du comité national du Socialist Workers Party envoie son salut révolutionnaire aux trotskystes orthodoxes du monde entier…
« Comme cela est bien connu, il y a vingt-cinq ans, les pionniers du trotskysme américain portèrent le programme de Trotsky, rejeté par le Kremlin, devant l’opinion publique mondiale. Cet acte fut décisif pour rompre l’isolement que la bureaucratie stalinienne voulait imposer à Trotsky et jeter les fondements de la Quatrième Internationale. Condamné peu après à l’exil, Trotsky commença avec la direction du SWP une collaboration étroite et confiante qui dura jusqu’à sa mort…
« Après l’assassinat de Trotsky par un agent de la police secrète de Staline, le SWP a joué un rôle dirigeant dans la défense et la propagation de sa doctrine. Nous avons pris la direction, non par suite d’un choix délibéré de notre part, mais par nécessité : la Deuxième guerre mondiale avait mis dans l’illégalité les trotskystes de nombreux pays, notamment dans une Europe sous la coupe des nazis. Avec les trotskystes d’Amérique latine, du Canada, d’Angleterre, du Ceylan, de l’Inde, d’Australie et d’ailleurs nous avons fait ce que nous avons pu pour déployer la bannière du trotskysme au cours des années difficiles de la guerre.
« À la fin de la guerre, nous nous sommes réjouis de voir en Europe des trotskystes sortir de l’illégalité et entreprendre la reconstruction organisationnelle de la Quatrième Internationale. Comme des lois réactionnaires nous interdisaient d’appartenir à la Quatrième Internationale, nous avons mis tous nos espoirs dans l’apparition d’une direction apte à continuer les grandes traditions léguées à notre mouvement par Léon Trotsky. Nous étions d’avis que la nouvelle et jeune direction de la Quatrième Internationale en Europe avait droit à toute notre confiance et à tout notre soutien. Et nous estimions notre ligne justifiée lorsque ces camarades corrigeaient d’eux-mêmes certaines erreurs sérieuses.
« Néanmoins nous devons admettre aujourd’hui que l’exemption de toute critique sérieuse que nous et d’autres avions accordée à cette direction contribua à ouvrir la voie à la consolidation dans la direction de la Quatrième Internationale d’une fraction incontrôlée, secrète et personnelle qui a abandonné l’essentiel du programme trotskyste.
« Cette faction, regroupée autour de Pablo, œuvre aujourd’hui délibérément pour disloquer les cadres historiquement assemblés du trotskysme dans les divers pays et liquider la Quatrième Internationale.
« Pour exposer avec précision ce qui est en jeu, nous rappellerons les principes fondamentaux sur lesquels est basé le mouvement trotskyste mondial :
« 1. L’agonie du système capitaliste menace la civilisation de destruction par des crises de plus en plus graves, des guerres mondiales et des manifestations de barbarie comme le fascisme. Le développement des armes atomiques souligne aujourd’hui le danger de la façon la plus sérieuse.
« 2. La chute dans l’abîme ne peut être évitée qu’en remplaçant le capitalisme par l’économie socialiste planifiée à l’échelle mondiale et en entrant ainsi dans la voie du progrès dans laquelle était engagé le capitalisme à ses débuts.
« 3. Cette œuvre ne peut être accomplie que sous la direction de la classe ouvrière, seule classe réellement révolutionnaire de la société. Mais la classe ouvrière elle-même doit faire face à une crise de direction bien que le rapport des forces sociales dans le monde n’ait jamais été aussi propice à la marche des travailleurs vers le pouvoir.
« 4. Pour s’organiser afin de mener à bien cette tâche historique, la classe ouvrière de chaque pays doit construire un parti révolutionnaire sur le modèle qu’a développé Lénine : c’est-à-dire un parti de combat apte à combiner dialectiquement la démocratie et le centralisme, la démocratie dans l’élaboration des décisions, le centralisme dans leur exécution ; une direction contrôlée par la base, une base apte à marcher au feu avec discipline.
« 5. Le principal obstacle dans cette voie est constitué par le stalinisme qui, exploitant le prestige de la révolution d’octobre 1917 en Russie, n’attire les travailleurs à lui que pour les rejeter ensuite, une fois qu’il a trahi leur confiance, dans les rangs de la social-démocratie, dans l’apathie ou dans les illusions à l’égard du capitalisme. Le prix de ces trahisons, ce sont les travailleurs qui le paient, sous la forme de l’affermissement de forces monarchistes ou fascistes, et l’explosion de nouvelles guerres fomentées par le capitalisme. Dès le début, la Quatrième Internationale a défini comme l’une de ses tâches principales le renversement révolutionnaire du stalinisme, à l’intérieur et à l’extérieur de l’URSS.
« 6. La nécessité, pour beaucoup de sections de la Quatrième Internationale, et de partis ou de groupes qui sympathisent avec son programme, d’adopter une tactique souple, rend d’autant plus indispensable pour eux qu’ils sachent comment combattre l’impérialisme et ses agences petites-bourgeoises (comme les formations nationalistes ou les bureaucraties syndicales) sans capituler devant le stalinisme : et inversement qu’ils sachent comment combattre le stalinisme (qui est en dernière analyse une agence petite-bourgeoise de l’impérialisme) sans capituler devant l’impérialisme.
« Ces principes fondamentaux établis par Léon Trotsky, conservent leur pleine validité dans la réalité toujours plus complexe et plus fluide du monde politique actuel. En fait, les situations révolutionnaires qui, comme Trotsky l’avait prévu, surgissent de toutes parts, ont maintenant rendu entièrement concret ce qui pouvait autrefois apparaître comme des abstractions un peu éloignées, non intimement liées à la réalité de l’époque. La vérité est que ces principes ont acquis aujourd’hui une force plus grande, à la fois dans l’analyse politique et dans la détermination des actions politique. » [206]
Banda ne nous dit pas ce qu’il rejette de ce précède. Il ne nous fait pas savoir s’il les tenait pour fausses en 1953 ou s’il croit qu’elles ne s’appliquent plus. Cannon a, dans les lignes précédentes, réaffirmé les conceptions essentielles du trotskysme concernant la nature de notre époque, le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière, le rôle contre-révolutionnaire du stalinisme et la nécessité d’élaborer une stratégie et une tactique marxiste dans la lutte pour la prise du pouvoir. En gardant le silence sur le contenu essentiel de la Lettre ouverte, Banda nous annonce, lui qui a laissé derrière lui les « fétichismes dogmatiques » du trotskysme « orthodoxe », qu’il ne la tient même plus pour digne d’être commentée. Celui qui adopte une attitude aussi méprisante vis-à-vis des principes de la Quatrième Internationale les a effectivement « dépassés ».
La Lettre ouverte continuait avec une analyse des révisions du trotskysme par Pablo :
« Ces principes ont été abandonnés par Pablo. Au lieu de mettre l’accent sur la menace d’une nouvelle barbarie, il considère la marche au socialisme comme ‘irréversible’, pourtant il ne croit pas que le socialisme sera instauré pendant la vie de notre génération ou des quelques générations à venir. Il a au contraire, mis en avant le concept d’une vague de révolutions ne donnant naissance qu’à des États ouvriers ‘déformés’, c’est-à-dire de type stalinien, et qui dureront ‘des siècles’.
« C’est là la preuve du plus profond pessimisme à l’égard des capacités de la classe ouvrière, pessimisme entièrement en accord avec les efforts qu’il a faits récemment pour ridiculiser la lutte pour la construction de partis révolutionnaires indépendants. Au lieu de s’en tenir au cours fondamental de construire, par tous les moyens tactiques convenables, des partis révolutionnaires indépendants, il considère que la bureaucratie stalinienne, ou une fraction décisive de celle-ci est apte à se modifier sous la pression des masses jusqu’à accepter les « idées » et le « programme » du trotskysme. Sous prétexte d’user de la souplesse requise par les manœuvres tactiques pour se rapprocher des travailleurs qui se trouvent dans les rangs staliniens dans les pays comme la France, il couvre maintenant les trahisons du stalinisme.
« Ce cours a déjà conduit à de sérieuses défections dans les rangs trotskystes au profit du stalinisme. La scission pro-stalinienne dans le parti du Ceylan constitue un avertissement pour tous les trotskystes quant aux conséquences tragiques des illusions sur le stalinisme fomentées par le pablisme. » [207]
Le document se penchait ensuite sur la réaction des pablistes aux événements décisifs de l’année 1953, prouvant qu’à chaque occasion leur politique représentait une capitulation devant la ligne contre-révolutionnaire de la bureaucratie soviétique.
« À la mort de Staline, le Kremlin annonça une série de concessions en URSS, dont aucune n’avait un caractère politique. Au lieu de caractériser ces concessions comme n’étant rien d’autre qu’une manœuvre visant à prolonger le règne de la bureaucratie usurpatrice et à permettre à un bureaucrate dirigeant de revêtir le manteau de Staline, la fraction pabliste estima que ces concessions étaient de bon aloi et envisagea même la possibilité d’un ‘partage du pouvoir’ entre la bureaucratie stalinienne et les travailleurs.
« Le concept du ‘partage du pouvoir’, affirmé brutalement par Clarke, un grand-prêtre de la religion pabliste, fut sanctionné indirectement comme dogme par Pablo lui-même sous la forme d’une question sans réponse, mais dont le sens ne laisse aucun doute : la liquidation du régime stalinien prendra-t-elle la forme, demande Pablo, ‘de violentes luttes inter-bureaucratiques opposant les éléments qui veulent combattre pour le statu quo, sinon pour revenir en arrière, aux éléments qui sont entraînés par la pression des masses’ ? (cité de Quatrième Internationale, t.11, N°5-7, mai-juillet 1953)
« Cette orientation donne un nouveau contenu au programme trotskyste de la révolution politique contre la bureaucratie du Kremlin, à savoir : la position révisionniste suivant laquelle les ‘idées’ et le ‘programme’ du trotskysme imprégneront graduellement la bureaucratie ou une section décisive de cette dernière, ‘renversant’ ainsi, de cette façon imprévue, le stalinisme.
« Au mois de juin dernier, en Allemagne de l’Est, les travailleurs se sont dressés contre le gouvernement stalinien au cours de l’une des plus grandes manifestations de l’histoire de l’Allemagne. Ce fut là le premier soulèvement de masse contre le stalinisme depuis qu’il a usurpé le pouvoir en URSS. Comment réagit Pablo devant cet événement historique ?
« Au lieu d’exprimer clairement les aspirations politiques révolutionnaires des insurgés d’Allemagne de l’Est, Pablo couvrit les satrapes staliniens contre-révolutionnaires qui mobilisaient les troupes russes pour écraser le soulèvement. ‘Les dirigeants soviétiques et ceux des différentes ‘démocraties populaires’ et des partis communistes ne pourront plus falsifier ou ignorer la signification profonde de ces événements. Ils sont obligés de persévérer dans la voie de concessions encore plus amples et plus réelles pour ne pas risquer de s’aliéner à jamais le soutien des masses et de provoquer des explosions encore plus fortes. Ils ne pourront plus désormais s’arrêter à mi-chemin. Ils s’efforceront de doser les concessions pour éviter les explosions encore plus graves dans l’immédiat et faire si possible une transition ‘à froid’ de la situation actuelle à une situation plus supportable pour les masses’ (Déclaration du [Secrétariat International] de la Quatrième Internationale, publiée dans le Militant du 6 juillet 1953)
« Au lieu de demander le retrait des troupes soviétiques, la seule force sur laquelle le gouvernement stalinien s’appuyait, Pablo semait l’illusion que ‘des concessions encore plus amples et plus réelles’ viendraient des gauleiters du Kremlin. Moscou aurait-elle pu espérer recevoir un plus grand secours, au moment où elle s’employait à une falsification monstrueuse de la signification de ces événements, en présentant les travailleurs révoltés comme des ‘fascistes’ et des ‘agents de l’impérialisme américain’ et où elle déchaînait contre eux la répression sauvage ? » [208]
Il est impossible de considérer un hasard le fait que Banda ne nous dise pas s’il est ou non d’accord avec cette appréciation de la capitulation de Pablo devant le stalinisme lors d’un événement aussi important que le soulèvement est-allemand, le précurseur dans l’histoire de la révolution hongroise. « Qui ne dit mot consent ». Banda reste silencieux quant aux trahisons monumentales de Pablo et dirige son tir contre ceux qui dénoncent ses crimes politiques. Cela ne peut signifier rien d’autre qu’il adopte à présent, ou pour être plus juste, qu’il a intimement adopté depuis un temps considérable des positions qui rejoignent celles de Pablo sur le rôle de la bureaucratie soviétique.
La Lettre ouverte examinait ensuite la trahison par les pablistes de la grève générale d’août 1953 en France :
« Au mois d’août dernier, se déroula en France la plus grande grève générale de l’histoire de ce pays. Déclenchée par les travailleurs eux-mêmes contre la volonté de leurs directions officielles, elle fournit l’une des occasions les plus favorables de l’histoire du mouvement ouvrier pour le développement d’une lutte réelle pour le pouvoir. Après les ouvriers, les paysans français intervinrent à leur tour par des manifestations qui exprimèrent leur profond mécontentement du gouvernement capitaliste.
« Les dirigeants officiels, sociaux-démocrates et staliniens, trahirent le mouvement faisant les efforts les plus grands pour le freiner et détourner le péril menaçant pour le capitalisme français. Dans l’histoire des trahisons, il serait difficile d’en trouver une plus abominable, si on la mesure aux possibilités qui s’ouvraient.
« Comment la fraction Pablo réagit-elle devant cet événement colossal ? Ils donnèrent bien aux agissements sociaux-démocrates le nom de trahison, mais pour les mauvaises raisons. Leur trahison, disent-ils, consiste à négocier avec le gouvernement derrière le dos des staliniens. Or, cette trahison n’était que secondaire, et dérivait de leur crime principal : leur refus de s’engager dans la voie de la prise du pouvoir.
« Quant aux staliniens, les pablistes couvrirent leur trahison. Par leur rôle, ils partagent en fait la responsabilité de cette trahison. La critique la plus sérieuse qu’ils se trouvèrent capables de formuler quant à la politique contre-révolutionnaire des staliniens, ce fut de les accuser de ‘manque’ de politique.
« C’était un mensonge. Les staliniens ne ‘manquaient’ pas de politique. Leur politique consistait à maintenir le statu quo conformément aux exigences de la politique extérieure du Kremlin et par conséquent à soutenir le capitalisme français chancelant.
« Mais ce n’est pas tout. Même pour l’éducation des trotskystes français au sein du parti, Pablo se refusa à caractériser le rôle des staliniens comme une trahison. Il nota ‘le rôle de frein joué, à un degré ou à un autre, par la direction des organisations traditionnelles’ - une trahison devient un simple ‘frein’ ! - ‘mais aussi leur aptitude - spécialement dans le cas de la direction stalinienne - à céder à la pression des masses quand cette pression devient puissante comme ce fut le cas pendant ces grèves’ (Note politique N°1).
« On pourrait supposer que c’est là faire preuve d’une dose suffisante de conciliationnisme à l’égard du stalinisme, de la part d’un dirigeant qui a abandonné le trotskysme orthodoxe, mais qui cherche encore à rester sous le couvert de la Quatrième Internationale. Pourtant, Pablo est allé encore plus loin.
« Un tract de ses partisans, distribué aux usines Renault à Paris, déclare que dans la grève générale, la direction stalinienne de la CGT (la principale confédération syndicale française) ‘a eu raison de ne pas introduire d’autres revendications que celles que voulaient les travailleurs eux-mêmes’, et ceci en dépit du fait que les travailleurs, par leurs actes, revendiquaient un gouvernement ouvrier et paysan. » [209]
Ailleurs dans ses Vingt-sept raisons, Banda attaque l’OCI pour le rôle qu’elle a joué dans les événements de mai-juin 1968, déclarant qu’ « elle a trahi la grève générale et a attaqué toutes les traditions et tous les principes du trotskysme en refusant obstinément de réaliser des revendications transitoires et la lutte pour le pouvoir ». Mais il ne dit rien à propos de la trahison encore plus grande des pablistes, dans une situation similaire en 1953. Il attaque plutôt ceux qui ont attiré l’attention du mouvement trotskyste international sur la trahison pabliste de la grève générale.
Après son analyse du rôle joué par les pablistes en août 1953, la Lettre ouverte traitait de la défection de la tendance de Cochran.
« Le test de ces événements mondiaux suffit, à notre avis pour indiquer l’étendue des conciliations du pablisme envers le stalinisme. Mais nous aimerions soumettre à l’examen du mouvement trotskyste mondial un certain nombre de faits supplémentaires.
« Depuis plus d’un an et demi, le Socialist Workers Party s’est engagé dans la lutte contre une tendance révisionniste dirigée par Cochran et Clarke. La lutte contre cette tendance a été l’une des plus dures de l’histoire de notre parti. En dernière analyse, elle touche aux mêmes questions fondamentales qui nous ont séparés du groupe Burnham-Shachtman et du groupe Morrow-Goldman au début et à la fin de la Deuxième guerre mondiale. C’est une autre tentative pour réviser et abandonner notre programme de base, ce qui incluait la perspective de la révolution américaine, le caractère et le rôle du parti révolutionnaire, ses méthodes d’organisation et les perspectives du mouvement trotskyste mondial.
« Pendant l’après-guerre, une puissante bureaucratie s’est constituée dans le mouvement ouvrier. Cette bureaucratie s’appuie sur une large couche d’ouvriers privilégiés conservateurs qui ont été ‘adoucis’ par les conditions de prospérité de la guerre. Cette nouvelle couche privilégiée a été constituée dans une large mesure de membres des secteurs de la classe ouvrière qui avaient été précédemment les plus militants, ceux de la génération qui a fondé le CIO.
« La sécurité et la stabilité relative de leurs conditions de vie ont temporairement paralysé l’initiative et l’ardeur combative de ces travailleurs, qui étaient auparavant en première ligne dans toutes les actions militantes de classe.
« La tendance de Cochran est la manifestation de la pression de cette nouvelle aristocratie ouvrière, avec son idéologie petite-bourgeoise, sur l’avant-garde prolétarienne. L’état d’esprit et les tendances de cette couche de travailleurs, passive et relativement satisfaite, jouent comme un puissant mécanisme qui transmet à l’intérieur de notre propre mouvement des pressions d’autres classes. Le mot d’ordre des cochraniens : ‘À la ferraille, le vieux trotskysme !’, traduit cet état d’esprit.
« La tendance de Cochran considère le formidable potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière américaine comme une perspective très lointaine. Elle dénonce l’analyse marxiste qui révèle les processus moléculaires qui, dans le prolétariat américain, créent de nouvelles unités combattantes pour être ‘sectaire’.
« Quant à savoir s’il y a des tendances progressistes dans la classe ouvrière des États-Unis, elle ne les voit que dans les rangs du stalinisme ou à sa périphérie et chez les politiciens syndicalistes ‘sophistiqués’. Elle considère que le reste de la classe est si désespérément endormi que seule une guerre atomique pourrait la réveiller.
« En bref, sa position révèle le manque de confiance dans la perspective de la révolution américaine, le manque de confiance dans le rôle du parti révolutionnaire en général et du Socialist Workers Party en particulier ». [210]
Si Banda préfère s’abstenir de commentaires sur cette analyse de la tendance de Cochran, c’est précisément parce que ce sont ces conceptions qui sont les plus proches des siennes. Ils ont dénoncé la Lettre ouverte plus de trente ans avant lui, en prétendant qu’elle s’appuyait sur un « monde imaginaire » dans lequel « le petit noyau actuel se transformera en parti révolutionnaire de masse qui lancera un défi à tous ses adversaires et les détruira au cours de la bataille ». [211] Ils ont expliqué que les traditions et le programme de la Quatrième Internationale « ne présentent aucun intérêt pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui » et que « les partis révolutionnaires de demain ne seraient pas trotskystes, dans le sens où ils accepteront nécessairement la tradition de notre mouvement, notre appréciation de la place de Trotsky dans la hiérarchie révolutionnaire ou chacune des évaluations spécifiques réalisées et des mots d’ordre mis en avant par Trotsky ». [212]
La Lettre ouverte montrait de quelle façon Pablo avait abusé de son autorité, révélant tout d’abord de quelle façon il avait secrètement collaboré avec Cochran et Clarke dans le but de développer une tendance révisionniste dans le SWP, tout en protestant de son opposition au factionnalisme sans principes. Elle traitait de la tentative de Pablo de museler la direction de la section britannique à l’aide d’une « discipline de comité » à la mode Komintern. Finalement, elle faisait état de l’expulsion bureaucratique de la majorité de la section française en 1952, le SWP admettant explicitement qu’il avait eu tort de ne pas être intervenu plus tôt contre les actes sans précédent de Pablo.
« Cette erreur résultait du manque d’appréciation de notre part des questions en jeu. Nous pensions que les divergences entre Pablo et la section française étaient d’ordre tactique et cela nous conduisit aux côtés de Pablo, malgré nos réserves sur ses procédés organisationnels, lorsque, après des mois d’une violente lutte factionnelle, la majorité fut exclue.
« Mais les divergences étaient quant au fond, de nature programmatique. Le fait est que les camarades français de la majorité virent plus clairement que nous ce qui était en train de se produire…
« Toute la situation française doit être réexaminée à la lumière des développements ultérieurs. Le rôle que la majorité de la section française a joué dans la récente grève générale a démontré de la façon la plus décisive qu’ils savent comment défendre les principes fondamentaux du trotskysme. La section française de la Quatrième Internationale a été injustement exclue. Les majoritaires français, rassemblés autour du journal La Vérité, sont les véritables trotskystes de France et le SWP les reconnaît ouvertement comme tels ». [213]
Les méthodes organisationnelles de Pablo n’étaient pas le fait d’erreurs personnelles, mais le produit de la politique liquidatrice du Secrétariat International. Le rôle joué par le WRP dans le Comité International depuis le début des années 1970 a montré une fois de plus que tenter d’imposer une ligne liquidatrice à la Quatrième Internationale entraîne immanquablement l’emploi de méthodes abjectes et fractionnelles contre les cadres trotskystes. Healy, Banda et Slaughter ont perfectionné les ficelles utilisées par Pablo il y a trente ans. Il n’est donc pas étonnant que Banda préfère ne pas s’attarder sur la condamnation par Cannon de ces méthodes d’organisation.
La Lettre ouverte traitait ensuite d’un aspect de l’opportunisme pabliste qui a eu jusqu’ici trop peu d’attention :
« Particulièrement révoltante est la manière calomniatrice dont Pablo a dépeint la position politique de la section chinoise de la Quatrième Internationale, dont les membres ont été qualifiés de ‘sectaires’ et de ‘déserteurs de la révolution’.
« Contrairement à l’impression délibérément répandue par la fraction pabliste, les trotskystes chinois ont agi comme d’authentiques représentants révolutionnaires du prolétariat chinois. Sans qu’il y ait faute de leur part, le régime de Mao les a choisis comme victimes à la manière dont Staline désignait au bourreau toute la génération des bolcheviks de Lénine en URSS, à l’exemple des Noske et Scheidemann d’Allemagne qui désignaient aux assassins les Luxembourg et les Liebknecht de la révolution de 1918. Mais la ligne conciliatrice de Pablo face au stalinisme l’a conduit inexorablement à peindre en rose le régime de Mao tout en peignant en gris l’attitude ferme, principielle de nos camarades chinois ». [214]
Bien que Banda ne dise rien de ce passage de la Lettre ouverte, il ne fait aucun doute que sur cette question, il est entièrement d’accord avec Pablo. Comme l’indique sa référence à « l’échec complet » de la Quatrième Internationale à comprendre la révolution chinoise, Banda pense non seulement que le maoïsme représente une alternative valable au trotskysme, mais il est convaincu qu’il représente un progrès par rapport à la Quatrième Internationale. Cette position a pour origine un abandon complet du point de vue de classe du prolétariat révolutionnaire.
L’idée petite-bourgeoise que se fait Banda de la révolution ignore un élément essentiel de la conception marxiste de la lutte des classes, la dictature du prolétariat. Banda croit effectivement que « le pouvoir est au bout du fusil » et cet aphorisme stupide qui enrichit aussi peu la science politique que celle de la balistique, sert de fondement théorique à sa croyance que la lutte armée est la stratégie fondamentale du marxisme. [215]
La Lettre ouverte concluait ainsi :
« En résumé : l’abîme qui sépare le révisionnisme pabliste du trotskysme est si profond qu’aucun compromis n’est possible politiquement ni organisationellement. Pablo et ses agents ont démontré leur volonté de ne pas permettre que des décisions démocratiques reflétant réellement l’opinion de la majorité soient prises. Ils exigent une soumission complète à leur politique criminelle. Ils sont déterminés à expulser tous les trotskystes de la Quatrième Internationale ou à les museler et les ligoter.
« Leur plan consistait à injecter le conciliationnisme pro-stalinien à petites doses, tout en se débarrassant graduellement de ceux qui se rendent compte de ce qui arrive et s’y objectent. Telle est l’explication de l’étrange ambiguïté de bien des formulations et des échappatoires diplomatiques pablistes.
« Jusqu’à présent, la fraction pabliste a remporté certains succès au moyen de ses manœuvres sans principes et machiavéliques. Mais le point de transformation qualitative a été atteint. Les questions politiques en jeu ont fait irruption à travers les manœuvres, et la lutte est maintenant une épreuve de force.
« Si nous pouvons donner un avis aux sections de la Quatrième Internationale, nous qui sommes par force hors de ses rangs, nous pensons que l’heure est venue d’agir, et d’agir de façon décisive. L’heure est venue pour la majorité trotskyste de la Quatrième Internationale d’affirmer sa volonté contre l’usurpation d’autorité de Pablo.
« Elle doit en outre sauvegarder l’administration des affaires de la Quatrième Internationale en relevant Pablo et ses agents de leurs postes, et en les remplaçant par des cadres qui ont prouvé dans l’action qu’ils savent comment défendre le trotskysme et maintenir le mouvement dans une voie politique et organisationnelle correctes. » [216]
Une mise en cause de principe de la légitimité de la Lettre ouverte se devrait de prouver que la caractérisation par Cannon de « la ligne de démarcation entre le révisionnisme de Pablo et le trotskysme orthodoxe » était soit exagérée, soit complètement fausse. Banda devrait démontrer qu’un compromis était à la fois possible et souhaitable dans l’intérêt de la classe ouvrière. Ceci étant impossible sur la base d’une représentation honnête de l’histoire, Banda est une fois de plus forcé de mentir de la pire façon. Il fait donc cette incroyable déclaration : « Je mets North et ses laquais du CI au défi de produire un seul document, une seule résolution ou un seul mémoire qui tente de donner une explication théorique des causes et origines de la scission. Il n’en trouvera aucun. Ceci est la plus importante condamnation du CI et c’est pour cette raison que, moi du moins, je traiterai son invocation de l’autorité du CI avec le mépris, la pitié et la colère qu’elle mérite. » (Italiques de Banda)
Les documents produits sur la lutte de 1953 ont fière allure comparée aux deux scissions qui eurent lieu dans le WRP et auxquelles Banda fut directement associé, l’expulsion d’Alan Thornett en 1974 et la rupture d’avec Healy en 1985. Toute l’affaire Thornett dura à peine plus de six semaines. Banda prétend dans cette lutte avoir « démasqué » le menchevisme de Thornett à l’aide d’un seul document dont on se rappellera surtout parce qu’il défend le droit de la majorité de modifier la constitution du parti selon les besoins fractionnels de la direction. Quant au bain de sang organisé en 1985, Banda déclare avec fierté à son propos que « le parti avait fait scission non pas sur des questions tactiques et programmatiques, mais sur la question fondamentale de la morale révolutionnaire ». [217]
Il y a en revanche peu de luttes politiques aussi documentées que l’est la scission de 1953 dans la Quatrième Internationale. Le « défi » de Banda est facile à relever. Si l’on publiait l’ensemble des documents produits de 1951 à 1954 et qui ont pour objet les origines du pablisme et le développement de la scission, il faudrait plusieurs volumes totalisant plus d’un millier de pages.
Il y eut en fait une quantité de documents, résolutions, mémoires et lettres grâce auxquelles les cadres du mouvement trotskyste, surtout dans le SWP, avaient pu suivre de façon exacte et attentive toutes les questions politiques soulevées après le troisième congrès mondial.
Parmi les principaux documents qui analysaient les idées révisionnistes de Pablo sur le stalinisme, il y avait le document de Morris Stein, Quelques remarques sur « Ascension et chute du stalinisme » et celui de John D. Wright, Mémorandum sur « Ascension et déclin du stalinisme ». Ces deux documents constituaient à eux deux une accablante réfutation de la « nouvelle réalité » de Pablo et démontraient que celui-ci avait entièrement désavoué les conceptions programmatiques essentielles qui servirent de base à la fondation de la Quatrième Internationale.
La Lettre ouverte de novembre 1953 qui, comme nous l’avons vu, présentait sous une forme extrêmement condensée les questions centrales de principe, de programme et d’organisation autour desquelles tournait la scission, fut suivie d’un document plus détaillé, adopté au plénum du vingt-cinquième anniversaire du SWP et intitulé Contre le révisionnisme pabliste.
Il y eut un autre document d’une grande importance qui révélait les abus criminels perpétrés par Pablo contre le mouvement trotskyste chinois et sa répugnante adaptation au maoïsme : L’expérience chinoise du révisionnisme et du bureaucratisme pabliste de Peng Chou Tsé.
De nombreux documents d’une importance décisive furent tout d’abord rédigés comme cela arrivait souvent dans la Quatrième Internationale, sous forme de lettres. L’abondante correspondance de Cannon avec Sam Gordon, Gerry Healy, Leslie Goonewardene et George Breitman constitue non seulement une documentation historique inestimable de la scission, mais permet également de considérer en profondeur les questions politiques et historiques qui étaient en jeu dans la lutte contre le pablisme.
Parmi ces lettres, une des plus importantes est celle qu’écrivit Cannon le 23 février 1954 à Leslie Goonewardene, le secrétaire du Lanka Sama Samaja Party du Ceylan. Cette lettre est particulièrement révélatrice pour ce qui est de la campagne de Banda contre la Lettre ouverte. Bien qu’il préfère ne pas le dire, son attaque actuelle de la lettre est écrite en partie pour défendre à retardement la position sans principes qu’avait prise le LSSP dans la scission d’avec les pablistes. L’appel à des critères organisationnels afin d’attaquer la Lettre ouverte (par exemple : « elle ne contribuait pas à transformer le rapport des forces ») n’est qu’une répétition de la position du LSSP.
Pour des raisons liées à la situation politique du Ceylan, le LSSP sympathisait fortement avec les aspects de la ligne liquidatrice de Pablo qui justifiaient son adaptation de plus en plus apparente aux partis nationalistes bourgeois. Bien que toujours critique vis-à-vis de la ligne de Pablo par rapport au stalinisme, il ne voulait pas d’une lutte contre le centrisme dans les rangs de la Quatrième Internationale qui serait allée à contre-courant de la recherche d’alliances avec des forces telles que le MEP de Bandaranaike. Le LSSP adopta donc une résolution s’opposant à la Lettre ouverte.
Tout en donnant à Cannon l’assurance que le LSSP s’opposait toujours à toute attitude conciliatrice vis-à-vis du stalinisme au sein de sa propre section, Goonewardene justifiait son opposition à la Lettre ouverte par une série d’arguments formels de type juridique. Il exhorta Cannon à abandonner l’idée d’une scission et à participer au quatrième congrès mondial tel qu’il avait été prévu.
L’évolution du LSSP au cours de la décennie suivante révéla le lien organique qui existait entre son opposition à une lutte contre le pablisme et son glissement constant vers une politique de front populaire. Cannon sentit clairement que la position de Goonewardene était l’expression d’un affaiblissement politique des convictions trotskystes du LSSP et malgré le ton généralement poli et fraternel de la lettre, cette inquiétude transparaît clairement. Il félicitait le LSSP de sa lutte contre une tendance pro-stalinienne dans ses rangs, mais il rappelait en même temps à Goonewardene « qu’il était de son devoir en tant qu’internationaliste d’adopter la même attitude vigilante vis-à-vis des manifestations de conciliationnisme pro-stalinien dans les autres partis et dans le mouvement international en général ». (italiques de Cannon) [218]
Après cette nette semonce, Cannon expliquait la signification de la scission :
« Le point de départ obligatoire d’une approche réaliste de la crise actuelle doit être de reconnaître que la Quatrième Internationale n’est plus une organisation politiquement homogène. Les questions qui sont l’enjeu de la lutte de fraction sont des questions de principe qui placent carrément le mouvement trotskyste devant cette alternative : être ou ne pas être. À la base de la crise actuelle de notre mouvement international, il y a la tentative de réviser l’analyse trotskyste reconnue du caractère du stalinisme et la théorie trotskyste-léniniste du parti et de priver ainsi les partis trotskystes et la Quatrième Internationale dans son ensemble de toute justification historique pour une existence indépendante. Il y a également, en liaison avec cela, des questions organisationnelles de principe qui, bien que subordonnées, n’en sont pas moins très importantes – ce sont plus que des questions de procédure, ce sont des questions de principe.
« Il est impossible d’ignorer le fait que nous ayons affaire à une tendance révisionniste, une tendance qui vise tant les fondements théoriques que l’action politique et le travail d’organisation. Cette tendance nous ne l’avons pas imaginée ni inventée, nous constatons simplement la réalité. Nous ne nous en sommes convaincu qu’après avoir discuté et examiné à fond l’évolution de la tendance de Pablo, telle qu’elle s’est exprimée dans ses actes concrets ainsi que dans ses formules théoriques habiles et dans ses omissions. Nous avons déclaré une guerre ouverte à cette tendance, car nous savons qu’elle ne peut conduire qu’à la destruction de notre mouvement et parce que nous pensons que garder le silence constituerait une trahison de nos devoirs les plus importants, ceux que nous avons à l’égard du mouvement international…
« Cette lutte est l’accomplissement du plus haut de nos devoirs et de nos obligations, ceux que nous avons contractés lorsqu’il y a 25 ans nous avons rejoint Trotsky et l’Opposition russe. C’est l’obligation de placer les considérations internationales avant et au-dessus de toutes les autres – de nous occuper des affaires du mouvement international et des partis qui y sont affiliés, de les aider de toutes les façons possibles et de les soutenir par des prises de positions développées après mûre réflexion et de leur demander en retour leur conseil et leur opinion pour la solution de nos propres problèmes. La collaboration internationale est le premier principe de l’internationalisme. C’est Trotsky qui nous l’a enseigné. Nous y croyons et nous agissons selon cette croyance…
« Le premier souci des trotskystes a toujours été et devrait être aujourd’hui de défendre notre doctrine. C’est le premier de nos principes. Le second principe, qui fait du premier quelque chose de vivant, est la protection des cadres historiquement formés contre toute tentative de les diviser ou de les disperser. L’unité formelle vient dans le meilleur des cas en troisième place.
« Les cadres ‘vieux trotskystes’ représentent le capital accumulé au cours d’une longue lutte. Ils sont les porteurs de la doctrine ; les seuls instruments humains dont nous disposions afin de faire parvenir notre doctrine – l’élément de la conscience socialiste – dans le mouvement de masse. La camarilla de Pablo s’est délibérément donné pour tâche de détruire ces cadres, un par un, pays par pays. Et nous nous sommes – après une trop longue attente – non moins délibérément donné pour tâche de défendre les cadres contre cette attaque perfide. Notre responsabilité vis-à-vis du mouvement international ne nous laissait pas d’autre choix. Des cadres révolutionnaires ne sont pas indestructibles. C’est ce que nous a enseigné l’expérience tragique du Komintern » (italiques dans l’original). [219]
Ces lignes – et de façon plus importante encore tout le contenu du travail politique du SWP dans les années 1953-1954 – réfutent les allégations mensongères de Banda selon lesquelles « en 1950, Cannon et le SWP avaient abandonné jusqu’à la prétention de construire la Quatrième Internationale ». Comme nous l’avons déjà montré en nous appuyant sur des documents historiques, la lutte de Cannon contre le pablisme fut l’apogée de sa vie de marxiste révolutionnaire et d’internationaliste prolétarien. Partant d’une lutte contre une tendance droitière qui reflétait l’énorme pression exercée par l’impérialisme américain sur le SWP, Cannon lança une offensive internationale contre le révisionnisme dans la Quatrième Internationale, défendant son héritage et en assumant la continuation.
La lutte contre le pablisme fut sous bien des aspects le dernier combat de ce lutteur du trotskysme qui, pour n’être pas infaillible n’en reste pas moins grand. Si on ne peut excuser ses retraites ultérieures, celles-ci ne peuvent faire oublier ce qu’il a accompli en défendant la continuité du mouvement mondial en 1953-1954. Ceux qui essaient de le nier ne lui arrivent pas à la cheville.
Léon Trotsky, Défense du marxisme, EDI, Paris 1976, p.159.
La Vérité, n°325, 20 novembre 1953, pp.1-2.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
Ibid.
National Education Department Socialist Workers Party, Towards a History of the Fourth International, juin 1973, 4e partie, t.4, pp.208-209.
Ibid., p.209.
La Vérité, n° 325, 20 novembre 1953.
Ibid.
Comité International de la Quatrième Internationale, How the WRP betrayed Trotskyism, 1973-1985 dans Fourth International, t.13, n°1, été 1986, pp.47-49.
La Vérité, n°325, 20 novembre 1953.
News Line, 2 novembre 1985.
SWP, Towards a History, 3e partie, t.4, p.222.
Ibid., p.222-228.