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WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient

La crise israélienne et les contradictions historiques du sionisme

Par Bill Van Auken
17 mai 2008

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Nous publions de nouveau l’article qui suit qui fut originalement publié sur le World Socialist Web Site  le 29 mai 1998 à l’occasion du 50e anniversaire de l’Etat d’Israël.

Le 50e anniversaire de la fondation d'Israël a été célébré dans un contexte de crise politique et sociale, et de tensions croissantes avec le peuple palestinien des territoires occupés et les Etats arabes voisins.

Aucune des commémorations officielles organisées par Israël, ou par ses amis aux États-Unis et ailleurs, n'a abordé les grandes questions historiques qui sous-tendent la fondation de l'Etat israélien.

Toutes les grandes contradictions non-résolues du 20e siècle se retrouvent sous une forme concentrée dans la naissance et l'évolution d'Israël. Son origine essentielle remonte à l'un des crimes les plus atroces du 20e siècle : l'holocauste nazi. L'extermination de 6 millions de juifs européens a constitué le terrible prix payé pour la crise du mouvement ouvrier. Cette crise a été elle-même causée par la dégénérescence stalinienne de l'Union Soviétique et de l'Internationale communiste. Les crimes du stalinisme et sa domination sur le mouvement ouvrier ont empêché la classe ouvrière de mettre un terme au système capitaliste, lequel a trouvé dans le fascisme sa dernière ligne de défense.

Les défaites de la classe ouvrière, les crimes du stalinisme et les horreurs de l'holocauste ont créé les conditions historiques pour la création d'Israël. Ces mêmes conditions ont aussi permis au mouvement sioniste, avec l'aide des États-Unis, d'identifier le sionisme au monde juif. C'était un mouvement et un Etat ultimement fondés sur le découragement et le désespoir. Les crimes du stalinisme ont désillusionné la classe ouvrière juive internationale qui avait été si puissamment attirée par l'alternative socialiste. Les crimes du fascisme allemand furent présentés comme la preuve ultime de l'impossibilité de vaincre l'antisémitisme en Europe ou ailleurs dans le monde. La réponse des sionistes a été de combattre les armes par les armes en se dotant d'un Etat et d'une armée, et de vaincre l'oppresseur historique du peuple juif sur son terrain. La tragique ironie de cette prétendue solution a été d'associer le peuple juif — traditionnellement et historiquement identifié à la lutte pour la tolérance et la liberté — à la sauvage répression d'une autre population opprimée.

David Ben-Gurion a lu la déclaration d'indépendance d'Israël le 14 mai 1948, la journée précédant la fin du mandat britannique sur la Palestine. Moins d'un an plus tard, les forces militaires israéliennes avaient réussi à imposer de nouvelles frontières (celles qui sont aujourd'hui internationalement reconnues) en expulsant de leurs maisons, dans une campagne systématique de terrorisme et d'intimidation, un quart de million d'Arabes palestiniens.

Ben Gurion a qualifié la formation de l'Etat israélien d’« aboutissement de la révolution juive ». Elle représentait l'aboutissement de l'objectif politique central du sionisme, le mouvement nationaliste juif fondé à la fin du 19e siècle. Avant la Seconde Guerre mondiale, le sionisme était un mouvement relativement isolé, qui s'appuyait sur certaines sections de la classe moyenne juive. Il existait, en Palestine même, parmi les travailleurs juifs, un puissant sentiment de classe favorable à l'unité des travailleurs juifs et arabes dans une lutte commune contre le capitalisme.

Il a fallu l'holocauste pour transformer le sionisme en pouvoir d'état : le vrai rapport entre les crimes commis par le nazisme contre les juifs européens et le mouvement sioniste a été l'objet de déformations historiques systématiques. Israël a été présenté comme le refuge nécessaire pour accueillir les juifs fuyant les camps de la mort allemands. L'attitude des sionistes face à la lutte pour sauver les juifs de l'extermination n'a pas cependant été si claire et si simple.

C'est un des nombreux sujets que les historiens israéliens ont commencé à examiner. L'apparition d'historiens connus sous le nom de « nouveaux historiens », l’école « post-sioniste » ou « révisionniste », et l'attitude critique qu'ils adoptent face à l'histoire d'Israël, constituent certainement le signe le plus profond de la crise croissante de la société israélienne et du sionisme en tant qu'idéologie.

Parmi ces nouveaux historiens il y a Zeev Sternhell, auteur du livre Les mythes fondateurs d'Israël, récemment publié en anglais. Le livre de Sternhell s'attaque à plusieurs des mythes les plus puissants des sionistes, principalement celui voulant que les dirigeants sionistes qui fondèrent Israël, tentaient d'établir un nouveau type de société basé sur des principes égalitaires et même socialistes.

Cet historien a établi que le sionisme n'était en aucun cas unique. C'était plutôt l'expression particulière d'une tendance nationaliste en l'Europe de l'Est au 19e siècle, tendance basée non pas sur des principes démocratiques universelle, mais sur l'exclusivisme racial et religieux, et l'hégémonie linguistique. Ironiquement, ce mouvement qui prétendait défendre la cause de la libération des juifs avait beaucoup de points en commun avec l'antisémitisme et les mouvements d'extrême-droite de ses persécuteurs en Allemagne fasciste.

Le sionisme, écrit l'auteur « était dès le début la préoccupation d'une minorité, qui comprenait le problème juif non pas du point de vue de l'existence physique et de la sécurité économique, mais du point de vue de la sauvegarde de la nation face au danger d'extermination collective ». Le plus grand danger d'annihilation, toujours selon le point de vue sioniste, venait de l'assimilation des juifs dans la société moderne, particulièrement par l'intégration d'un nombre croissant de travailleurs juifs attirés vers le mouvement socialiste.

Dans la mesure où les fondateurs de l'Etat sioniste ont tenté d'identifier le sionisme avec le mouvement ouvrier, l'égalité et le socialisme, c'était selon Sternhell, « le mythe mobilisateur » utilisé pour gagner la classe ouvrière juive à la cause du nationalisme. Il mentionne que l'utilisation de cette phraséologie socialiste avait beaucoup en commun avec le mouvement « national-socialiste » qui cherchait à faire revivre en Europe le nationalisme et qui a ultimement donné naissance au nazisme.

Il serait certainement permis de dire que beaucoup d'autres mouvements nationalistes au cours du 20e siècle, y compris le nationalisme arabe, qui se sont présentés sous un visage égalitaire et socialiste, ont utilisé ce « mythe mobilisateur ». Dans tous les cas, une telle idéologie avait pour objectif de camoufler les intérêts de la bourgeoisie nationale et d'étouffer la lutte indépendante de la classe ouvrière.

Sternhell et d'autres historiens tel que Tom Segev, auteur de The Seventh Million, the Israelis and the Holocaust ont démontré que l'argument présenté par les dirigeants sionistes pour justifier l'existence d'Israël, à savoir que c'était le seul endroit sécuritaire pour les juifs en fuite, était frauduleux. En fait, d'après ces historiens, le sort des juifs fuyant l'Europe était une question de seconde importance pour les dirigeants sionistes, et Ben-Gurion et d'autres dirigeants sionistes ont réagi avec indifférence à leur sort.

Avec le début de la Seconde Guerre mondiale et la menace de plus en plus claire du nazisme contre les juifs, Ben-Gurion a énoncé les principes qui allaient guider le mouvement sioniste tout au long de l'Holocauste: « Les considérations sionistes doivent avoir préséance sur les sentiments juifs... Nous devons agir conformément aux considérations sionistes et non pas simplement à partir des considérations juives, puisqu'un juif n'est pas automatiquement un sioniste. » Tout au long de la guerre, il a mené avec succès la lutte contre ceux qui voulaient que l'Agence juive en Palestine concentre ses énergies pour sauver les juifs du nazisme au lieu de construire « Eretz Israël ».

Les sionistes ont immédiatement profité de la catastrophe en Europe pour leurs propres fins. Leurs efforts ont été couronnés de succès alors que, sans patrie et sans refuge, la population juive survivante était dirigée vers la Palestine pour des raisons géopolitiques bien précises. Washington, qui avait fermé ses frontières aux juifs en fuite, voyait l'émergence d'un Etat juif au Moyen-Orient comme un instrument pour assurer son hégémonie dans la région aux dépens des vieilles puissances coloniales, l'Angleterre et la France.

Fondée dans la lutte pour arracher le contrôle de la terre aux habitants arabes, Israël a été dès le début un Etat militaire, avec l'armée comme principal pilier de la société. Entouré d'Etats arabes hostiles, et se voulant un nouveau modèle de société fondé sur l'égalité et de vagues principes socialistes, le nouvel Etat s'est attiré la sympathie populaire.

Mais la réalité et la perception de la réalité ont changé alors qu'Israël augmentait sa force de frappe et devenait la première puissance militaire et la seule puissance nucléaire de la région. Il y a d'abord eu la guerre du canal de Suez en 1956, qui a vu Israël occuper la péninsule du Sinaï ; puis, la guerre de 1967 qui a changé une fois de plus la carte géopolitique du Moyen-Orient et établi les paramètres du conflit actuel. Avec l'appui des États-Unis, Israël a envahi l'Égypte, la Syrie et la Jordanie, prenant le contrôle d'une bande à l'ouest de la rivière du Jourdan, le mont Golan et la bande de Gaza, qu'il occupe toujours. Le sionisme et l'Etat d'Israël sont devenus des forces agressives et expansionnistes. D'autres guerres ont été menées par Israël contre le Liban, dont elle occupe toujours, au sud, une « zone de sécurité ».

L'expansion initiale d'Israël a été rendue possible grâce à l'aide économique et militaire continuelle des États-Unis. La « relation spéciale » qui justifiait l'aide annuelle de 3 milliards de dollars accordée par les États-Unis, n'avait rien à voir avec une communauté de principes avec Israël ou une prétendue sympathie pour la répression historique du peuple juif. Les États-Unis ont soutenu Israël parce qu'il lui servait de gendarme pour étouffer les mouvements révolutionnaires des masses du Moyen-Orient, en plus de lui permettre d'étendre son influence sur cette région pétrolifère stratégique.

La montée du militarisme israélien a donné naissance à des tendances politiques et sociales réactionnaires en Israël même. L'occupation et l'administration par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, véritable dictature politique sur près d'un million de Palestiniens, a non seulement exposé le caractère oppressif de l'Etat israélien, mais aussi mis à nu les contradictions du sionisme en tant que mouvement.

En 1968 la colonisation sioniste a commencé dans la région occupée du Cisjordanie et de la bande de Gaza sur la base de la théorie que ces avant-postes paramilitaires allaient servir de ligne de défense contre les attaques des guérillas palestiniennes en terre israélienne. Alors que le gouvernement du Parti travailliste avait présenté ces colonies comme de simples lignes de défense, qui n'empêcheraient pas le retour des territoires saisis à la Jordanie et à l'Égypte, la question du statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza est rapidement devenue le point central de la vie politique israélienne.

L'opposition de droite, sous la direction de Menachem Begin, a exigé que ces territoires soient annexés au territoire israélien parce qu'il s'agissait des terres bibliques de Samarie et de Judée promises au peuple juif par Dieu. Trente ans plus tard, cette question n'est toujours pas réglée, malgré l'entente de paix au Moyen-Orient qui a été concoctée par l'administration Clinton et signée par Israël et l'Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). Cent quarante colonies sont dispersées à travers les territoires, et habités par 160 000 colons dont plusieurs sont des nationalistes extrémistes et des fanatiques religieux lourdement armés.

Les colonies continuent de croître à un rythme de 9 pour cent par année malgré l'entente signée avec l'OLP. Israël insiste sur la nécessité pour elle de contrôler les voies d'accès et d'entrée aux colonies enclavées. Ce fait illustre en lui-même le caractère bidon de l'Etat palestinien « indépendant » qui va peut-être naître de ce processus. L'autorité palestinienne se retrouve à faire la police dans de petits bouts de territoire disparates, généralement composés d'une population appauvrie, alors qu'elle demeure encerclée et isolée par les troupes israéliennes. Il est clair, compte tenu du cul-de-sac dans lequel se trouve les pourparlers organisés par les États-Unis, qu'Israël n'a pas l'intention de modifier quoi que ce soit à la situation actuelle.

Israël a signé l'accord de paix surtout pour mettre un terme au soulèvement révolutionnaire des masses palestiniennes des territoires occupés, lequel avait pris une forme embryonnaire avec l'intifada commencée en 1987. Malgré une répression brutale et soutenue, Israël n'a pas été capable d'arrêter le soulèvement sans faire appel à la collaboration directe de l'OLP.

De plus, la classe dirigeante israélienne tenait à échapper aux coûts économiques et sociaux associés à l'occupation des territoires, tant au niveau des dépenses militaires qu'au statut de paria que s'était attiré Israël dans le monde arabe et ailleurs. Mais l'assassinat d'Yitzahak Rabin en novembre 1995 et le retour de la droite au pouvoir avec Benjamin Netanyahu ont montré qu'il n'est pas si facile d'échapper aux contradictions du sionisme. La politique de colonisation, développée sous la direction du Parti travailliste, a provoqué un mouvement nationaliste de droite et donné naissance à une couche sociale semi-fasciste qui a produit l'assassin de Rabin. Le débat sur l'avenir des colonies, et la question reliée du conflit entre les juifs religieux et les juifs séculiers, sont de plus en plus associés à une situation de « guerre civile ». Les partis religieux ultra-orthodoxes détiennent un pouvoir politique disproportionné au sein du gouvernement et imposent de plus en plus leur programme politique religieux dans des domaines jusqu'à maintenant considérés comme séculiers. À la grande consternation des juifs séculiers conservateurs et réformistes, tous les pouvoirs administratifs reliés à la limitation des naissances, des mariages et des décès ont été mis entre les mains des rabbins orthodoxes. Les membres orthodoxes de la Knesset, laquelle joue un rôle-clé dans la formation des gouvernements de coalition, demandent une loi qui forcerait la fermeture des routes et l'interdiction des vols aériens de la compagnie d'aviation nationale, El Al, les samedis. Plusieurs communautés sont amèrement divisées entre juifs orthodoxes et juifs séculiers, au point d'en arriver à la confrontation physique.

Les divisions sociales qui émergent en Israël ne sont pas moins profondes. Plus de 8 pour cent de la population est au chômage selon les statistiques officielles, et cela dans un pays qui réclamait toute la main-d'oeuvre juive immigrante possible pour la construction nationale. Le chômage est concentré dans les « villes en développement » comme Ofkim dans le Negev. Des émeutes ont éclaté là il y a six mois alors que le taux de chômage atteignait 14,3 pour cent.

Les juifs éthiopiens se sont aussi soulevés l'an passé pour protester contre leur statut de citoyen de seconde classe. Les ressentiments des juifs d'origine arabe (sépharades), contre l'establishment juif d'origine occidentale (Ashkenazim), sont de plus en plus marqués dans la politique israélienne. Si Menachem Begin a pu manipuler ces tensions à ses fins réactionnaires, c'est dans une large mesure à cause des contradictions flagrantes entre les prétentions socialistes des fondateurs sionistes d'Israël et l'immense polarisation sociale qui existe dans la société israélienne d'aujourd'hui.

Une contradiction économique essentielle continue de miner le projet sioniste, ainsi que l'accord de partenariat économique entre la bourgeoisie israélienne et la bourgeoisie du monde arabe qui se trouve à la base de l'accord de paix au Moyen-Orient. L'industrie de la haute technologie est celle qui croît le plus rapidement aujourd'hui en Israël et elle ne produit ni pour le marché national ni pour le marché régional. Plus de 96 pour cent des exportations d'Israël et 93 pour cent de ses importations sont effectuées avec l'extérieur.

Bien que l'impasse sur la question des territoires occupés ait court-circuité le développement des liens économiques entre Israël et le monde arabe, le développement éventuel de ces relations ne pourra se faire qu'aux dépens des masses de travailleurs tant arabes que juifs. Le monde arabe offre à Israël la perspective d'avoir accès à une nouvelle source de main-d'oeuvre à bon marché qui pourrait être utilisée pour attaquer et diminuer encore plus le niveau de vie des travailleurs israéliens.

Dans les territoires administrés par l'OLP, les travailleurs palestiniens réalisent que leur niveau de vie ne fait qu'empirer, alors qu'une clique de bureaucrates et d'hommes d'affaires ayant des connexions avec le pouvoir politique est en train de faire fortune.

Cinquante ans après la fondation d'Israël, l'utopie réactionnaire sioniste d'un Etat national qui garantirait aux juifs du monde entier un sanctuaire de sécurité, d'unité et d'égalité, a été réalisée sous la forme d'un Etat capitaliste érigé suite à l'expropriation d'un autre peuple et maintenu par la guerre, la répression et l'inégalité sociale. L'assassinat de Rabin et les autres actes de violence perpétrés par les extrémistes de droite encouragés par l'Etat sioniste, soulignent le danger de voir Israël lui-même reproduire une dictature et une guerre civile similaires à celles qu'a fuies la génération précédente de juifs européens.

Le cul-de-sac du sionisme est une expression particulière de l'échec de tous les mouvements qui se sont basés sur une perspective nationaliste pour résoudre les questions fondamentales auxquelles est confrontée la masse des travailleurs. Ce n'est pas moins vrai pour les pays arabes, où des cliques dirigeantes ont manipulé les sentiments nationaux et les ressentiments contre Israël pour détourner la lutte sociale de la classe ouvrière. Il n'y a qu'une seule voie pour sortir des contradictions insolubles de la société israélienne. Il faut unir les travailleurs juifs et arabes dans une lutte commune contre le capitalisme et pour la construction d'une société socialiste. Une telle société éliminerait les frontières artificielles qui divisent les peuples et les régions économiques. C'est seulement sur cette base que la région pourrait se libérer de la guerre et de l'oppression, toutes deux alimentées par la quête de profit des capitalistes étrangers et de la bourgeoisie locale.


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