Près de deux semaines depuis que le réserviste de l'armée Corey Hurren a tenté d'assassiner le premier ministre canadien Justin Trudeau, il est devenu évident que l’homme de 46 ans était motivé par des convictions politiques d'extrême droite de longue date. Pourtant, même si de plus en plus de preuves révèlent l'affinité de Hurren pour les vues et sites Web d'extrême droite, l'establishment politique, l'armée et les médias institutionnels continuent de minimiser l'importance de ses actions. En fait, ils essaient même de nier qu'elles étaient politiquement motivées.
Hurren a été détenu sur le terrain de Rideau Hall, la résidence officielle de la gouverneure générale Julie Payette et la résidence temporaire de Trudeau, après avoir foncé avec sa camionnette dans la porte principale tôt le matin du 2 juillet. Officiellement en service militaire à temps plein au moment de son arrestation, il était lourdement armé, possédant au moins quatre armes à feu. Il doit comparaître vendredi [17 juillet] devant le tribunal pour 22 chefs d’accusation liés à des armes à feu et des menaces de mort.
La semaine dernière, des sources anonymes ont parlé aux médias du contenu d'une note que Hurren aurait voulu remettre à Trudeau. Le futur assassin a écrit qu'il était temps de lancer un «cri d’alarme» pour le Canada, qui risquait de devenir une «dictature communiste» sous le gouvernement libéral de Trudeau. Il a également fait part de sa crainte que son camion ne soit repris en raison de l'effondrement de son entreprise de fabrication de saucisses en pleine pandémie de coronavirus. Un tel développement, s’est plaint Hurren, l'aurait empêché de faire partie des Rangers canadiens, une unité de réserve des Forces armées canadiennes (FAC) qui patrouille dans les régions rurales et côtières.
Cependant, les vues d'extrême droite de Hurren ne sont pas simplement une réaction à la détresse économique et sociale déclenchée par la pandémie. Un article du Toronto Star publié le week-end dernier a révélé qu'il avait créé une page Web au début des années 2000 qui faisait la promotion d'Infowars et d'autres sites Web de conspiration d'extrême droite. Infowars est dirigé par le provocateur et extrémiste de droite Alex Jones, qui prétend que les démocrates veulent établir le «communisme» aux États-Unis et mener un «génocide blanc».
Juste une heure avant de défoncer les portes de Rideau Hall, Hurren a partagé un message en ligne associé à QAnon, une tendance fasciste basée sur Internet qui exhorte le président américain Donald Trump à ordonner l'arrestation de la direction du Parti démocrate et à imposer un régime dictatorial.
La veille de l'attaque de Hurren contre Rideau Hall, un rassemblement d'extrémistes de droite nommé «Jour du Dominion» a eu lieu sur la Colline du Parlement. Parmi les signes lors de la manifestation, il y en avait un montrant une photo de Trudeau debout sur une potence, un autre appelant à la réintroduction de la peine de mort pour le premier ministre, et plusieurs indiquant leur soutien à «QAnon». On ne sait pas si Hurren a assisté à l'événement.
Le Star a également révélé que Hurren a écrit un article en 2015 faisant l'éloge du service militaire de sa famille et faisant la promotion de l'utilisation du terme «vieux Canadien de souche» (Old stock Canadian), une expression inventée par la droite politique pour désigner les locuteurs blancs, chrétiens, anglais ou français dont les descendants ont résidé au Canada pendant plusieurs générations. Au cours de la campagne électorale fédérale de 2015, l'expression a été utilisée par le premier ministre conservateur Stephen Harper pour attiser le chauvinisme anti-immigrants et mobiliser la base de la droite dure du Parti conservateur, y compris des éléments d'extrême droite.
«Nous sommes les gens qui ont construit ce pays, défendu ce pays et en ont fait l'un des endroits les plus désirables de la planète pour vivre», a écrit Hurren dans son article de 2015. «C'est aussi pourquoi les gens veulent toujours venir ici et commencer une vie meilleure. Si certains d'entre vous pensent toujours que c'est une insulte d'être appelé un vieux Canadien de souche, je pense que vous vous trompez. C'est un titre et un héritage dont vous devriez être fier.»
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L’appui de longue date de Hurren pour l'extrême droite et son association avec l'armée – il a servi comme soldat d'artillerie entre 1997 et 2000, avant de rejoindre les réserves l'année dernière – soulève de nombreuses questions troublantes. Les militaires, qui prétendent être préoccupés par la prévalence des opinions racistes et d'extrême droite dans leurs rangs, étaient-ils au courant des vues de Hurren? Les a-t-il partagées avec ses collègues des Rangers et d'autres membres des FAC avec lesquels il est entré en contact, y compris pendant les semaines précédant immédiatement son assaut sur Rideau Hall, alors qu'il était en service actif à temps plein dans le cadre du déploiement des Forces canadiennes face à la COVID-19? Comment Hurren a-t-il obtenu son arsenal d'armes, dont au moins deux étaient illégales?
Les médias de la grande entreprise se sont révélés incroyablement désintéressés à explorer la moindre de ces questions, ils ont seulement accepté les quelques détails partagés par l'armée et le gouvernement sur les événements du 2 juillet comme une histoire complète. Grâce à l'indifférence des médias institutionnels, même les informations de base sur l'attaque – est-ce que Hurren était vêtu de l’habit de combat des FAC? – ne sont pas connues du public.
Publiquement, au moins, l'establishment politique canadien présente la tentative d'assassinat du premier ministre comme essentiellement un non-événement, digne de peu de commentaires, et encore moins d'enquête. Depuis que Trudeau a adressé un remerciement superficiel à la GRC un jour après l'arrestation de Hurren pour sa réponse à cet incident «inquiétant», aucun représentant du gouvernement n'a pris la peine de parler publiquement de la tentative de meurtre de l'actuel chef du gouvernement du Canada. (Voir: L'establishment canadien minimise la tentative d'assassinat de Trudeau)
La couverture médiatique a été délibérément conçue pour minimiser et banaliser l'événement, Hurren étant appelé «l'intrus de Rideau Hall» et quelqu'un qui aurait pu chercher à se «suicider par la police». Des «experts» des agences de renseignement ont également été cités pour nier l'évidence: les actions de Hurren étaient motivées par des considérations politiques. «Je ne vois toujours pas nécessairement cela comme une attaque à motivation idéologique. Ce n'est pas parce qu'il [croyait] aux théories du complot que c'est pour cela qu'il a fini par faire ce qu'il a fait», a déclaré au Star Jessica Davis, consultante en sécurité et ancienne analyste du SCRS. «Sa motivation semble vraiment assez mitigée.»
L'establishment politique et les médias tiennent à cacher comment le changement dramatique de la politique bourgeoise vers la droite au cours des deux dernières décennies favorise le développement des forces d'extrême droite, y compris dans les institutions de l'État. À la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001, l'élite dirigeante du Canada s'est unie, au nom de la «guerre contre le terrorisme», autour d'une politique de collaboration accrue avec Washington en cas d'agression et de guerre dans le monde et d'attaques contre les droits démocratiques au pays. Dans les intrigues et les interventions militaires d'Haïti en 2004 au déploiement en cours des FAC en Ukraine, l'impérialisme canadien a poursuivi ses intérêts prédateurs en s'alliant avec des forces d'extrême droite et carrément fascistes. L'année dernière, un rapport des services de renseignement militaire a admis que les forces armées comptaient dans leur rang au moins trois douzaines de personnes membres de groupes d’extrême droite ou qui avaient exprimé des opinions racistes ou extrémistes.
Le premier ministre Harper, tout en attisant les préjugés anti-immigrants et islamophobes, y compris avec les références aux «vieux Canadiens de souche» que Hurren a apparemment trouvé si attrayantes, a également déclaré que le Canada était une «nation guerrière» dont les citoyens devaient leurs libertés aux prouesses des militaires sur le champ de bataille. Bien que Trudeau et ses alliés des syndicats et du Nouveau Parti démocratique (NPD) se soient éloignés de telles affirmations explicitement belliqueuses des intérêts impérialistes canadiens, ils sont en accord fondamental avec l'objectif de Harper d'augmenter massivement les ressources de l'armée pour faire la guerre dans le monde entier. Trudeau s'est engagé à augmenter les dépenses militaires de plus de 70% d'ici 2026, et son gouvernement a intégré les forces armées canadiennes encore plus pleinement dans les offensives stratégiques militaires menées par les États-Unis dans le Moyen-Orient riche en pétrole, et contre la Russie et la Chine. Dans le plus récent projet de loi de dépenses des libéraux adopté avec le soutien du NPD le 17 juin, le gouvernement a détourné un peu plus d’un demi-milliard de dollars pour assurer la continuité du financement de la construction de deux navires de guerre à Vancouver.
Un examen sérieux des antécédents de Hurren révélerait le fait que les agences militaires et de sécurité de l'État capitaliste canadien sont des lieux de reproduction pour les forces d'extrême droite. Ce faisant, cela couperait les efforts de Trudeau et de ses alliés, dont le NPD, pour poursuivre le réarmement et promouvoir le Canada en tant que force bonne, «humanitaire» et «pacifique» sur la scène mondiale.
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la réponse du chef du NPD Jagmeet Singh à la tentative d'assassinat de Trudeau par Hurren. Mercredi dernier, Singh a déclaré lors d'une conférence de presse que le principal problème et la préoccupation soulevés par les événements du 2 juillet étaient que si Hurren avait été une «personne de couleur», cela se serait terminé différemment. Singh a comparé la reddition pacifique de Hurren après un effort de «désescalade» policière de 90 minutes au sort d'Ejaz Choudry, un homme sud-asiatique qui a été abattu par la police dans sa propre maison à Mississauga le mois dernier, quelques minutes seulement après leur arrivée pour un bilan de son état. «Ce contraste – quelqu'un s'est présenté pour potentiellement tuer le premier ministre du Canada ou avec des armes à son domicile, et cette personne a été arrêtée sans violence, et il y a cette autre personne qui a été tuée chez elle», a commenté Singh.
Singh a ensuite félicité Trump à l'esprit fasciste pour les réformes symboliques qu'il a présentées dans un décret le mois dernier à la suite des manifestations de masse contre le meurtre policier brutal de George Floyd: manifestations que Trump avait cherché à réprimer par la violence militaire. «Le fait que le président Trump, qui a été horrible sur cette question, qui a dit des choses haineuses et je l'ai critiqué à ce sujet, a fait plus en termes de changement de politique concret que le premier ministre du Canada qui dit qu'il est un allié, cela me dérange vraiment», a déclaré Singh. «Il n'a littéralement rien fait.»
L'intervention de Singh est un effort délibéré pour dissiper les inquiétudes et l'opposition de la population face à la montée de l'extrême droite et la détourner dans une direction réactionnaire. Au moment même où les travailleurs devraient remettre en question la complicité de l'État capitaliste, de ses partis et de ses institutions, y compris l'armée et la police, dans la croissance et la promotion des forces d'extrême droite, le NPD intervient pour déclarer que tout peut être réparé. Tout ce qui est nécessaire est de changer les mentalités racistes de quelques policiers et d'assurer «l'équité» raciale au sein des structures étatiques existantes et de l'ordre social: c'est-à-dire, garantir le «droit» égal des Noirs et des Blancs riches de s'asseoir dans les conseils d'administration des entreprises, d'occuper des positions de cadres supérieurs au sein de l'appareil d'État répressif et exploiter la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 15 juillet 2020)
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