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L'héritage que nous défendonsChapitre 22 Le discours secret de Khrouchtchev au XXe congrèsEn 1956, la crise politique du SWP avait pris des proportions très alarmantes. Les cadres du parti avaient dû payer un lourd tribut du fait de l'isolement sans cesse grandissant qui durait depuis près de dix ans. Mais le mouvement ouvrier international fut alors ébranlé par deux événements qui abattirent la forteresse en apparence imprenable du stalinisme : le discours secret prononcé par Khrouchtchev devant les délégués du XXe congrès du Parti communiste en février 1956 et la révolution politique qui devait éclater huit mois plus tard en Hongrie. Aucun compte-rendu des événements ayant conduit à la réunification avec les pablistes ne saurait être cohérent ou même complet s'il n'examinait aussi l'impact de la crise du stalinisme sur le mouvement trotskyste. Mais Banda ignore totalement les événements de 1956. Ce n'est qu'incidemment qu'il laisse tomber, avec son cynisme et son manque d'honnêteté habituels, cette remarque sur la révolution hongroise : «Après s'être, selon son habitude, créé un champ de manoeuvre avec la bureaucratie ouvrière et s'être débarrassé de la gênante tendance Cochran, Cannon était désormais prêt à s'arranger avec Pablo sur la base d'une position commune sur la révolution hongroise et d'un délayage du programme de la révolution politique». Qu'en est-il de cette affirmation selon laquelle Cannon et les pablistes avaient une «position commune» sur les événements de 1956 ? Le SWP, quelques années plus tard, a défendu son virage vers la réunification en prétendant, sans justification aucune, que la réaction des pablistes au discours de Khrouchtchev et à la révolution hongroise représentait une rupture d'avec leurs positions révisionnistes de 1953 et qu'il y avait convergence des positions du Comité International et du Secrétariat International. Le fait que Banda accepte cette position fait partie de sa tentative de nier le principal contenu de la scission de 1953 et la réelle profondeur des divergences programmatiques opposant le trotskysme au pablisme. La décision de Cannon et du SWP d'enterrer la scission de 1953 et de s'engager dans la réunification n'a pas pour origine une convergence des lignes politiques du CIQI et des pablistes. C'est l'adaptation croissante du SWP au milieu du radicalisme petit-bourgeois aux États-Unis qui conduisit Cannon à rechercher la réunification, malgré le fait que la position prise par le SWP sur le discours de Khrouchtchev et la révolution hongroise différait fondamentalement de celle des pablistes. L'attitude du SWP vis-à-vis des pablistes changea au moment précis où la logique de classe et les exigences pratiques de leur adaptation à des forces non prolétariennes aux États-Unis qui prit une forme particulièrement maligne dans la stratégie du «regroupement» entra directement en conflit, et ce de façon irréconciliable, avec leur opposition formellement correcte au révisionnisme sur le plan international. Examinons à présent ce processus en détail, en commençant par l'étonnant discours prononcé par Khrouchtchev en février 1956. Pendant presque trente ans, on avait présenté Staline comme «le père des peuples», le «Lénine de notre époque», la source universelle de la sagesse et le pourvoyeur de toutes les richesses naturelles. Les titres qui lui furent octroyés dans les pages de la presse soviétique auraient fait rougir de confusion n'importe quel despote oriental. La déification de Staline ne se limitait pas à l'Union Soviétique. Les dirigeants du Parti communiste américain étaient parmi les plus fervents et les plus forts en gueule des prêtres du culte de Staline, et parmi eux se trouvait déjà son secrétaire général actuel, Gus Hall. Quelques années avant 1956, William Z. Foster, un des fondateurs et pendant de longues années un des leaders du PC américain, avait choisi pour son autobiographie ce titre malheureux : De Bryan à Staline. Mais voilà que trois ans après la mort du «génial Staline», Nikita Khrouchtchev annonçait au monde que son ancien chef était un tyran assoiffé de sang. «Staline n'agissait pas par la persuasion au moyen d'explications et de patiente collaboration avec des gens, mais en imposant ses conceptions et en exigeant une soumission absolue à son opinion. Quiconque s'opposait à sa conception ou essayait d'expliquer son point de vue et l'exactitude de sa position était destiné à être retranché de la collectivité dirigeante et voué par la suite à l'annihilation morale et physique... «Staline fut à l'origine de la conception de l'"ennemi du peuple". Cette notion rendait automatiquement inutile d'établir la preuve des erreurs idéologiques de l'homme ou des hommes engagés dans une controverse ; ce terme rendit possible l'utilisation de la répression la plus cruelle, violant toutes les normes de la légalité révolutionnaire contre quiconque, de quelque manière que ce soit, n'était pas d'accord avec lui... La formule "ennemi du peuple" a été créée précisément dans le but précis d'anéantir physiquement ces individus. «C'est un fait que nombreuses personnes qui plus tard ont été supprimées en tant qu'ennemies du Parti et du peuple, avaient collaboré avec Lénine de son vivant.» [1] Trente-trois ans s'étaient écoulés depuis que Léon Trotsky avait entrepris la lutte contre la montée de la bureaucratie stalinienne et son usurpation du pouvoir politique de la classe ouvrière soviétique. Vingt ans depuis que Staline avait inauguré les purges sanglantes qui aboutirent à l'anéantissement physique des deux générations de marxistes révolutionnaires ayant dirigé la révolution d'octobre et construit l'État soviétique. Seize ans depuis qu'un assassin du GPU avait asséné un coup de piolet de montagne à Léon Trotsky, l'homme sur lequel le Kremlin et les organisations satellites staliniennes du monde entier avaient jeté l'anathème. En février 1956, la lutte implacable menée par Trotsky contre Staline, contre la caste sociale de la bureaucratie toute entière et contre le système bonapartiste que le dictateur décédé personnifiait, se trouva soudainement confirmée. Qui d'autre avait dit la vérité sur Staline et le stalinisme ? Qui d'autre avait analysé les origines politiques et sociales de cette monstrueuse tyrannie bureaucratique ? Qui d'autre avait découvert les contradictions incarnées par le stalinisme, démasqué l'incompatibilité du gouvernement bureaucratique avec les besoins objectifs de la planification économique sur la base de l'industrie nationalisée et démontré l'inévitabilité d'une révolution politique contre la bureaucratie ? Un spectre hantait le XXe congrès : celui de Trotsky et du trotskysme, pas seulement en tant que grand accusateur du passé, mais surtout en tant qu'expression consciente de l'accumulation de haine du prolétariat envers la bureaucratie et en tant qu'expression du programme prolétarien de lutte révolutionnaire. Il a fallu quelques semaines avant que le discours de Khrouchtchev franchisse les frontières de l'Union Soviétique. Quand ils lurent le texte du discours dans la presse capitaliste, les dirigeants des partis staliniens en furent abasourdis. Leur première réaction fut d'attendre le démenti officiel du Kremlin, un répit technique qui devait permettre aux fripouilles staliniennes de continuer de mentir à leurs membres et à la classe ouvrière. Mais le démenti ne vint jamais et ce fut la tourmente dans les organisations staliniennes. Pour la Quatrième Internationale, le vingtième congrès fut plus qu'une confirmation des luttes passées. Il constituait une grandiose vérification de son programme et de ses perspectives et une écrasante réfutation des révisionnistes qui prédisaient que l'avenir du trotskysme consistait, au plus, à jouer le rôle d'une annexe des organisations staliniennes en apparence si puissantes. Les révélations de Khrouchtchev mettaient en lumière la signification de la scission qui s'était produite dans la Quatrième Internationale en 1953. Le rôle objectif du pablisme avait manifestement été de désarmer politiquement la Quatrième Internationale au moment même où la crise de la bureaucratie soviétique arrivait rapidement à maturité et créait les conditions pour écraser le stalinisme dans le mouvement ouvrier international. À l'aide de ses théories impressionnistes prédisant des «générations» d'États ouvriers déformés et une autoréforme de la bureaucratie, le pablisme avait semé des illusions dans le stalinisme et détourné la lutte contre lui. Ses appels à la liquidation organisationnelle et à la capitulation politique, sous le voile d'une «forme spéciale d'entrisme», signifiaient en pratique l'abandon de la lutte contre le stalinisme au moment précis où celui-ci était le plus vulnérable. Les conséquences de la scission et l'abîme politique séparant le trotskysme du pablisme se manifestèrent dans les réactions très différentes du Comité International et du Secrétariat International aux révélations de Khrouchtchev. Dans un discours intitulé «La fin du culte de Staline» qu'il prononça à Los Angeles au soir du 9 mars 1956, J.P.Cannon pouvait en toute légitimité évoquer la mémoire des innombrables révolutionnaires tombés dans la lutte contre la bureaucratie stalinienne. Il avait lui-même entrepris la lutte pour les idées de Trotsky vingt-huit ans auparavant et il avait été exclu du Parti communiste pour cette raison. Un mois après son soixante-sixième anniversaire, il expliquait ainsi la signification des révélations de Khrouchtchev : «Il y a trois ans, Staline, le tyran sanguinaire, le traître à la révolution et l'assassin des révolutionnaires, le "criminel le plus sinistre de l'histoire de l'humanité" est, malheureusement, mort dans son lit. Il y a deux semaines, les héritiers qu'il a lui-même triés sur le volet, les bénéficiaires de sa tyrannie monstrueuse et les complices de tous ses crimes, se sont servis de l'occasion donnée par le XXe congrès du Parti communiste soviétique pour dénoncer le culte de Staline et pour déclarer que son règne dictatorial de vingt ans était une erreur. «La déclaration du congrès est exacte, dans les limites qu'elle s'impose. Et il s'agit de la première vérité officielle venant de Moscou depuis plus de trente ans. La vérité prend du temps à faire son chemin. Mark Twain a dit qu'un mensonge peut faire le tour du monde avant que la vérité n'ait le temps de mettre ses souliers. Mais la vérité a plus d'endurance que le mensonge et finit par le rattraper. La vérité s'est de nouveau mise en marche même à Moscou... «Un des correspondants de l'Associated Press à Moscou écrit qu'il a demandé à un délégué du congrès ce qu'il adviendra de tous les monuments consacrés à Staline et qui couvrent Moscou et toute la Russie et le délégué a répondu : "Les monuments peuvent rester". Mais il se trompe. Ils resteront là pendant un certain temps, jusqu'à ce que quelqu'un ait l'idée de construire des routes, dont l'URSS a grand besoin et s'aperçoive de la présence de toute cette pierre inutile et propose de l'envoyer à la concasseuse et d'en faire du béton. Voilà comment finiront les monuments à la gloire de Staline... «Quelle que soit la raison profonde de ce geste du congrès soviétique, la répudiation de Staline par ses héritiers est une grande et bonne nouvelle la plus grande et la meilleure nouvelle depuis la mort de Staline il y a trois ans. Nous pouvons l'admettre sans pour autant exagérer l'importance du geste du congrès ou nous faire, ou donner à d'autres, des illusions sur son compte. «Cela ne signifie pas la fin du stalinisme en Union soviétique ou au niveau mondial. Loin de là. Les bureaucrates présents au congrès, qui sont le produit de ce système abominable et les représentants de ses bénéficiaires privilégiés, espèrent pouvoir préserver le stalinisme en abandonnant Staline et en répudiant le culte odieux associé à son nom. Mais la répudiation du culte pourrait très bien s'avérer être le début de la fin pour le système, malgré tout.» [2] Cannon s'opposa à l'idée que le discours de Khrouchtchev représentait un début d'autoréforme de la bureaucratie qui, d'une manière quelconque, rendait caduc le programme trotskyste pour un renversement violent de la bureaucratie soviétique. Il fit remarquer que Khrouchtchev défendait les fondements politiques du stalinisme et se refusait à condamner la «contre-révolution contre l'héritage de Lénine défendu par Trotsky». «Ils jurent de renoncer au culte de Staline sans nommer avec précision, ni condamner, les crimes spécifiques commis au nom de ce culte ; sans répudier toute la théorie et la pratique du stalinisme à l'échelle nationale et internationale depuis la mort de Lénine. Ils n'ont encore rien dit de la longue liste des actes monstrueux du stalinisme dans le mouvement ouvrier international. «Parmi ces actes, il y a la trahison de la révolution chinoise en 1926 ; et la trahison des ouvriers allemands en 1933, qui a rendu possible la victoire d'Hitler et les terribles conséquences que cela eut pour la classe ouvrière allemande et les peuples européens. Ils n'ont encore rien dit de la trahison de la révolution espagnole en 1936 et de l'assassinat des révolutionnaires par les tueurs à gages staliniens envoyés pour cela en Espagne. Ils n'ont pas encore mentionné le pacte Hitler-Staline qui a précipité le déclenchement de la Deuxième guerre mondiale. «Ils n'ont pas parlé de la politique du social-patriotisme adoptée par tous les partis communistes alliés à l'Union Soviétique durant la Deuxième guerre mondiale. Au nom de cette politique, les infâmes staliniens de ce pays ont rejoint le camp des maîtres impérialistes et sont devenus les principaux partisans de l'engagement à ne pas faire grève et les briseurs de grèves les plus zélés. Au service de Staline, ils ont applaudi les poursuites engagées contre nous à Minneapolis les premières organisées en vertu du Smith Act en 1941 et ont demandé aux syndicats de refuser de contribuer à notre défense devant les tribunaux. «Le congrès de Moscou n'a rien dit de la trahison de la révolution en Europe immédiatement après la guerre. Les partisans français et les partisans italiens avaient le pouvoir en main, mais ils ont été désarmés par la politique du stalinisme. Les travailleurs communistes ont été démoralisés par la politique stalinienne de collaboration avec la bourgeoisie. Des représentants des partis communistes en Italie et en France sont devenus ministres dans les gouvernements bourgeois et ont aidé à stabiliser ces régimes et à étrangler la révolution. «Ils n'ont pas encore répudié une autre manifestation typique du stalinisme, ici, aux États-Unis. C'est la politique actuelle du Parti communiste qui, afin de servir les intérêts du gang du Kremlin, conseille aux travailleurs d'être de bons partisans du Parti démocrate, d'adhérer au Parti démocrate avec les banquiers et les propriétaires fonciers sudistes et de voter pour le Parti démocrate. «Ils ont répudié le culte de Staline, mais ils n'ont pas encore répudié le stalinisme ou ses crimes. C'est un peu comme si un tueur professionnel se reconnaissait coupable d'avoir craché sur le trottoir dans l'espoir d'éviter une condamnation pour meurtre. «Les bureaucrates de Moscou ont fait un premier pas on ne peut pas le nier ni l'ignorer. Ils ont confessé quelque chose, mais ils n'en ont pas encore confessé assez. Ils ont dit A, mais se sont étouffés quand il fallait dire B. Mais dans l'alphabet politique A est suivi de B et on peut être sûr que B viendra en son temps. Si les héritiers de Staline ne peuvent pas encore dire B, car s'ils le faisaient ils devraient se condamner eux-mêmes, les ouvriers soviétiques le diront pour eux et contre eux ; ces ouvriers se rappellent chaque moment du régime stalinien avec une haine profonde et celle-ci est la force motrice qui opère derrière ces premières condamnations. «La condamnation du culte de Staline au congrès de Moscou est un écho dans les hautes sphères de la bureaucratie du grondement menaçant de la révolution politique à venir en Union Soviétique. Rien moins qu'une révolution politique totale n'y fera. Ce qu'il faut condamner et renverser, ce n'est pas seulement le culte de Staline en tant que personne, mais le stalinisme en tant que système politique. Cela ne peut se faire qu'au moyen d'une révolution par les ouvriers soviétiques. «Le but de cette révolution est la condamnation inconditionnelle de la théorie stalinienne du "socialisme dans un seul pays", qui fut l'excuse pour tous les crimes et toutes les trahisons et la nouvelle affirmation du programme de l'internationalisme prolétarien de Lénine et Trotsky ; le renversement de l'État policier stalinien en Union Soviétique et la restauration de la démocratie soviétique ; l'abolition de la caste privilégiée ; la révision complète des procès frauduleux et des purges ; et la défense de ceux qui en furent les victimes. Voilà les revendications et le programme de la révolution politique en Union Soviétique. «Le congrès de Moscou n'a pas été une révolution et il n'implique pas la restauration de la démocratie soviétique, comme pourraient le suggérer des imbéciles et des traîtres, mais il fut un accident sur le chemin qui y mène. L'écho affaibli et hésitant dans les sommets soviétiques d'une puissante poussée révolutionnaire d'en bas ; une promesse de réforme au sein du régime de l'État policier, des paroles apaisantes dans l'espoir de détourner la tempête voilà la véritable signification de la déclaration du congrès de Moscou. Cela et rien de plus». [3] La pression exercée par des forces de classe hostiles aux États-Unis pesait déjà lourdement sur le SWP dont les dirigeants, après une décennie ou presque de réaction politique ininterrompue, de prospérité économique et d'isolement grandissant vis-à-vis des organisations de masse de la classe ouvrière, se montraient de plus en plus sceptiques quant à l'avenir de la lutte révolutionnaire aux États-Unis. Mais malgré cela, ce vendredi soir du mois de mars 1956, le vieux guerrier terminait son discours par ces paroles émouvantes : «Les perspectives qui s'ouvrent à nous sont à couper le souffle. Et elles ne sont pas les perspectives d'un avenir vague et lointain, mais celles de l'époque dans laquelle nous vivons et luttons maintenant. Nous devons prendre les choses à coeur, car nous avons de puissants alliés. Les ouvriers russes, sortant de la prison du stalinisme prennent une fois de plus la voie de l'action révolutionnaire internationale ; la grande Chine et le mouvement révolutionnaire du monde colonial tout entier ; et la puissante classe ouvrière des États-Unis et d'Europe ces trois forces sont l'invincible "triple alliance" qui peut changer le monde, le gouverner et assurer la liberté, la paix et le socialisme. «La fin du culte de Staline, qui fait partie du développement révolutionnaire mondial, constitue le début de la victoire pour Trotsky. Sa théorie du développement révolutionnaire se trouve confirmée par les événements mondiaux dans un pays après l'autre et maintenant, une fois de plus, en Russie. Tout ce qu'il a prédit et nous a expliqué, à nous ses disciples, se trouve confirmé par les faits. Et nous, qui avons lutté pendant de longues années sous son drapeau, saluons à nouveau son nom glorieux aujourd'hui. Nous avons plus de raisons que jamais de lutter sans compromis pour le programme du trotskysme. Et nous avons plus de raisons que jamais d'avoir confiance en la victoire «Notre victoire sera plus que la victoire d'une fraction ou d'un parti car la lutte de fraction et de parti est l'expression de la lutte internationale des classes. La confirmation et la victoire du trotskysme coïncideront avec et exprimeront pleinement la victoire de la classe ouvrière internationale contre les exploiteurs capitalistes et les traîtres staliniens, pour la réorganisation socialiste du monde.» [4] On retrouvait le ton du discours de Cannon dans une résolution du comité national du SWP d'avril 1956 intitulée : Le nouveau stade de la révolution russe . Elle était clairement dirigée contre le conciliationnisme pro-stalinien des pablistes. «Les divers groupes qui ont déclaré que le trotskysme avait été dépassé par l'histoire et que le stalinisme était la force de l'avenir reçoivent à présent, avec chaque nouvelle révélation qui attire l'attention du monde entier sur le fait que seul le trotskysme a dit la vérité sur le stalinisme, des coups dévastateurs. La politique de trahison de ces groupes se résume à la recherche, en concurrence avec les pires crapules staliniennes, de justifications pour la bureaucratie et à faire passer pour une autoréforme de la bureaucratie des tentatives désespérées de réhabilitation devant la pression des masses. La tendance de Deutscher, qui fait abstraction des masses soviétiques, comme si la bureaucratie était une puissance rationnelle et autonome, s'avère la plus appropriée pour soutenir la démagogie des Khrouchtchev.» [5] Dans un second discours sur les révélations de Khrouchtchev prononcé le 15 juin 1956, Cannon poursuivit son attaque de la perspective pabliste et insista pour dire que les concessions de la bureaucratie soviétique n'étaient qu'une tentative désespérée pour décapiter l'inexorable et irrésistible soulèvement des masses soviétiques. «C'est la pression irrésistible des ouvriers soviétiques qui était la force qui se trouvait derrière le XXe congrès. Ceci, camarades, est la clé pour comprendre ce qui se passe. Les bureaucrates présents à ce congrès avaient perçu les signes annonçant la tempête et ils ont commencé à réagir à ces signes. Le soulèvement des ouvriers est-allemands en juin 1953 fut suivi un mois plus tard par une grève générale au camp de travail de Vorkouta ces formidables actions menées sous la menace des fusils et de la terreur de l'État policier, les travailleurs risquant leur vie pour se mettre en grève, annonçaient qu'une tempête révolutionnaire approchait, tout comme le mouvement de grève générale des ouvriers russes de 1905 fut le signal de la première révolution contre le tsar... «Nous plaçons tous nos espoirs dans le mouvement révolutionnaire des ouvriers soviétiques et aucun espoir dans les bonnes intentions des héritiers bureaucratiques de Staline. Je pense que la meilleure façon d'embrouiller la discussion sur les nouveaux événements et le pire crime contre la vérité dans la discussion qui a lieu à présent est de dire que les bureaucrates soviétiques se sont déjà réformés ou sont en train de le faire, qu'ils se sont "ramollis", qu'il suffit de les laisser tranquilles pour que soient éliminés graduellement tous les aspects détestés du stalinisme et que soit restauré un régime de démocratie ouvrière. «Si on leur fait confiance et si on les laisse tranquilles, tout restera dans l'ensemble comme avant. Ces bureaucrates sont la couche supérieure privilégiée. Ils n'abandonneront jamais leurs privilèges volontairement. Il faudra les renverser de la même manière dont il a fallu renverser tous les autres groupes privilégiés de l'histoire. Trotsky a dit il y a vingt ans à ce sujet dans sa grande oeuvre, La Révolution trahie, "aucun diable ne s'est encore coupé les griffes de plein gré".» [6] La réaction des pablistes au rejet de Staline fut de nature toute différente. Leur unique préoccupation, les conflits au sein de la bureaucratie qui servait toujours de tremplin à leurs envolées spéculatives et sophistiquées était plus que jamais devenue une obsession en 1956. Alors que Cannon insistait sur la crise de la bureaucratie comme expression d'un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière et soulignait que les concession faites exprimaient la crainte d'une bureaucratie qui restait loyale au stalinisme, qu'il restait à la classe ouvrière à détruire politiquement et à écarter physiquement les représentants de cette caste privilégiée, ce qui exigeait la construction d'une direction révolutionnaire c'est à dire trotskyste, les pablistes élaboraient des systèmes théoriques compliqués ayant pour axe central le soi-disant potentiel révolutionnaire de l'une ou l'autre section de la bureaucratie stalinienne. Dans le Programme de transition, Trotsky faisait observer que le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière pouvait aisément conduire à des divisions au sein de la bureaucratie. Sa polarisation politique pouvait engendrer toutes sortes de tendances depuis des éléments néo-fascistes («la fraction Butenko») jusqu'aux éléments faisant preuve de tendances révolutionnaires («la fraction Reiss»). Mais cette observation était entièrement secondaire, subordonnée à l'insistance de Trotsky sur l'opposition irréconciliable qui existait entre le prolétariat et la bureaucratie et sur le rôle contre-révolutionnaire de la bureaucratie. Il constatait non seulement que les «éléments révolutionnaires de la bureaucratie» constituaient «une infime minorité» qui ne reflétait que «passivement» les intérêts socialistes du prolétariat, mais il mettait également en garde contre le fait que «les éléments fascistes et en général contre-révolutionnaires dont le nombre augmente sans cesse expriment de façon de plus en plus conséquente les intérêts de l'impérialisme mondial».[7] En tout cas, les prédictions concernant l'apparition ou non d'éléments isolés de la bureaucratie sympathisant avec les ouvriers ne jouaient pas un rôle déterminant dans la formulation de la stratégie et du programme de la Quatrième Internationale. Mais les pablistes fondaient leur stratégie non pas sur le prolétariat révolutionnaire, mais sur la manifestation politique de ses luttes dans les sommets de la bureaucratie soviétique. Pour Pablo et Mandel, le rôle historique de la classe ouvrière se limitait à faire pression sur la couche sociale qu'ils tenaient pour la force historique essentielle dans la réalisation du socialisme la bureaucratie. Un article de tête paru en mars 1956 dans la revue pabliste Quatrième Internationale résumait ces conceptions de la façon suivante : «La bureaucratie se trouve de diverses manières sous la pression d'une société soviétique qui se libère elle-même du joug stalinien. Elle commence à se différencier au sommet sous l'influence de ces pressions croissantes. L'évolution future de ce processus sera déterminée par l'interaction de cette pression, de l'action directe des masses et de la lutte de tendances dans la bureaucratie. «Cette évolution n'en est qu'à son début. S'imaginer qu'elle se poursuivra comme avant en ligne droite, menant directement à la restauration d'une véritable démocratie prolétarienne en URSS et à un "retour à Lénine" dans la politique intérieure et extérieure, serait une erreur impardonnable. Afin de parvenir à un tel résultat, il sera nécessaire d'atteindre un stade où la politisation des masses passant à l'action directe se croise avec une différenciation accrue, une véritable rupture entre l'aile révolutionnaire naissante et l'aile thermidorienne, de plus en plus isolée de la bureaucratie. Ce processus de la révolution politique aura son point culminant dans le mouvement du régime bureaucratique et le rétablissement de la démocratie soviétique.» (Italiques de Quatrième Internationale.) [8] Ceci n'était pas la théorie trotskyste de la révolution politique, mais une théorie de l'autoréforme de la bureaucratie, favorisée par une pression supplémentaire de la part du prolétariat. Pablo et Mandel découvraient l'«action directe des masses» une formule flexible et commode qui pouvait signifier n'importe quoi en même temps que la «lutte des tendances dans la bureaucratie». «L'action directe des masses» produit ou plutôt elle «converge avec» les conflits entre l'«aile révolutionnaire naissante» et «l'aile thermidorienne de plus en plus isolée» de la bureaucratie, le tout ayant pour résultat la restauration de la démocratie soviétique. L'objectif de ces formules tourmentées, qui n'avaient rien à voir avec l'explication simple et directe de la mécanique de la révolution politique par Trotsky, était de concentrer l'attention du mouvement trotskyste non pas sur la mobilisation de la classe ouvrière pour le renversement de la bureaucratie, mais sur la recherche d'alliés libéraux dans les rangs de la caste privilégiée. On ne pouvait se tromper sur le caractère capitulard de cette déclaration si on lisait le paragraphe suivant : «La Quatrième Internationale, tout en accueillant favorablement et sans sectarisme les résultats du XXe congrès, ne se fait aucune illusion. Elle sait que la lutte pour un renouveau véritable de la démocratie prolétarienne sera longue. Mais la Quatrième Internationale a montré qu'elle possède toute la ténacité requise». [9] En fait, tout le document se composait de voeux pieux et tentait de faire croire que, pour restaurer la démocratie soviétique, il s'agissait de parvenir à un équilibre correct entre une tendance réformiste montante de la bureaucratie et la pression de la classe ouvrière soviétique. Le don sans pareil qu'avait Mandel d'obscurcir les contradictions sociales fondamentales et d'échafauder à partir d'impressions journalistiques des schémas politiques ultra-compliqués pour une restauration de la démocratie soviétique trouvèrent leur expression la plus achevée dans un rapport présenté à la dix-septième assemblée plénière du comité exécutif de l'internationale pabliste en mai 1956. Semblable à un chercheur d'or, il y passait la bureaucratie au crible pour découvrir les tendances libérales censées jouer le rôle historique décisif dans le renouvellement de l'Union Soviétique. Fouillant à travers les diverses tendances de «gauche» et de «droite» de la bureaucratie depuis «Mikoyan-Malenkov» jusqu'à «Kaganovich-Molotov», il finissait par déclarer : «Il est évident qu'on ne peut considérer la bureaucratie comme une "masse réactionnaire" que la classe ouvrière devra attaquer en bloc et en une seule fois. Cette position mécaniste et anti-marxiste est l'opposé de tout ce que Trotsky a enseigné. Plus la pression des masses augmente, (et parallèlement la pression des couches les plus privilégiées), plus la bureaucratie, y compris ses dirigeants, se divisera en tendances hostiles. Au cours de ce processus, une "tendance Reiss" apparaîtra qui s'alignera à nouveau sur la tradition léniniste. On ne peut certainement pas qualifier de telle la tendance Mikoyan, elle procure tout au plus un médium culturel, grâce auquel les idées d'une telle tendance peuvent se développer. Il est impossible de prédire l'attitude que prendra chaque dirigeant du Kremlin au cours de ce processus ; il est cependant exclu que le retour à la démocratie s'effectuera de façon graduelle, paisible, sans action des masses contre la bureaucratie, sans divisions du Parti communiste ni de la bureaucratie elle-même. «Les événements ont parfaitement corroboré la justesse de la conception que nous avons défendue depuis 1953 sur la question du rôle déterminant de la pression exercée par les masses sur le développement interne de l'Union Soviétique. Certains de nos critiques dits orthodoxes ont tenté de donner de ces événements l'explication qu'il s'agissait de divergences internes à la bureaucratie. Il est clair aujourd'hui que cette position est indéfendable et que c'est en réalité cette position elle-même qui favorise les tendances à la capitulation devant le stalinisme.» [10] Bien loin de larguer leurs amarres révisionnistes, les pablistes restaient fermement ancrés aux positions révisionnistes qui étaient les leurs et qui ont mené à la scission de 1953. Ils expliquèrent que leur attitude vis-à-vis de Khrouchtchev était la continuation de leur ancienne perspective et en cela ils avaient raison. En 1956, le fossé qui séparait le trotskysme orthodoxe du pablisme s'était approfondi. Le soulèvement des ouvriers polonais à l'automne de cette année, suivi de la révolution Hongroise, prouvait que la ligne pabliste constituait une trahison de la classe ouvrière. [1] 1956, le choc du 20e congrès du PCUS, Éditions
sociales, Paris, 1982, pp.161-164.
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