La semaine dernière, on a appris que l’OTAN avait l’intention d’ouvrir un bureau de liaison à Tokyo, au Japon, l’année prochaine. Ce bureau serait le premier de l’OTAN dans la région Asie-Pacifique et représente le rôle croissant de l’organisation dans la préparation d’une guerre dirigée par les États-Unis contre la Chine. Tokyo et l’OTAN ont tous deux confirmé ce projet.
Nikkei Asia a rapporté le 3 mai que le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait discuté de l’ouverture du bureau avec le Premier ministre japonais, Fumio Kishida lors de la visite de Stoltenberg au Japon en janvier. Des bureaux similaires existent aux Nations unies à New York et à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à Vienne, ainsi qu’en Ukraine, en Moldavie, en Géorgie, en Bosnie-Herzégovine et au Koweït. Tokyo a également l’intention de créer une mission indépendante auprès de l’OTAN en séparant sa mission actuelle de son ambassade en Belgique et en envoyant un nouvel ambassadeur.
Bien que cette décision ne signifie pas que le Japon adhère à l’alliance, le nouveau bureau de l’OTAN à Tokyo constitue une provocation majeure à l’égard de la Chine. La guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine a été instiguée, en partie, par l’avancée des frontières de l’OTAN vers celles de la Russie. La collaboration de l’OTAN avec des pays comme le Japon, associée aux tentatives d’inciter Pékin à remettre en cause la politique de la «Chine unique» sur Taïwan, ne fera qu’accroître le danger de guerre.
L’ambassadeur du Danemark au Japon, Peter Taksoe-Jensen, qui sert actuellement de point de contact entre Tokyo et l’OTAN, a clairement indiqué que la décision d’ouvrir le bureau de liaison était dirigée contre la Chine et visait à l’empêcher de devenir un concurrent économique de l’Occident.
Il a déclaré à Nikkei Asia: «En 2022, lors du sommet de Madrid (de l’OTAN), les dirigeants alliés ont décidé que la Russie n’était plus un partenaire, mais un ennemi, et ont admis que la montée en puissance de la Chine pourrait avoir un impact sur la sécurité transeuropéenne».
La porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Pékin, Mao Ning, a critiqué le projet de nouveau bureau de liaison à Tokyo, déclarant: «L’expansion continue de l’OTAN vers l’est dans la région Asie-Pacifique, son ingérence dans les affaires régionales, ses tentatives de destruction de la paix et de la stabilité régionales et ses pressions pour que des blocs s’affrontent exigent une grande vigilance de la part des pays de la région».
L’OTAN et le Japon ont également l’intention de signer un programme de partenariat sur mesure (Individually Tailored Partnership Program – ITPP) avant le sommet de l’OTAN qui se tiendra les 11 et 12 juillet à Vilnius, en Lituanie. Le Japon, ainsi que la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande devraient participer à ce sommet. Le bureau de liaison facilitera le renforcement de la coopération entre l’OTAN et ces quatre pays, surnommés les partenaires de l’OTAN pour l’Asie et le Pacifique (AP4). Lors de la réunion de l’année dernière à Madrid, c’était la première fois que ces quatre pays étaient invités à participer à un sommet de l’OTAN.
Dans le cadre de leur collaboration, le Japon et l’OTAN travailleront également ensemble pour faire face aux «cybermenaces, aux technologies perturbatrices et aux activités de désinformation». En d’autres termes, ils veilleront à ce que l’Internet et les médias sociaux soient utilisés pour diffuser de la propagande impérialiste, tout en empêchant les travailleurs et les jeunes d’accéder à la fameuse «désinformation», y compris les positions socialistes, anti-impérialistes et antiguerre.
L’ouverture de ce bureau s’inscrit dans le cadre d’un programme plus large dans lequel les États-Unis développent et intègrent une série d’alliances destinées à encercler la Chine. Cela comprend notamment le dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad), composé des États-Unis, de l’Australie, de l’Inde et du Japon, ainsi que l’alliance AUKUS, composée de l’Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis. Washington et Séoul ont également annoncé récemment une collaboration accrue en matière de planification et d’utilisation de l’arsenal nucléaire de Washington.
En outre, sous la pression de Washington, Tokyo et Séoul s’efforcent d’apaiser les tensions qui existent entre les deux pays depuis des années. À la suite d’un sommet tenu à Tokyo en mars entre Kishida et le président sud-coréen Yoon Suk-yeol, les deux parties ont convenu d’une coopération accrue, d’une normalisation d’un accord de partage de renseignements militaires et d’un plus grand nombre d’exercices militaires aux côtés des États-Unis.
Le Japon renforce également sa coopération avec d’autres pays, dont le Royaume-Uni. En janvier, Tokyo a signé un accord d’accès réciproque avec Londres qui permet aux troupes de chaque pays d’entrer plus facilement dans l’autre. Tokyo envisage de conclure un accord similaire avec les Philippines.
L’ouverture du bureau de l’OTAN au Japon contribue également à l’objectif de remilitarisation de Tokyo. En 2014, le gouvernement de Shinzo Abe a annoncé une «réinterprétation» de la constitution pour autoriser ce qu’on appelle «l’autodéfense collective». L’année suivante, le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir a fait adopter une loi par le parlement pour codifier ce changement. Selon Tokyo, cela permet au Japon d’entrer en guerre aux côtés d’un allié au nom de l’«autodéfense», ce qui contourne ainsi l’article 9 de la constitution, qui interdit explicitement au Japon de maintenir une armée ou de faire la guerre.
En travaillant aux côtés de l’OTAN, Tokyo prétendra que son affirmation militaire et son agression croissantes s’alignent sur ce concept bidon et inconstitutionnel d’«autodéfense collective».
Dans cette optique, une délégation de l’OTAN s’est rendue au Japon du 24 au 26 avril, dirigée par le directeur de la division Sécurité coopérative, le général de corps d’armée Francesco Diella, qui a rencontré des responsables militaires japonais de premier plan. Au cours de ces discussions, Diella a déclaré: «Notre sécurité est profondément interconnectée. Mais il doit en être de même pour notre coopération, qui est enracinée dans nos valeurs communes et notre vision commune d’un monde libre, pacifique et prospère».
L’affirmation selon laquelle l’OTAN et ses pays membres, ainsi que le Japon, représentent des «valeurs communes» est dirigée contre la Russie et la Chine. Washington, Tokyo et leurs alliés prétendent qu’en Asie, la Chine représente une menace pour l’Indo-Pacifique «libre et ouvert». En réalité, les puissances impérialistes reprochent à Pékin de ne pas se plier à l’ordre établi et dominé par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Alors que Washington mène des opérations provocatrices et dangereuses de «liberté de navigation» aux portes de la Chine, toute réaction de Pékin est dénoncée comme une preuve de l’«agression» chinoise.
En outre, l’affirmation selon laquelle l’OTAN et, surtout, les États-Unis représentent les «valeurs démocratiques» est en contradiction avec la réalité. Aux États-Unis, les immigrés se voient refuser le droit d’asile tandis que la police tire régulièrement sur les travailleurs et les pauvres. En France, le président des riches, Emmanuel Macron, a recours à la répression policière contre les travailleurs en grève et les manifestants. Au Royaume-Uni, le journaliste Julian Assange reste derrière les barreaux de la prison de Belmarsh pour avoir dénoncé les crimes de l’impérialisme américain, tandis que le gouvernement britannique a gaspillé des centaines de millions de livres sterling pour la récente cérémonie de couronnement du roi Charles.
Au Japon, les crimes de guerre passés sont dissimulés afin de promouvoir la remilitarisation. Le PLD au pouvoir, sans véritable opposition de la part des autres partis, poursuit des amendements constitutionnels qui restreindraient sévèrement les droits démocratiques, et les journalistes subissent de l’obstruction, voire du harcèlement.
En fin de compte, l’objectif de Washington, de Tokyo et de l’OTAN n’est pas la défense des «valeurs démocratiques», mais la redivision de la région indopacifique aux dépens de la Chine, au risque d’une nouvelle guerre mondiale qui serait menée avec des armes nucléaires.
(Article paru en anglais le 8 mai 2023)