1985-1986: la victoire du trotskisme au sein du CIQI

La conférence suivante a été prononcée par Chris Marsden, secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste (Royaume-Uni) et Ulaş Ateşçi, membre dirigeant de Sosyalist Esitlik Grubu (Groupe pour l'égalité socialiste) en Turquie, à l'université d'été internationale du Socialist Equality Party (SEP) aux États-Unis, qui s'est tenue entre le 30 juillet et le 4 août 2023.

Cette conférence traite de la lutte la plus importante menée au sein du Comité international de la Quatrième Internationale contre une tentative déterminée de détruire le trotskisme en tant que tendance. Celle-ci impliquait ceux qui étaient alors ses dirigeants les plus respectés au niveau international.

La survie même de la Quatrième Internationale était en jeu. Comme cela a été souligné dans le discours d'ouverture de David North à l'école du parti de 2019 :

A l'exception du Comité international, le mouvement fondé par Léon Trotsky avait été politiquement liquidé par les pablistes. Dans tous les pays où les pablistes avaient réussi à établir un contrôle organisationnel, ils avaient détruit les organisations trotskistes en les transformant en appendices politiques des organisations staliniennes, sociales-démocrates ou nationalistes bourgeoises. En 1985, le Workers Revolutionary Party britannique (WRP), qui avait alors capitulé devant le pablisme, était sur le point d’achever la même opération de destruction. [1]

Cette conférence explorera en détail l’observation ci-dessous faitepar David North  :

Bien entendu, des efforts auraient été faits pour soutenir et reconstruire le mouvement trotskiste. Je suis certain qu'il y aurait eu dans toutes les sections du Comité international des camarades dévoués au trotskisme qui restaient déterminés à reconstruire la Quatrième Internationale. Mais leurs efforts auraient été entravés par la désorientation qui aurait suivi l’effondrement du WRP, s’il n’y avait pas eu une analyse très approfondie des causes sous-jacentes de la crise de 1985. En fait, c'est l'existence d'une critique écrite détaillée, développée par la direction de la Workers League entre 1982 et 1984, du charlatanisme théorique de Gerry Healy et de la capitulation du WRP devant le révisionnisme pabliste, qui a réfuté le mensonge cynique de Cliff Slaughter selon lequel la crise politique du WRP était juste un élément d’une «dégénérescence égale» de l’ensemble du Comité international. [2]

Nous expliquerons clairement pourquoi la tentative de détruire le CIQI a échoué et a au contraire conduit à une victoire décisive des trotskistes orthodoxes, fournissant ainsi la base d’une renaissance mondiale du socialisme révolutionnaire et confirmant que le CIQI est son seul représentant contemporain.

Gerry Healy, Cliff Slaughter et Michael Banda avaient une énorme autorité politique au sein du CIQI. Entre 1961 et 1964, les trotskistes britanniques avaient mené la lutte contre la réunification sans principes du Socialist Workers Party (SWP) américain avec les pablistes, présentant des documents que nous utilisons toujours pour éduquer nos cadres.

Gerry Healy, Michael Banda et Cliff Slaughter sur la plate-forme d'une réunion du WRP, le 13 mars 1983

La réunification a porté un coup dur au mouvement trotskiste. Dans des conditions où les pablistes liquidaient des mouvements prometteurs à travers le monde et les subordonnaient aux tendances anti-marxistes, les principes trotskistes furent défendus principalement par la Socialist Labour League (SLL) en Grande-Bretagne, avec le soutien de l’OCI en France.

La lutte politique ultérieure de la SLL contre le stalinisme, la social-démocratie, le nationalisme bourgeois et ses apologistes pablistes a jeté les bases pour le développement de la Workers League aux États-Unis et de la Revolutionary Communist League (RCL) au Sri Lanka. Cela s’est notamment manifesté par l’opposition à la «Grande trahison» historique au Sri Lanka en 1964, où le parti Lanka Sama Samaja rejoignit le gouvernement de coalition bourgeois de Sirimavo Bandaranaike.

Les orateurs précédents ont expliqué comment la SLL s'était retirée de la lutte contre le pablisme. À partir de 1967 environ, les trotskistes britanniques ont commencé à s’adapter aux énormes pressions politiques et sociales qui pesaient sur le mouvement. Dans des conditions où la domination politique de la social-démocratie, du stalinisme, du maoïsme, du castrisme et d'autres forces anti-marxistes exigeait une lutte acharnée contre le révisionnisme et pour l'internationalisme, l'idée s'est développée que donner la priorité à la construction d'un parti trotskiste en Grande-Bretagne, avant tout en établissant un journal quotidien rivalisant avec le Morning Star stalinien, fournirait la base pour construire le parti mondial.

Nous avons défini cela comme un tournant vers un opportunisme tactique, une approche non-historique et nationaliste, et cela s’est avéré désastreux. Cela signifiait se concentrer sur les tâches nationales et se retirer de la lutte contre l'opportunisme et le révisionnisme et de la perspective de construire le CIQI en tant que parti mondial de la révolution socialiste. Cela a conduit le WRP à une orientation de plus en plus pabliste et a menacé l’existence même du Comité international.

Ce fut un long processus politique. Comment le WRP a trahi le trotskisme l’explique ainsi :

Il n’est bien entendu pas possible de déterminer avec certitude le «moment» où la dégénérescence a commencé. Quoi qu’il en soit, ces processus ne se déroulent pas en ligne droite. Il y a des jours où même un mourant fait preuve d’une vigueur qui étonne sa famille et ses amis. Mais il ne fait aucun doute que la décadence politique du WRP était indissociable de son abandon de la lutte internationale contre le révisionnisme – le ressort théorique principal de la construction du parti mondial – au début des années 1970. [3]

La première conséquence politique sérieuse du retrait de la SLL de la lutte contre le pablisme s'est manifestée dans sa réponse à la dégénérescence centriste de l'OCI en France et à la scission qui a suivi en juillet 1971. Dans la lutte contre la réunification de 1963, la SLL s'est systématiquement attaquée à des questions importantes de perspective et a publié des documents critiques, aidant au développement d’une faction pro-CIQI au sein du SWP aux Etats-Unis. Cette fois-ci, la SLL se précipita pour effectuer une rupture organisationnelle, invoquant des divergences sur le matérialisme dialectique plutôt que de s’opposer au tournant politique centriste de l’OCI.

Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskisme

Healy était réticent à mener une lutte aussi exhaustive parce qu’il craignait que cela ne nuise aux interventions pratiques de la SLL dans la crise naissante en Grande-Bretagne. Ses craintes étaient amplifiées par le fait que des positions telles que celles de l'OCI avaient été exprimées au Congrès mondial de 1966 par Slaughter, qui avait initialement soutenu la formulation de l'OCI sur la «reconstruction» de la Quatrième Internationale. De son côté, Banda avait manifesté une fascination politique pour des personnalités telles que Mao, Ho Chi Minh et Gamal Abdel Nasser.

Dans des conditions d'aggravation de la crise du capitalisme mondial et d'augmentation du nombre de membres du parti, l'incapacité à tirer les leçons de la scission d’avec l'OCI, et à placer les fondements historiques du mouvement trotskiste au centre de son travail, a accéléré l’orientation de la SLL dans une direction nationale-opportuniste. L’intensification de la lutte des classes au début des années 1970 a produit de la part de la SLL une adaptation politique majeure au mouvement contre les conservateurs au pouvoir et un retrait de la focalisation sur la construction de la Quatrième Internationale en tant que parti mondial de la révolution socialiste.

Comme les camarades Evan Blake et Tom Mackaman l’ont examiné en détail, cette période a été un tournant critique dans les différentes trajectoires prises par la Workers League aux États-Unis et par les trotskistes britanniques. Bien que les dirigeants du WRP aient soutenu la Workers League dans la lutte contre Wohlforth, ils n’ont pas réussi à tirer les leçons nécessaires de cette expérience cruciale non seulement pour la WL mais encore pour l’ensemble du Comité international (CI). Cela s'est exprimé par le fait que le WRP n'a pas écrit une seule déclaration importante sur Wohlforth, comme l'a souligné le camarade North. En revanche, la Workers League plaça l’histoire du mouvement trotskiste et les leçons de la lutte contre le pablisme au centre de son travail politique.

Le Congrès fondateur du WRP en 1973

La fondation du Workers Revolutionary Party (WRP)

La création du WRP (Workers Revolutionary Party – Parti Révolutionnaire des travailleurs) en 1973 s'est faite sur la base de considérations nationales, sans aucune discussion avec le Comité international. Son objectif déclaré était de porter au pouvoir un gouvernement du Labour (parti travailliste) s’engageant à réaliser une politique socialiste.

Le bilan passé de lutte politique du WRP contre le pablisme, y compris celui qui était positif et correct concernant la dégénérescence de l'OCI, a néanmoins continué à fournir une inspiration politique au niveau international. Cela a conduit à la création de nouvelles sections en Allemagne et en Australie. Mais son abandon de l’axe internationaliste et celui d’une intensification de la collaboration avec ses co-penseurs politiques ont ouvert une longue période de désorientation politique. Cela devait ouvrir la voie à un opportunisme politique grotesque et à la trahison.

Le Congrès fondateur du Sozialistischer Jugendbund allemand en 1972

Le document Comment le WRP a trahi le trotskisme explique qu'après avoir fondé ce parti sur la base d’une lutte pour faire tomber les conservateurs et ramener au pouvoir un gouvernement travailliste, celui-ci a perdu son influence auprès des centaines de travailleurs qui s’étaient ralliés à lui sur cette base, mais qui n'avaient pas été éduqués dans les principes trotskistes.

La direction du parti fut contrainte de redéfinir son programme et mit à nouveau l'accent sur son identité trotskiste et son opposition au Parti travailliste. Mais cela s'est heurté à l'opposition d'une partie importante des travailleurs recrutés sur une base centriste, menés par Alan Thornett, travailleur de l’automobile chez British Leyland et secrétaire du mouvement de la base syndicale du parti, la All Trades Union Alliance. Cette attaque depuis la droite fut menée secrètement par l’OCI dans le but de destituer Healy comme leader du parti.

Le Comité international n'a pas été impliqué dans le conflit avec Thornett, qui fut géré au moyen d’expulsions bureaucratiques. L’intervention du CI aurait fondamentalement changé la dynamique politique. En reprenant la lutte contre l'OCI et la résurgence du révisionnisme pabliste, représenté par la ligne centriste de droite de Thornett, la direction du WRP aurait réarmé politiquement le mouvement mondial face au changement radical qui se faisait jour dans la situation politique internationale.

Au lieu de quoi le WRP a opéré un virage d’ultra-gauche, appelant la classe ouvrière à renverser le gouvernement travailliste. Les travailleurs savaient que cela ne pourrait qu’entraîner le retour des conservateurs au pouvoir. Cet appel reflétait et intensifiait un changement de position de classe en cours au sein du parti. Ayant déjà perdu une partie substantielle de sa base ouvrière, le WRP était en train d’opérer une rupture programmatique fondamentale avec l’orientation prolétarienne pour laquelle il s’était historiquement battu.

Ceci trouva un soutien au sein d'une direction de plus en plus dominée par des éléments petit-bourgeois sans réel lien avec l'histoire ou la lutte politique du parti, comme les acteurs Vanessa et Corin Redgrave et le rédacteur en chef de News Line Alex Mitchell. Ceux-ci réagissaient avec impatience et sans la base théorique nécessaire au développement politique de la classe ouvrière.

L’essence opportuniste de cette déviation d’ultra-gauche est apparue plus clairement dans l’abandon de la théorie de la révolution permanente et de la stratégie de la révolution socialiste mondiale. En avril 1976, le WRP signa, dans le dos du Comité international, un accord avec le gouvernement libyen qui entama la transformation du WRP en organe de propagande rémunéré et en agent politique de la bourgeoisie arabe.

Dans les années suivantes, la dangereuse montée de l’influence politique des couches de la classe-moyenne au sein de la direction du parti devint une courroie de transmission pour l’introduction d’intérêts de classe étrangers dans le WRP. Ceux-ci ont été le support d’une série de changements politiques allant de l’ultimatisme d’ultra-gauche à l’adaptation grotesque à des sections de la bureaucratie travailliste et syndicale. Ils constituèrent également une source de revenus substantielle, non basée sur la lutte pour pénétrer dans la classe ouvrière. Cela a renforcé l'indépendance et l'hostilité de la direction par rapport à la base du parti et a accéléré la destruction des fondements du centralisme démocratique.

L’impact désastreux que cela eut au niveau international est décrit dans ce passage remarquable de « Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskisme » :

L’expression prédominante de cette trahison du trotskisme fut la subordination des intérêts de la révolution socialiste mondiale aux besoins pratiques immédiats de l’organisation britannique. La montée du chauvinisme au sein du WRP exprimait la pression directe de l’impérialisme britannique sur le parti, et surtout sur sa direction. Healy, Banda et Slaughter en sont venus à considérer et à traiter le Comité international comme s’il faisait partie d’un mini-commonwealth dominé par le WRP, destiné à être utilisé comme source de financement et manipulé dans l’intérêt de sa propre politique étrangère.

Dans les années 1980, les méthodes par lesquelles ils ont dominé le Comité international ont commencé à ressembler aux pratiques utilisées pendant des siècles par la classe dirigeante britannique: le parjure le jour et la contrefaçon la nuit – et nous entendons cela littéralement. [4]

Cette dérive politique et ce nationalisme toxique ont déterminé la réponse du WRP aux critiques formulées par David North entre 1982 et 1984, qui menaça la Workers League de scission et empêcha leur distribution et leur discussion au sein du CI.

Février 1984 offrit au WRP une opportunité essentielle d’affronter objectivement les questions politiques et théoriques qui sous-tendaient sa dégénérescence depuis une décennie, qu’il a rejetée. Un mois plus tard éclatait la grève des mineurs. Ce fut la plus grande bataille de classes en Grande-Bretagne depuis la grève générale de 1926 ; elle dura une année entière. Il y a eu 20 000 mineurs blessés ou hospitalisés, 13 000 arrestations, 200 emprisonnés lors d'opérations policières brutales de type militaire, deux tués sur des piquets de grève, trois tués en creusant le charbon pendant l'hiver et 966 licenciés.

Une partie d’une manifestation de masse des mineurs durant leur grève en 1984

Les actifs du Syndicat national des mineurs furent mis sous séquestre et on créa le Syndicat [jaune] des mineurs démocratiques lors d'une opération d'État. La défaite de la grève fut suivie par la fermeture en masse de mines et la décimation de communautés entières. Ce fut une lutte qui confirma la décadence politique totale du WRP et contribua à précipiter l’explosion qui suivit.

La ligne politique du WRP était un mélange de rhétorique d'ultra-gauche et d'opportunisme débridé. Le parti n’a jamais posé une seule revendication au Parti travailliste. Il a substitué des revendications de grève générale pour installer un Gouvernement révolutionnaire ouvrier aux appels à mobiliser la classe ouvrière pour forcer la démission du gouvernement conservateur, de nouvelles élections et le retour du Parti travailliste au pouvoir sur un programme socialiste. Cela aurait mis le parti en mesure de rallier des milliers de travailleurs à l’esprit socialiste vers à alternative révolutionnaire.

Pour combler le fossé entre le refus du WRP d'exiger que la confédération Syndicale TUC et le Parti travailliste renversent le gouvernement conservateur et sa campagne de propagande en faveur d'un gouvernement révolutionnaire ouvrier, le parti a affirmé que le gouvernement de Margaret Thatcher avait été transformé en dictature bonapartiste. Cela était censé signifier que la classe dirigeante ne comptait plus sur la bureaucratie pour contrôler et réprimer la lutte des classes. Au lieu de quoi, une situation révolutionnaire avait prétendument émergé plaçant le WRP dans une lutte directe pour le pouvoir sans qu’il soit nécessaire de briser l’emprise de la bureaucratie travailliste et syndicale sur la classe ouvrière.

Accorder des pouvoirs dictatoriaux à Thatcher fournissait une apologie des trahisons de la bureaucratie travailliste et syndicale, qui allait s’avérer être la véritable source de la défaite des mineurs. Le refus du WRP de défier le TUC et le Parti travailliste et son exhortation au seul militantisme syndical facilita sa subordination à la bureaucratie du syndicat des mineurs NUM, dirigée par le stalinien Arthur Scargill. C’était Scargill qui avait pour tâche de défendre et de protéger la bureaucratie syndicale d’un défi politique.

Pour des membres sans éducation politique et engagés quotidiennement dans une activité intense pendant la grève, il sembla un certain temps que le WRP faisait de grands progrès, notamment en gagnant le soutien des mineurs les plus militants. Mais avec la défaite de la grève, ces progrès en apparence se sont évaporés.

La réponse du WRP fut criminelle. Pour expliquer que la fin de la grève n’avait pas été suivie par l’imposition d’une dictature fasciste, comme prédit au septième congrès du parti en décembre 1984, le WRP a proclamé que les mineurs avaient été «trahis mais pas vaincus». En réponse aux pressions exercées par les membres, notamment dans le nord, on a lancé des marches pour la libération des mineurs emprisonnés. L’espoir était que cela userait les membres à force d’activisme, Banda les assimilant à la «Longue Marche» de Mao et déclarant que le parti marcherait jusqu'à la révolution.

La marche remporta un soutien important parmi les mineurs et d’autres travailleurs, indiquant ce qu’il aurait été possible au parti de réaliser s’il avait cherché à tirer les leçons de cette expérience pour la classe ouvrière, plutôt que de continuer à suivre Scargill et le Socialist Workers Party.

Mais rien de tout cela ne suffit à endiguer la crise. La défaite de la grève des mineurs avait laissé de grandes pans du WRP, en particulier les éléments petits-bourgeois et déclassés de l'appareil du parti, perplexes, démoralisés et pleins de ressentiment. On leur avait promis une révolution, on les avait mis en garde contre le fascisme, mais ni l’un ni l’autre ne s’était concrétisée. Leur conclusion était que tous leurs efforts jusqu’à présent avaient été vains. On pouvait s'accommoder du capitalisme et peut-être trouver une place plus confortable dans l'ordre social existant.

Le décor était planté pour l’éruption de luttes de factions totalement sans principes au siège du parti à Clapham (Londres).

Avant d’aborder les événements spécifiques de la scission et ses principales leçons, certaines questions doivent être clarifiées.

La dégénérescence personnelle et politique de Healy, Slaughter et Banda, qui ont joué un rôle significatif et même décisif dans l’histoire de la Quatrième Internationale en assurant la continuité du trotskisme, a une dimension tragique. Dans toutes les luttes menées tout au long de 1985 et jusqu’en 1986, le CIQI s’est opposé aux efforts de la direction du WRP visant à dénigrer ces luttes historiques. Le CI insista pour expliquer que la question centrale à laquelle était confronté le WRP à un moment de crise politique aiguë était de se déterminer «pour ou contre le Comité international », de savoir s’ils allaient renouveler et approfondir la lutte politique qui avait autrefois assuré aux trotskistes britanniques leur position de direction politique dans le mouvement mondial, ou s’ils allaient poursuivre leur dérive nationale opportuniste.

Le CIQI s’est comporté de façon principielle, exhortant les dirigeants et les membres du WRP à changer de cap en acceptant l'autorité politique du parti mondial et en collaborant avec leurs camarades internationaux. Le CIQI eut raison de le faire.

Le WRP avait connu une profonde dégénérescence, mais en tant que section du CIQI, il constituait une entité politique totalement différente des groupes de la pseudo-gauche. Comme David North l'a dit lors d'une récente discussion, le pire de Healy valait mieux que le meilleur de Ted Grant du groupe Militant et de Tony Cliff du Socialist Workers Party (Royaume-Uni).

Le parti avait en lui, même au plus fort de sa dégénérescence, un cadre qui croyait en la perspective révolutionnaire que Healy, Slaughter et Banda avaient autrefois représenté et qui pouvait répondre à un appel à reprendre la lutte pour le trotskisme.

Il s'est avéré que la dégénérescence politique nationaliste de la direction centrale du WRP était trop avancée pour sauver le parti tout entier. Mais cela ne pouvait être déterminé qu’en posant avec consistance la nécessité d’une reprise de la lutte contre le pablisme et de la continuité du CIQI au sein des structures du parti mondial.

La lutte menée a démontré de manière irréfutable que le CIQI représentait la continuité du trotskisme. Comme Trotsky l’a dit lors de la fondation de la Quatrième Internationale, en dehors de ses rangs, il n’y avait pas de parti ou de cadre révolutionnaire digne de ce nom.

Défense de la Révolution permanente contre l’opportunisme national du WRP

La critique élaborée à partir de 1982 par David North n'a pu être formulée que par une tendance qui avait placé au centre de son travail l'assimilation des expériences historiques du mouvement trotskiste et la lutte contre le révisionnisme de Pablo-Mandel. Elle a démasqué l'abandon par le WRP de la théorie de la révolution permanente, son adaptation au nationalisme bourgeois et la relation entre l'opportunisme politique du WRP et la déformation idéaliste subjective du matérialisme dialectique et historique par Healy. Elle montrait clairement que la crise qui secouait le WRP était le produit d’une longue dégénérescence politique et offrait la seule base permettant de la résoudre.

Le refus de Healy de discuter des critiques théoriques et politiques sérieuses de cette dérive vers le pablisme exclut la possibilité de surmonter les problèmes politiques croissants au sein du WRP. Cependant, si l’on devait caractériser les premiers mois de la crise du WRP, ce fut une période au cours de laquelle cette critique a servi de base à la cristallisation d’une nouvelle majorité trotskiste au sein du Comité international. Elle a obtenu le soutien des sections sri lankaise, allemande et australienne ainsi que d'une faction au sein du WRP qui constituait la majorité au moment de la rupture définitive avec les renégats derrière Slaughter et Banda.

École du CIQI en Australie en 1978. Parmi les participants figurent Nick Beams et Linda Tenenbaum (Australie), Spike Perera et Keerthi Balasuriya (Sri Lanka) et Mike Banda (Grande-Bretagne).

Comme cela est expliqué dans Comment le WRP a trahi le trotskisme, le fait que le WRP n’ait pas permis que les critiques de la Workers League soient correctement diffusées et discutées indique que Healy, Banda et Slaughter soupçonnaient que ses opinions trouveraient un large soutien au sein du CIQI. Cela a été historiquement confirmé.

Parce que de larges pans du cadre international avait été attirés vers le CIQI dans les années 1960 et au début des années 1970, sur la base de la défense par les trotskistes britanniques de la perspective internationaliste de la Révolution permanente, les critiques avancées par la Workers League, une fois connues, reçurent un soutien écrasant. C’est ce qui explique le rapide réalignement politique au sein du Comité international à l’automne 1985, qui a établi une nouvelle base pour le travail du mouvement international.

Pour apprécier l’importance de cette critique, il faut attirer l’attention sur la nature du conflit politique qui avait éclaté au sein du WRP et sur la manière dont il s’est développé avant l’intervention du CIQI dirigé par la Workers League.

Le 1er juillet 1985, Aileen Jennings, secrétaire personnelle de Healy pendant 20 ans, disparaîssait de Londres. Elle laissait derrière elle une lettre datée du 30 juin dénonçant Healy pour des abus flagrants commis envers des femmes membres du WRP et du CIQI. C’était une lettre ignoble envoyée aux parents de certaines des personnes impliquées. Sa teneur générale est indiquée par ses premiers paragraphes avertissant que «la gestion de Youth Training par un homosexuel» soulevait le danger d'une provocation policière. C’est ainsi que Jennings a ensuite évoqué des événements ayant eu lieu dans «les appartements du nº155 Clapham High Street, qui ouvrait également le Parti à la provocation policière».

Accompagnée d’une crise financière délibérément provoquée, cette lettre était une provocation politique de la part d’une clique présente au siège du parti. Son objectif était de forcer Healy à se retirer ou à prendre sa retraite et ainsi d’accélérer et de renforcer le virage opportuniste du WRP. Peu importait sa récente évolution, un parti dirigé par Healy n’allait jamais être acceptable à une pseudo-gauche qui se définissait en opposition à tout ce qu’il avait historiquement représenté.

Pendant les trois mois suivants, le comité politique du WRP, quelles que soient les divergences de ses membres, a tenté collectivement d'étouffer le scandale. Cela signifiait mentir au CIQI et s’opposer aux efforts déployés par Dave Hyland, un membre du Comité central, pour exiger une enquête de la commission de contrôle. Le plan était que Healy annoncerait sa retraite pour problèmes de santé, tout en étant autorisé à donner des conférences au College for Marxist Education.

Banda dirigea cet effort pour gérer la crise du parti, faisant signer une lettre à Healy qui déclarait: «Conformément à notre accord du 7/05/85, je m'engage sans réserve à cesser immédiatement ma conduite personnelle envers les jeunes. »

Ce fut un échec. Comme l’explique L’Héritage que nous défendons :

En octobre 1985, les ressentiments refoulés de la classe moyenne explosèrent au sein du WRP. Désillusionnés et amers, lassés d'années de travail acharné sans récompense, insatisfaits de leur situation personnelle, soucieux de rattraper le temps perdu, et tout simplement las de tous les discours révolutionnaires, la rage subjective de ces couches de la classe moyenne – dirigées par une équipe hétéroclite de professeurs d’université semi-retraités s’est traduite politiquement par la volonté de liquider le parti. [5]

Par ce terme, on entend:

… cette aile la plus réactionnaire de l’opportunisme qui a désormais rompu avec le trotskisme et exige la destruction de son expression organisée, le Comité international de la Quatrième Internationale et ses sections nationales.

La base de classe de cette tendance est la petite-bourgeoisie de tous les pays capitalistes, qui a succombé aux pressions impérialistes et qui ne croit plus à la viabilité d'une perspective révolutionnaire basée sur le prolétariat international. [6]

L’Héritage que nous défendons

Pour souligner l'importance de l'intervention menée par le camarade North, la faction appelant à une commission de contrôle monta une réponse de principe aux révélations faites par Jennings et elle trouva du soutien parmi les cadres de la classe ouvrière du Yorkshire et de Manchester et dans la direction nationale des Jeunes socialistes. Mais elle s'est développée dans des conditions d'énorme confusion politique parmi les membres qui, en raison de la dégénérescence politique du WRP, n'avaient aucune base pour comprendre les questions plus larges et plus essentielles en jeu.

Ce furent des mois au cours desquels tous les dirigeants du parti déclaraient haut et fort que le CIQI n’avait jamais été trotskiste ou avait subi une dégénérescence égale à celle du WRP. Tous les ennemis du CIQI se sont également manifestés et insistèrent pour dire que leur propre opposition pourrie au «healyisme» avait été justifiée, comme les spartacistes, qui ont publié une brochure intitulée «Le healyisme implose».

Ce terme, qui indique une opposition à la lutte menée par le CIQI contre le pablisme, était désormais adopté par Banda, Slaughter et compagnie.

Livrés à eux-mêmes, ceux impliqués dans la lutte pour une commission de contrôle auraient été incapables de s'orienter politiquement et de vaincre la campagne de la direction centrale du WRP et de leurs alliés pour une liquidation dans le marais pabliste et stalinien.

Ce qui fut décisif ce fut la capacité à couper court à l'hystérie générée par Slaughter et Banda et à présenter une analyse des véritables problèmes sous-jacents de la dégénérescence du WRP, une analyse ancrée dans la défense de l'histoire et du programme du CIQI. En effet, comme l’expliquait David North, l’existence même de cette critique était une réfutation dévastatrice de l’argument avancé plus tard par Slaughter, selon lequel le WRP et le CI avaient subi un processus de «dégénérescence égale».

Autre point important: Slaughter et ses partisans ont accusé de nombreuses fois David North de lâcheté politique pour avoir retiré sa critique du WRP, affirmant que ceci était comparable à leur propre silence face à ce qu'ils affirmaient être des abus politiques et organisationnels dont seul Healy portait la responsabilité. Les événements ont prouvé que North avait eu raison de prendre des mesures qui ont empêché l'expulsion immédiate de la Workers League dans des conditions où ses critiques avaient été réprimées et dissimulées au sein du Comité international et parmi les membres du WRP.

Cette décision a été prise un an seulement avant que la crise politique n’éclate au sein du WRP. On ne peut pas exclure la possibilité que la Workers League aurait malgré tout pu réussir à trouver un moyen d'intervenir dans la lutte déclenchée dans les sections du CI et parmi les membres du WRP. Mais on peut affirmer avec certitude que cela aurait été infiniment plus difficile. Et l’existence et la circulation de la critique de North ont été le facteur décisif dans tout ce qui s’est passé en 1985.

Dans son discours d'ouverture de cette université d’été, David North a souligné comment le mouvement trotskiste américain avait été fondé suite à la visite de James P. Cannon à Moscou en 1928. À l'époque, Cannon était profondément impliqué dans les luttes factionnelles au sein du Parti communiste américain. Les factions rivales Jay Lovestone et William Z. Foster-Cannon recherchaient toutes deux le soutien de Moscou dans leurs luttes politiques internes.

Mais à Moscou, on donna à Cannon de même qu’à Maurice Spector, qui dirigeait le Parti communiste canadien, un exemplaire de la Critique du projet de programme de l'Internationale communiste de Trotsky, qui fut plus tard publiée dans La Troisième Internationale après Lénine. Après l’avoir lue, il en conclut que toutes les questions qui le préoccupaient étaient fondamentalement insignifiantes et, avec Max Shachtman et Martin Abern, il retourna en Amérique pour commencer une lutte pour la politique de l'Opposition de gauche, qui lui valu d’être expulsé en octobre.

James P. Cannon

L’histoire ne se répète pas, mais souvent elle rime. Cela s’est reproduit de manière remarquable en 1985 dans le WRP, et avec une grande portée historique. L'hommage rendu par David North à Dave Hyland en 2014 explique comment, à la mi-septembre [14-15], les camarades Larry Porter et David North avaient pris l’avion pour l'Angleterre pour découvrir ce qui se passait réellement au sein de l'organisation. On leur avait seulement dit que Healy démissionnait dû à des problèmes de santé et de vieillesse.

Le 3 septembre, Banda avait appelé le camarade North pour lui demander de «reprendre l’alliance». Cela faisait référence à son accord rompu d’octobre 1982 en vue de soutenir une discussion sur les fausses conceptions théoriques et politiques du WRP. Le Comité politique de la Workers League avait convenu à l'unanimité qu'il n'y aurait aucune alliance avec les dirigeants du WRP, qui avaient prouvé à plusieurs reprises qu'ils se comportaient de manière totalement opportuniste et cherchaient maintenant à utiliser le Comité international pour régler leurs conflits de factions.

Après avoir rencontré Banda à Londres, North lui a rappelé les critiques politiques formulées en 1982 et 1984. Banda a fouillé dans ses dossiers et a trouvé une copie du rapport de février 1984 au CI. Il a reconnu que ces critiques étaient fondées et a demandé à David de l'accompagner dans le Yorkshire, où il prévoyait de rencontrer Dave Hyland à Rotherham.

Là, à la fin d’une discussion insatisfaisante, Banda remit de façon impulsive, et pour lui désastreuse, à Hyland un exemplaire d’«Une contribution à une critique des ‘études sur le matérialisme dialectique’ de G. Healy» ainsi que le rapport de 1984 au CIQI.

Dave les a lus, puis a appelé les principaux membres de sa faction chez lui pour les lire les uns après les autres dans son salon.

La critique de la “dialectique” de Healy par David North

La lecture de cette critique a été pour nous tous une révélation, fournissant pour la première fois une explication politique de la scission et montrant clairement que celle-ci avait rencontré une opposition au sein du CIQI. Il était fondamental de faire une critique sérieuse de la version hégélianisée de la dialectique de Healy, sur laquelle reposait alors une grande partie de son autorité politique. Il y avait beaucoup à assimiler dans ces conditions, mais cela rendait compréhensible, théoriquement et politiquement, ce qui était considéré par d’autres comme du simple charabia.

Après des discussions intensives le 9 octobre, Dave a appelé la Workers League et a demandé à parler à David North. Dans son hommage, le camarade North cite une lettre que Dave Hyland lui a écrite en 2005, dans laquelle il décrit la lecture de ces documents et le fait de lui avoir téléphoné comme «la décision politique la plus importante de ma vie». Ce fut la décision la plus importante dans de nombreuses vies.

Plus tard, le 10 octobre, les camarades North et Larry Porter sont retournés au Royaume-Uni. Ils avaient été informés de l'appel téléphonique de Dave Hyland la veille alors qu'ils étaient en Allemagne et l'avaient rappelé. Comme le dit David :

Je ne peux pas assez insister pour dire à quel point cela était crucial et important. Jusqu’à ce moment-là, nous étions encore à l’extérieur et regardions vers l’intérieur. C’était comme si nous étions des intrus politiques dans une organisation à laquelle nous n’avions pas accès. Mais voilà, il y avait quelqu'un qui voulait nous parler de la crise au sein du WRP et qui s'intéressait aux documents que nous avions rédigés. [7]

David, Larry et Uli Rippert, le secrétaire national de la section allemande du CIQI, le Bund Sozialistischer Arbeiter (BSA), arrivèrent au Royaume-Uni le 10 octobre. Ils furent témoins d'un parti dont les factions étaient en état de guerre ; cela est décrit de manière très détaillée dans les notes de David en vue d’un rapport devant être présenté au Comité politique de la Workers League, le 2 novembre.

David North et Ulrich Rippert en 1985

Les partisans de Healy au Comité politique avaient voté pour l'inviter au siège du parti et pour préparer des accusations contre les membres du Comité central et les dirigeants des Jeunes socialistes Julie Hyland et Dolly Short pour avoir publiquement exigé une commission de contrôle. Cela a provoqué une sortie des partisans de Banda, qui ont également fermé le journal du parti, le News Line, et son imprimerie à Runcorn, Liverpool. Banda a décrit cela pompeusement comme «le 18 brumaire de Michael Banda».

À une première réunion où étaient présents 25 membres dirigeants ce soir-là, et après encore, Banda a menacé d'expulser tous les partisans de Healy lors d'une prochaine réunion du Comité central. Il a également indiqué qu’il pensait qu’il n’y avait jamais eu de mouvement trotskiste en Grande-Bretagne, ce qui sous entendait que le CI lui-même n’était pas trotskiste.

David, Larry et Uli ont décidé de se rendre à Leeds dans le Yorkshire le lendemain, le 11 octobre. Ils ont obtenu l'accord de Slaughter dans une réunion à laquelle participait aussi Dave Hyland, que celui-là (Slaughter) plaiderait en faveur de droits de minorité pour les partisans de Healy. Par la suite, David North eut sa première discussion avec Dave Hyland.

Hyland a d’abord soulevé qu’il n’y avait jamais eu de mouvement trotskiste en Grande-Bretagne. Mais il fut convaincu, après une longue revue par David North de l'histoire de la lutte contre le pablisme, que la lutte au sein du WRP devait être menée sur la base de la reconnaissance et de la défense de la continuité du mouvement trotskiste contre le développement du pablisme au sein du Comité international.

Dave Hyland et David North

Le lendemain 12 octobre, Slaughter, Banda et 23 autres membres du Comité central ont voté en faveur de l'expulsion de Healy, mais ont accordé des droits minoritaires à ses 12 partisans.

Le 21 octobre, les sections grecque et espagnole ont publié un communiqué commun refusant d'accepter l'expulsion de Healy. Ce communiqué appelait Healy, en tant que «leader historique de ce mouvement et leader du Dixième Congrès mondial ainsi que combattant le plus remarquable pour ses perspectives, à convoquer une réunion d'urgence du Comité international de la Quatrième Internationale et nous ne reconnaîtrons aucune autre réunion de factions convoquée frauduleusement au nom du CIQI ».

Le 25 octobre s'est tenu un plénum du véritable CIQI, au cours duquel deux résolutions ont été adoptées. L’une d’elle expulsait Healy du CIQI, tout en s’opposant à la position de la faction Slaughter/Banda selon laquelle tout était une question de sexe. Au lieu de quoi elle déclarait: «Les pratiques qu’il a mises en œuvre constituaient une attaque contre un cadre historiquement sélectionné du mouvement trotskiste.»

La résolution rejetait toutes les tentatives visant à dénigrer la contribution passée de Healy et à attaquer l’histoire et l’autorité politique du CIQI.

Elle déclarait:

En expulsant Healy, le CIQI n’a pas l’intention de nier les contributions politiques qu’il a apportées dans le passé, notamment dans la lutte contre le révisionnisme pabliste dans les années 1950 et 1960.

En fait, cette expulsion est le résultat final de son rejet des principes trotskistes sur lesquels reposaient ces luttes passées et de sa descente dans les formes les plus vulgaires de l’opportunisme.

La dégénérescence politique et personnelle de Healy peut être clairement attribuée à la séparation de plus en plus explicite qu’il faisait entre les avancées pratiques et organisationnelles du mouvement trotskiste en Grande-Bretagne et les luttes contre le stalinisme et le révisionnisme, historiquement et internationalement fondées, qui étaient à l’origine de ces acquis. [8]

La Résolution du Comité international de la Quatrième Internationale sur la crise de la section britannique, qui accompagnait cette résolution, affirmait encore:

À l'origine de la crise actuelle, qui a éclaté avec la révélation des pratiques corrompues de G. Healy et la tentative du Comité politique du WRP de les dissimuler, il y a la dérive prolongée d’une direction du WRP s'éloignant de la tâche stratégique de construction du parti mondial de la révolution socialiste pour adopter une perspective et une pratique de plus en plus nationalistes. [9]

Elle proposait «une commission internationale de contrôle chargée d'enquêter, mais sans s'y limiter, sur la corruption de G. Healy, la dissimulation par le Comité politique et la crise financière du WRP», et à laquelle toutes les accusations existantes contre des membres du parti devaient être adressées.

Plus important encore, elle stipulait :

Le renouvellement de l’adhésion des membres du WRP sur la base d'une reconnaissance explicite de l'autorité politique du CIQI et de la subordination de la section britannique à ses décisions. [10]

Cela deviendra un enjeu central dans les luttes qui suivront. Cette résolution a été approuvée à l'unanimité par la délégation britannique lors de la réunion du CIQI du 25 octobre et par le Comité central du WRP. Plus important encore, elle a été acceptée sans vote lors d’un congrès spécial du WRP tenu les 26 et 27 octobre.

Le discours de David North le premier jour du Congrès spécial, donnant une explication détaillée de l'histoire politique et des causes de la dégénérescence du WRP, a été décisif pour obtenir ce résultat. Ce fut une confirmation puissante de l’autorité politique du CIQI, qui gagna le soutien de presque tous les délégués et fut applaudie même par nombre de ceux qui devinrent plus tard les opposants les plus farouches du CI.

Je dois insister sur ce point. Il y a des moments qui restent gravés dans votre mémoire. Et ce fut l’un de ces moments. Je peux honnêtement dire que l’atmosphère était électrique à regarder et à écouter. Avant ce congrès spécial, les partisans de Mike Banda discutaient de comment ils étaient venus armés en cas de bagarre ou au cas où il y aurait une tentative de les empêcher d'accéder au bâtiment. Ils avaient des grappins et des choses semblables. Eh bien, ils étaient armés de grappins, mais Dave North lui, nous a armé de marxisme et d’une analyse marxiste.

Le 26 octobre, la faction Healy a tenu sa propre réunion dans un autre lieu, proclamant qu’une «scission nécessaire et attendue depuis longtemps» avec Banda et Slaughter avait «été réalisée avec succès». Ils se décrivaient eux-mêmes comme la section britannique du CIQI et David North comme le leader d’un «CIQI croupion». Les partisans de Healy ont rejeté une offre du CIQI de rencontrer une délégation dirigée par le camarade North.

Une lettre du 9 novembre adressée au Comité central de la Workers Internationalist League en Grèce et concernant son refus d'assister au plénum du CI du 25 octobre, déclarait :

Un tel rejet des principes internationalistes sur lesquels repose notre mouvement est essentiellement du nationalisme et exprime la pression de l'ennemi de classe […] L'anti-internationalisme qui a conduit au refus d'assister à la réunion du CI du 25 octobre doit être rejeté. Dans le cas contraire, la WIL risque d’être détruite en tant que parti trotskiste. [11]

Cela aussi a été ignoré. Cet avertissement s’appliquait avec la même force à la faction Banda-Slaughter restée au sein du WRP et du CIQI. Ils n’avaient accepté la résolution du 25 octobre que comme une manœuvre tactique pour gagner le soutien du CIQI contre la faction pro-Healy, et avaient l’intention de la répudier à la première occasion.

La réponse des membres à l'intervention de North au Congrès spécial les a convaincus qu'ils devaient agir rapidement. Ils ont décidé de s'opposer à la subordination de la section britannique au CIQI et d'annuler la résolution, attisant toutes sortes de préjugés nationalistes cultivés au fil des années parmi les membres du WRP.

Cela a pris la forme d’une insistance à la fois pour dire que le scandale sexuel était la question fondamentale de la scission, que le CIQI voulait supposément minimiser, et pour affirmer que le CIQI avait subi un processus de «dégénérescence égale» au même titre que le WRP et qu’il essayait d’empêcher une rupture fondamentale d’avec le «healyisme».

C’est ce qu’a articulé Banda, qui le 2 novembre déclarait dans un article du News Line intitulé «La moralité et le Parti révolutionnaire»:

Pour la première fois, et peut-être la dernière, le parti est divisé non pas sur des questions tactiques et programmatiques, mais sur la question la plus fondamentale de la moralité révolutionnaire. La scission s’est opérée sur le rapport entre les sexes dans le parti… [12]

Le 21 novembre, le Comité central de la Workers League écrivait au Comité central du WRP pour expliquer :

La source fondamentale de notre désaccord et la cause des frictions croissantes entre nous est que la direction du Workers Revolutionary Party n'est pas prête à reconnaître, sauf sous forme verbale et platonique, l'autorité du Comité international de la Quatrième Internationale. Précisément parce qu'elle ne reconnaît pas que la caractéristique la plus essentielle de la dégénérescence politique de Healy était sa subordination du mouvement international aux besoins pratiques de la section britannique, la direction du WRP court un réel danger de poursuivre, quoique sous une forme quelque peu différente, la même trajectoire nationaliste opportuniste.

… À notre avis, la leçon la plus importante de la lutte actuelle qui doit être saisie par tous les cadres du Comité international sont les implications pratiques extrêmement réactionnaires de toute retraite vis-à-vis de la défense des principes trotskistes et de la lutte contre toutes les formes de révisionnisme. [13]

Le WRP a répondu en intensifiant son offensive liquidatrice.

Slaughter serre la main du chien d'attaque stalinien Monty Johnstone

Le 26 novembre, lors d'une réunion au Friends Hall de Londres, rapportée dans le News Line sous le titre «Moralité révolutionnaire et scission au sein du WRP», Slaughter a publiquement remis en question les fondements historiques du Comité international devant un parterre de ses ennemis politiques, et a serré la main du tristement célèbre stalinien de la première heure, Monty Johnstone. Un «vieux stalinien quelconque» cela n’existe déjà pas, mais Monty Johnstone lui, était l’homme de référence du mouvement stalinien pour attaquer le trotskisme. Il avait à son actif non seulement des polémiques en trois parties contre la Socialist Labour League dans les années 1960, mais aussi par la suite des attaques répétées contre Trotsky.

Peter Schwarz, Keerthi Balasuriya et David North en 1987

Cela a incité le camarade Peter Schwarz à envoyer une lettre au CC du WRP dans laquelle il déclarait :

Prononcé devant toute la coterie du révisionnisme britannique par le secrétaire du CIQI, je ne peux m'empêcher de regarder ce discours comme une claire indication que le camarade Slaughter veut rompre complètement d’avec le CIQI et rejoindre le marais révisionniste et stalinien. [14]

Quatre jours plus tard, le 6 décembre, Geoff Pilling contredit cela publiquement dans un article intitulé «Rien à cacher... ni à craindre». Il lança un appel explicite aux staliniens, au pabliste Alan Thornett «et à tous ceux qui ont été victimes des méthodes arbitraires et anticommunistes de Healy…» à se joindre à «la discussion la plus ouverte et la plus vaste» englobant «tous les aspects de l'histoire du mouvement, depuis la mort de Trotsky jusqu’à nos jours».

Le deuxième élément majeur de l'attaque du WRP contre le CIQI a été développé dans une lettre du 26 novembre de Slaughter à North, insistant pour dire que le CIQI tout entier avait subi un processus de «dégénérescence égale» et répudiant sur cette base toute son histoire et son autorité politique actuelle.

En réponse, une lettre du Comité politique de la Workers League a été envoyée le 11 décembre au CC du WRP. Il s’agit du récit contemporain le plus complet des questions politiques qui ont donné lieu à la scission ainsi que de la nature et de l’étendue de la politique liquidatrice et de l’anti-trotskisme du WRP.

Elle contenait l’avertissement crucial suivant définissant clairement les questions centrales soulevées par la dégénérescence nationaliste du WRP :

Le grand danger auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est que l’anti-internationalisme soit encouragé par les dirigeants. L’autonomie nationale du Workers Revolutionary Party s’oppose à l’autorité du Comité international en tant qu’organe dirigeant du Parti mondial de la révolution socialiste. C'est le vrai sens de l'affirmation du camarade Slaughter dans sa lettre à North que «l'internationalisme consiste précisément à établir [...] des lignes de classe et à lutter pour les appliquer jusqu’au bout». Mais par quel processus ces « lignes de classes» sont-elles déterminées? Cela nécessite-t-il l’existence de la Quatrième Internationale ?...

Comparez la définition de l'internationalisme du camarade Slaughter («établir des lignes de classe et les appliquer jusqu’au bout») avec celle de Trotsky: «L'internationalisme n'est pas un principe abstrait mais une réflexion théorique et politique du caractère de l'économie mondiale, du développement mondial des forces productives et de l’échelle mondiale de la lutte des classes.» (Permanent Revolution, New Park, p. 9) C'est là que réside le fondement de l'internationalisme prolétarien et la nécessité de son expression organisée dans le Parti mondial de la révolution socialiste. Aucune organisation nationale, même si elle proclame haut et fort son allégeance au marxisme, ne peut développer et maintenir une perspective révolutionnaire sans un contact et une collaboration constante avec des camarades internationaux ayant les mêmes idées.… Ceux qui dénoncent la subordination des sections nationales au mouvement international sur laquelle insistent ces statuts ignorent le prix à payer pour «l’indépendance», qui est la subordination aux pressions de la bourgeoisie nationale et de l’impérialisme mondial. [15]

Slaughter avait qualifié le discours de North lors de la première session de la conférence spéciale du WRP du 26 octobre de «partial et trompeur». Il donnait «l’image d’un WRP et d’une direction du WRP corrompus à tel point par Healy que personne au sein du WRP ne pouvait ni ne voulait critiquer les écrits et les pratiques anti-marxistes de Healy, tandis que D. North, avait d’autre part, depuis 1982, pris l’offensive ou des positions correctes contre Healy ».

La Workers League répondit:

… les critiques formulées par North lors du Congrès spécial n’étaient en aucun cas dirigées contre les cadres du WRP en général. Lorsque [North] parlait d’une clique sans principes au sein du Comité politique, il faisait uniquement référence à ceux qui subordonnaient les questions de principes trotskistes aux besoins pragmatiques du travail pratique au sein de la section britannique. Le camarade Slaughter était un élément important de la direction de cette clique. [16]

La lettre défend en détail la Workers League et son histoire. Elle explique comment sa fondation et sa pratique ultérieure étaient fondées dans la lutte contre le pablisme et contre l'abandon de l'internationalisme prolétarien par le Socialist Workers Party, et comment cette lutte a été poursuivie et approfondie par une tendance résolument orientée vers la classe ouvrière. Les points essentiels ci-dessous sont évoqués:

Le travail théorique n'est pas l'activité de l'individu isolé contemplant l'univers. Il est indissociable de la pratique révolutionnaire. La force motrice du «travail positif et théorique» réalisé par Dave North et la Workers League a été la lutte contre le révisionnisme, dont Slaughter ne dit rien, une lutte qui a été menée à la fois contre le Socialist Workers Party et contre le révisionnisme au sein du CI et du WRP…

De plus:

Les luttes de la Workers League au sein de la classe ouvrière américaine ont été menées simultanément à un degré de travail international sans précédent. L’enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale, qui a culminé avec l’affaire Gelfand, a produit une richesse de connaissances historiques pour le mouvement trotskiste mondial et la classe ouvrière internationale sur les conspirations communes du stalinisme et de l’impérialisme contre le mouvement révolutionnaire.

Elle ajoutait:

Ce qui s’est passé au Friends Hall n’était pas une réunion; c'était une perspective. Ce qui a été révélé lors de ce meeting est une évolution vers ce que le SWP appelait autrefois le « regroupement», c’est-à-dire l’abandon du trotskisme au profit d’alliances sans principes avec des radicaux, des révisionnistes et des staliniens de toutes sortes.

… Dans la situation actuelle, le ressentiment de la direction du WRP à l'égard des efforts du Comité international pour établir une collaboration internationale sur la base du centralisme démocratique exprime le désir de se libérer des contraintes politiques imposées à la section britannique par son adhésion au Parti mondial de la révolution socialiste ». [17]

Le CIQI suspend le WRP : le 16 décembre 1985

Les 16 et 17 décembre, le Comité international se réunit pour entendre un rapport intermédiaire préparé par la Commission de contrôle établie lors de sa réunion du 25 octobre. Ce rapport présentait des preuves détaillées de ce que le WRP sous Healy avait établi des relations politiquement corrompues avec les régimes bourgeois du Moyen-Orient, avait cyniquement utilisé l’OLP pour monter des plans de collecte d’argent; et que ses dirigeants avaient systématiquement menti aux sections du CI et à la classe ouvrière britannique. Sur la base de ce rapport intermédiaire, le CIQI a déclaré :

Le CIQI ne cherche pas à blâmer un dirigeant en particulier, mais tient l’ensemble de la direction pour responsable.

Afin de défendre ses principes et son intégrité, le CIQI suspend donc le WRP en tant que section britannique jusqu'à la convocation d'un congrès extraordinaire du CIQI au plus tard le 1er mars, à la suite du 8e congrès du WRP.

Ce congrès extraordinaire du CIQI, après avoir entendu le rapport complet de la Commission de contrôle sur tous les faits concernant ces relations sans principes, déterminera quelle sera la relation entre le CIQI et le WRP. [18]

Les délégués britanniques au CI, menés par Slaughter, votèrent contre la résolution. Cela confirma que le véritable contenu de la dégénérescence du WRP était le rejet du trotskisme par l’ensemble de la direction du WRP.

Une déclaration du CIQI du 17 décembre détailla ce qui devait être fait pour rétablir l'adhésion de la section britannique, l'appelant à réaffirmer son accord avec les fondements programmatiques du trotskisme, «incarné dans le Comité international en tant que seule direction historiquement établie du Parti mondial de la révolution socialiste fondé par Léon Trotsky en 1938 ».

Le CIQI s’est engagé à «rééduquer et réarmer tous les cadres du mouvement mondial sur les principes et le programme du trotskisme ». La déclaration dit :

Nous réaffirmons notre haine implacable du stalinisme, dont notre mouvement est séparé par un bain de sang. Aux côtés des bureaucraties sociales-démocrates, le stalinisme est la principale agence de l'impérialisme au sein du mouvement ouvrier international, «contre-révolutionnaire de bout en bout».

Nous défendons la révolution politique contre les bureaucraties staliniennes dégénérées et déformées en tant que partie intégrante de la Révolution socialiste mondiale…

Tout en défendant les masses semi-coloniales contre les assauts de l’impérialisme, nous défendons à tout moment la mobilisation révolutionnaire indépendante du prolétariat, basée sur la stratégie de la Révolution permanente, à travers la construction de nouvelles sections du CIQI…

Le CIQI et le WRP réaffirment la justesse historique de la lutte contre le révisionnisme pabliste sur laquelle repose la continuité de la Quatrième Internationale, préservée et incarnée dans le Comité international. Comme l’a déclaré le Comité national de la Socialist Labour League en 1961, le révisionnisme pabliste ne représente pas et ne peut pas être considéré «comme une tendance au sein du trotskisme». [19]

Les résolutions sur la suspension du WRP furent approuvées par des déclarations de la Workers League, du Bund Sozialistischer Arbeiter, de la Socialist Workers League d'Australie et des Jeunes socialistes de Grande-Bretagne.

Congrès annuel des Young Socialists britanniques en 1977

Le groupe Slaughter-Banda traita cela comme une déclaration de fait pour une scission. Il ne pouvait tolérer une situation où il y aurait des semaines de discussion sur la résolution du CI avant le congrès du parti et il fit en sorte de rendre cela impossible. Slaughter savait que sinon il perdrait la direction du WRP au profit de ce qui était alors une position clairement majoritaire parmi les membres – et le contrôle des actifs substantiels du WRP.

Slaughter rassembla autour de lui un groupe d'autres universitaires – Tom Kemp, Cyril Smith et Geoff Pilling – surnommés «les quatre professeurs». Ils commencèrent à préparer les membres de la classe moyenne du parti à une scission. Cela incluait également les permanents désorientés de l'imprimerie de Runcorn dirigée par Tony, le frère de Mike Banda, qui devait décrire le trotskisme comme «une corde pourrie», et les travailleurs qui avaient obtenu des postes au sein de l'appareil syndical, comme Dave Temple, qui voulait la fin du «sectarisme» et davantage de «construction d'alliances» opportunistes telles qu’observées durant la grève des mineurs.

A ce stade Mike Banda avait déjà déserté son poste à la tête du WRP pour retourner au Sri Lanka. Il écrivit là ses «27 raisons pour lesquelles le Comité international devrait être enterré». Banda révéla qu’il n’était pas trotskiste depuis au moins une décennie et regretta les années pendant lesquelles il avait retardé sa rupture d’avec le Comité international. Il dénonça toute l’histoire de la Quatrième Internationale comme «une série ininterrompue de scissions, de trahisons, de traîtrise, de stagnation et de confusion», déclarant: «Il faut affirmer avec force, voire catégoriquement, que la Q.I. a été proclamée mais jamais construite.» Il attaqua le Comité international, dont il a été membre pendant 32 ans, le qualifiant «d’illusion grandiose, de manœuvre méprisable et de mascarade dégoûtante».

Banda a également renoué des contacts personnels avec des membres du LSSP anti-trotskiste – discussions qui lui ont valu d’être invité à le rejoindre.

L'appel de Slaughter était basé sur un mélange toxique de préjugés nationalistes contre «l'ingérence étrangère», de caresses des egos collectifs loués pour avoir monté une croisade héroïque en faveur de la «moralité révolutionnaire» et d’offre d’une perspective d'accueil dans le marais de la «gauche», de ne plus être traités comme des parias par les adversaires pseudo-de gauche et staliniens du WRP – mettant fin à «l'isolement» et à la dure lutte politique pour adopter un style de vie confortable et moins exigeant. Cela incluait la possibilité de poursuivre leurs diverses carrières, dans des conditions où leurs contemporains étaient occupés à gagner de l'argent au plus fort de l'ère Thatchérienne etYuppie.

La Sécurité et la Quatrième Internationale, comme cela a déjà été détaillé, était une cible clé de cette campagne. Les déclarations produites en réponse, telles que «Pour la défense de la Sécurité et la Quatrième Internationale» du camarade North, le 2 février, et, après la scission, «Les arguments contre le SWP – Ce que montrent les faits» sont des lectures essentielles. Au-delà des considérations factionnelles immédiates, le but de cette attaque était 1. de faciliter un rapprochement politique avec les alliés pablistes du Socialist Workers Party (États-Unis) et 2. d'œuvrer à la réhabilitation politique du stalinisme dans le but de justifier une collaboration avec les agents de la bureaucratie soviétique.

«Dossier d'un agent double: les mensonges de Joseph Hansen», dans le cadre de l'enquête Sécurité et la Quatrième Internationale

Pour contrecarrer son soutien minoritaire au sein du parti et déplacer l’axe politique du WRP, Slaughter déclara également que le WRP était si dégénéré que ceux qui avaient quitté l’activité politique étaient «plus sains» que ceux qui étaient restés et que leur retour était le bienvenu. Des visages qu’on n’avait pas vus depuis des décennies, comme Kemp, sont réapparus ou ont été catapultés sur le devant de la scène nationale, accompagnés de l’apparition d’individus aux références politiques inconnues et douteuses.

Dans Le CIQI défend le trotskisme est reproduit un article de Workers Press du 7 février 1986, «Pour un débat public sur le CI de Healy», par Dave Good. C’était un partisan de Banda dont personne n'avait jamais entendu parler auparavant et qui a agi comme chien d'attaque de Slaughter contre le CI et ses partisans. Comme plusieurs membres du petit groupe de 13 partisans de Banda, il a ensuite rejoint le Parti communiste.

L’article «27 Raisons» était arrivé en Grande-Bretagne à la mi-janvier, mais il n'a pas été présenté aux membres du WRP ou du CI. Il fut au lieu de cela, publié dans Workers Press, édité par Good, à la veille du 8e Congrès du WRP.

Le document de Banda servit de base politique à deux résolutions adoptées par la majorité du Comité central du WRP, le 26 janvier 1986, annulant la résolution du Congrès extraordinaire du 27 octobre qui exigeait le réenregistrement des membres du WRP sur la base d'une reconnaissance explicite de l'autorité du CIQI. Le contenu politique et pratique de ces résolutions était de déclarer une scission d’avec le Comité international.

La résolution 1 déclarait :

Que le CI, sous la direction de Healy et du WRP, a subi une dégénérescence politique, théorique, morale et organisationnelle…

Que le CI n’est ni le Parti mondial, ni même le noyau du Parti mondial…

Que les perspectives, la théorie et l’organisation du trotskisme ne peuvent être élaborées que dans une lutte acharnée contre tous les aspects du healyisme … [et]

que le CI ne peut pas revendiquer l’autorité politique en tant que leadership international. Les sections ne peuvent pas non plus être subordonnées à une discipline internationale déterminée par le CI. [20]

La résolution 2 déclarait :

Nous retirons par conséquent le formulaire d'inscription du 11-8-85 émis au nom du secrétaire général. [21]

Ces résolutions se sont heurtées à l'opposition de la minorité du Comité central dirigée par Dave Hyland. Le 27 janvier, le comité central de la Workers League a envoyé «Une lettre à toutes les sections du Comité international de la Quatrième Internationale et aux membres du Workers Revolutionary Party». Celle-ci déclarait:

Les deux résolutions adoptées le 26 janvier 1986 par le comité central du Workers Revolutionary Party sont une déclaration de scission d’avec le Comité international de la Quatrième Internationale et un renoncement ouvert à l'histoire et aux principes du mouvement trotskiste. Les douze membres du Comité central qui ont voté cette résolution, ainsi que Michael Banda qui a déserté de son poste en pleine crise dans sa propre organisation, sont des renégats du marxisme qui ont capitulé devant les pressions de l'impérialisme britannique et se mettent au service de l’ennemi de classe…

Les résolutions répudient explicitement toute l’histoire de la lutte pour le marxisme depuis 1940 – déclarant en fait que grâce à l’assassinat de Trotsky, la bureaucratie stalinienne a remporté sa victoire politique sur la Quatrième Internationale.[22]

La Workers League a appelé les membres du WRP à rejeter les actions scissionnistes de Slaughter et Banda et a mis en garde les sections du CI contre leurs tentatives de sabotage politique – en Australie par l’intermédiaire d’une faction dirigée par Phil Sandford et Robert Buehler. Elle conclut ainsi:

Contrairement à Banda, Slaughter et Healy, les sections du CIQI ne tourneront pas le dos aux luttes passées pour le trotskisme dans lesquelles ces anciens dirigeants ont joué un rôle remarquable. Nous n’oublierons jamais les leçons qu’ils nous ont enseignées et auxquelles ils croyaient autrefois. Mais laissons les morts ensevelir leurs morts. La trahison des renégats du WRP n’a pas détruit le CIQI. Sans eux et contre eux, la lutte pour le trotskisme, pour le développement et l’expansion du Comité international de la Quatrième Internationale en tant que parti mondial de la révolution socialiste, continue. [23]

Le 8 février, les partisans de Banda et Slaughter se réunirent pour officialiser leur rupture d’avec le CIQI. Leur 8ème Congrès fut une fraude politique honteuse. Les délégués dûment élus et favorables au CI s’en sont vu interdire l’entrée alors que des représentants «invités» d’autres tendances étaient présents. Les portes à l'extérieur de la salle de conférence furent verrouillées et 25 policiers montèrent la garde à l'extérieur. Slaughter est entré dans le bâtiment sous escorte policière.

Des informations émanant du WRP suite à la scission confirment pourquoi cette action méprisable était nécessaire, et que le nombre des membres du WRP n’était alors plus que de 70.

Les partisans de Slaughter ont adopté une résolution déclarant que «le Comité international de la Quatrième Internationale ne représente pas la continuité de la Quatrième Internationale fondée par Léon Trotsky en 1938» et saluant «la lutte de principe du Workers Revolutionary Party contre le healyisme».

Elle appelait à un regroupement de «tous ceux qui, dans les sections du Comité international, luttent pour vaincre le healyisme» et à un débat public préparatoire à «une pré-conférence internationale de tous ceux qui défendent la Révolution permanente, le Programme de transition, les quatre premiers Congrès de l’Internationale Communiste, avant la fin de 1986 ».

Les délégués exclus, élus conformément à la décision du congrès extraordinaire du WRP des 26 et 27 octobre, se sont réunis à un autre endroit où ils ont convoqué le 8e congrès légitime du WRP (internationaliste). Le congrès a adopté une résolution déclarant :

Ce congrès dûment constitué, basé sur les décisions du congrès extraordinaire des 26 et 27 octobre 1985, déclare que les résolutions des renégats représentent une rupture d’avec tous les acquis historiques et toutes les conquêtes théoriques du trotskisme incarnés par le CIQI et une tentative de liquider les cadres trotskistes. [24]

Défense de La sécurité et la Quatrième Internationale

Il a tenu particulièrement à affirmer que «la lutte menée depuis plus de dix ans sur La sécurité et la Quatrième Internationale et poursuivie par la Workers League avec l’affaire Gelfand représente un acquis historique dans la lutte contre le stalinisme, le révisionnisme et pour la formation des cadres contre les attaques de l’État. [25]

La lutte contre les renégats du WRP s'est poursuivie au niveau international, conduisant à la scission de la faction Sandford/Buehler d’avec la Socialist Labour Leage (SLL) en Australie à la suite d'un congrès du parti les 4 et 5 mars. La SLL écrivit: «En répondant à cet appel au regroupement, les renégats Sandford-Buehler ne rompent pas avec le «healyisme» mais avec la lutte de principe menée par le CIQI contre le révisionnisme pabliste» et «se regroupent avec ceux qui attaquent ses principes».

Le 2 juin, le CIQI publia une déclaration sur le reniement de la Liga Comunista (LC) péruvienne. Elle disait que la LC avançait ouvertement une opposition nationaliste néo-stalinienne, pro-maoïste et petite-bourgeoise au trotskisme, rejetant entièrement les fondements théoriques, politiques et programmatiques du mouvement trotskiste, y compris «la théorie de la Révolution permanente, la stratégie de la révolution mondiale et la dictature du prolétariat», et avait cédé «la direction de la lutte contre l’impérialisme à la bourgeoisie nationale corrompue et vénale du Pérou et de toute l’Amérique latine».

C'est sur cette base que la LC a elle-même appelé à un débat public avec tous les «trotskistes péruviens et latino-américains» y compris avec des révisionnistes comme Hugo Blanco, Ricardo Napuri, Nahuel Moreno et les partisans de Posadas, et pour un regroupement basé sur une «rupture de manière irréversible avec toute une période du mouvement trotskiste» et «l’orientation vers une pratique révolutionnaire, comme l’ont indiqué Marx, Engels, Lénine, Trotsky, les quatre premiers congrès de la IIIe Internationale, ainsi que les expériences révolutionnaire ultérieures de la Chine, du Vietnam et d’autres pays d’Amérique latine ». [26]

L'histoire entière du mouvement trotskiste fut éliminée d'un trait de plume, l'«expérience révolutionnaire» qui a suivi la mort de Lénine étant attribuée au stalinisme, au maoïsme, au castrisme et à d'autres formes de nationalisme bourgeois.

Avant d’aborder les conséquences de la scission et de résumer sa signification politique durable, une autre leçon essentielle doit être tirée de l’intervention du Comité international en 1985.

Les luttes intestines au sein du WRP ont été intenses et portaient sur une question hautement émotive et explosive. L’atmosphère d’accusations et de contre-accusations était empoisonnée et les exigences d’un bilan organisationnel étaient écrasantes au sein de la direction et des cadres du parti. Le Comité central avait perdu toute autorité politique et le centralisme démocratique était lettre morte.

Dans le cadre de cette crise, le CIQI a refusé d’accepter le récit politique avancé par quelque faction que ce soit, fondant son intervention sur des questions fondamentales de programme et de perspective. Il a insisté sur la reprise des règles de conduite du centralisme démocratique, non seulement dans la section mais encore et surtout dans l’internationale.

La victoire historique de 1986 et l’attention extraordinaire portée au développement de perspectives internationales dans un mouvement mondial qui se conduit de la façon la plus ouverte et collaborative, ont permis au CIQI d’atteindre et de maintenir un degré extraordinaire d’harmonie et d’homogénéité politique. En conséquence, il n’y eut jamais une telle éruption de conflits entre factions par la suite, et encore moins le développement d’antagonismes excessivement subjectifs.

Cependant, au cours de la période politique explosive où nous sommes entrés, sur fond d’augmentation du nombre des membres dans toutes les sections et d'attraction internationale de forces nouvelles et inexpérimentées, en dehors de notre tradition politique, il serait politiquement naïf de supposer que de tels conflits n’apparaîtront jamais. L'éducation de nos membres et de nos dirigeants à la manière dont ils doivent être traités commence par l'assimilation des leçons de la lutte de 1985: se concentrer à tout moment sur les questions programmatiques fondamentales et, même au milieu des conflits les plus intenses, maintenir la discipline et l'autorité politique du parti mondial de la révolution socialiste.

Dans les Fondements historiques et internationaux du Parti de l'égalité socialiste (États-Unis), «Un commentaire supplémentaire sur la cause et l'importance de la scission au sein du CIQI» explique:

Comme en 1953, la scission qui s'est produite dans le Comité international entre 1982 et 1986 présageait d'énormes changements qui allaient faire voler en éclat, dans la seconde moitié des années 1980, la structure de la politique mondiale telle qu'elle avait existé au cours des quatre décennies ayant suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale…

La crise du WRP faisait partie d’un processus plus large qui déferlait sur tous les partis de masse et organisations syndicales historiquement basés sur la classe ouvrière. Quelles que soient leurs différences dans la structure organisationnelle et dans leurs allégeances politiques, les organisations staliniennes, sociales-démocrates et réformistes étaient toutes fondées sur un programme nationaliste. [27]

Les développements fondamentaux de la technologie associée à la puce électronique ont abouti à la mondialisation de la production capitaliste. Cela a rendu obsolètes les perspectives national-réformistes de l’après-Seconde Guerre mondiale. Les changements fondamentaux dans l’économie mondiale et leur impact sur la lutte des classes internationale furent reflétés dans le Comité international et conduisirent, en dernière analyse, à la scission.

L’effondrement des bureaucraties staliniennes, basées sur une politique d’autarcie nationale, était l’expression la plus flagrante d’une crise plus large qui s’est abattue sur toutes les organisations d’orientation nationale dans le mouvement ouvrier bureaucratisé, des staliniens aux réformistes en passant par la bureaucratie anticommuniste de l'AFL-CIO aux États-Unis.

C’est dans l’orientation des différents fragments du WRP vers ces bureaucraties nationalistes, surtout vers le stalinisme, que leur dégénérescence continue a trouvé sa pleine expression, aboutissant pour la plupart d’entre eux à l’extinction politique.

Gerry Healy devint convaincu que Mikhaïl Gorbatchev menait une révolution politique en Union soviétique. Il s’est séparé de Sheila Torrance sur cette base pour former le Parti marxiste en 1987, avec Vanessa et Corin Redgrave.

Healy a ensuite écrit trois articles décrivant la révolution politique comme «un processus de contradiction», dont l’article «Les sceptiques et la révolution politique», publié en novembre 1989, peu avant sa mort le 14 décembre.

Il a dénoncé en septembre 1988 les «dogmatiques» qui «présentent les enseignements de Marx, Engels, Lénine et Trotsky à travers des références abstraites qui se transforment aussitôt en dogmes sans vie», et les «sceptiques» pour qui «Gorbatchev est un autre Staline, se préparant à introduire le capitalisme aussi vite que possible en URSS.»

Healy et Redgrave ont déclaré qu’ils partageaient la même pensée que la Memorial Union, une organisation d’une faction de la bureaucratie soutenant explicitement la restauration du capitalisme. Il a effectué quatre voyages en URSS. Healy écrivit en novembre 1988 :

La perestroïka et la lutte pour Glasnost (démocratisation) sont les formes toujours changeantes qui contiennent le contenu historique de la lutte du Comité international de la Quatrième Internationale pour la révolution politique. [28]

Ce serait une erreur de terminer sur une note aussi triste en parlant d’un homme qui a joué un rôle aussi exceptionnel dans notre mouvement pendant tant d'années et dans des conditions aussi difficiles. Il faut au contraire rappeler l’hommage très émouvant de David North en conclusion de sa nécrologie, Gerry Healy and His Place in the History of the Fourth International :

Pendant une période longue et difficile, Gerry Healy fut un maillon humain crucial dans la continuité historique de la Quatrième Internationale. Pendant des décennies, il s’est battu contre le stalinisme et l’opportunisme. Finalement, il a cédé sous la pression de cette formidable lutte. Mais le meilleur de ce qu’il a accompli au cours de sa longue carrière politique perdure au sein du Comité international de la Quatrième Internationale; et le mouvement ouvrier révolutionnaire international renaissant, tirant les leçons à la fois de ses réussites et de ses échecs, ne manquera pas de rendre un hommage approprié à sa mémoire. [29]

Corin et Vanessa Redgrave ont dissous le Parti marxiste en 2004, fondant une organisation calquée sur la proposition beaucoup plus ancienne d'un ‘Parti des droits fondamentaux’, le désormais disparu «Paix et Liberté».

Savas Michael-Matsas et son Parti révolutionnaire des travailleurs (EEK) proclamèrent en 2018, en collaboration avec le Partido Obrero (PO) en Argentine et le Parti révolutionnaire des travailleurs (DIP) en Turquie, une mission visant à «refonder» la Quatrième Internationale à travers un regroupement qui comprenait le Parti communiste unifié de Russie (OKP), farouchement pro-stalinien. Il a poursuivi cette orientation jusqu’à présent.

Le Workers Revolutionary Party de Sheila Torrance, figé dans un aspic politique, publie toujours le News Line comme un quotidien, avec pratiquement aucun membre mais avec un bailleur de fonds non divulgué. Le WRP fait de la propagande en faveur des régimes et des partis nationalistes bourgeois du Moyen-Orient et insiste toujours sur l’existence d’États ouvriers dégénérés ou déformés en Russie et en Chine.

Le sort de la faction Slaughter/Banda n’est pas moins sordide. Moins d’un an après avoir écrit ses «27 raisons», Banda écrivait: «Qu’est-ce que le trotskisme? Ou Le vrai Trotsky daignera-t-il se lever? L’héritage que nous défendons décrit cela comme «une dénonciation frénétique du trotskisme, un hommage tardif à Joseph Staline et une déclaration d’allégeance politique à la bureaucratie du Kremlin ». Ceci est présenté de façon très détaillée dans les trois derniers chapitres du livre, sous le titre général « M. Banda adhère au stalinisme ». La carrière politique de Banda jusqu'à sa mort en 2014 a été celle d'un larbin du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dirigé par Abdullah Öcalan.

En septembre 1986, s'orientant vers une stratégie de regroupement, Cyril Smith écrivait dans le Workers Press de Slaughter que «le terme ‘révisionniste’, autrefois un terme ayant une signification scientifique pour les marxistes, est désormais devenu simplement un terme injurieux. Nous devrions cesser d'utiliser l'appellation ‘pabliste’ pour parler des organisations associées au Secrétariat Unifié. Car cela ne peut que brouiller le débat».

Le tournant de Slaughter vers les pablistes et les staliniens a conduit en 1987 à une tentative ratée de former une soi-disant «internationale» avec les morénistes argentins, qui avaient collaboré avec les staliniens pendant des décennies. Ceci est détaillé dans la déclaration du CIQI de mars 1987, «Non au stalinisme et au Front populaire! Construisons la Quatrième Internationale!, écrit conjointement par les camarades North et Keerthi Balasuriya.

Larry Porter, David North et Keerthi Balasuriya

La déclaration a mis à profit toutes les expériences accumulées durant la scission, elle explique:

Le Comité international a averti à maintes reprises que la trajectoire politique du Workers Revolutionary Party le ferait inévitablement tomber dans le camp de l’ennemi de classe. De plus, nous avons averti que Slaughter travaillait avec une perspective politique dont il avait refusé de discuter avec le CIQI avant la scission et qu'il a gardée cachée aux membres mêmes du WRP. Sans avoir jamais dévoilé ses plans à long terme, il a maintenant amené le Parti révolutionnaire des travailleurs à deux doigts d'une unification avec un parti politique dont les dirigeants travaillent à l'intérieur d'un front populaire avec les staliniens argentins.

Du point de vue de l’histoire du Workers Revolutionary Party, sa dissolution dans le marais centriste du morénisme signifiera une rupture irrévocable d’avec le trotskisme et la transformation rapide de cette organisation en une agence de l’impérialisme. [30]

La signification objective d’une telle trahison du marxisme pour le mouvement ouvrier a été expliquée il y a de nombreuses années par nul autre que Cliff Slaughter :

Alors que l’impérialisme (et non le «néocapitalisme»!) entre rapidement dans la pire crise économique et politique de son histoire, il doit désespérément aspirer ces éléments de la classe moyenne vers une force politique centriste pour faire face à cette phase de la crise où de nouvelles masses sont jetées dans la lutte politique.

De telles forces centristes ne peuvent être aspirées à partir de rien. Mandel élabore le genre de politique adaptée à la situation. Bien entendu, l’impérialisme n’utilise les centristes de cette manière que comme un petit pas sur la voie d’une éventuelle répression fasciste et dictatoriale.» (Quatrième Internationale, été 1972, p. 215, souligné dans l'original) [31]

Ceci n’est qu’un des nombreux documents publiés par le CIQI, traitant directement de la scission de 1985-1986 et approfondissant la lutte contre le WRP, qui sont fondamentaux pour l’éducation politique de nos cadres. Beaucoup sont rassemblés dans le magazine Quatrième Internationale, centrés sur les plénums post-scission du CIQI: La lutte tamoule et la trahison de Healy, Banda et Slaughter, par Keerthi Balasuriya; Michael Banda: Stalinien, par David North; G. Healy: Ennemi de la révolution permanente, par Bill Van Auken; Le WRP grec tente une fraude politique, du Comité politique de la Workers League; Healy renonce à la révolution permanente, de Keith Jones; Une lettre ouverte de la Ligue communiste révolutionnaire au Workers Revolutionary Party, de Keerthi Balasuriya, et de nombreux autres qui doivent être étudiés, ainsi que l'ouvrage le plus essentiel qui a informé tous les aspects de cette école, L'Héritage que nous défendons.

Chris Marsden, Bill Van Auken, Dave Hyland, Keerthi Balasuriya et Nick Beams en 1986

À la fin de 1990, Slaughter avait également explicitement rejeté le trotskisme, écrivant: «Les marxistes, ayant lutté pendant de nombreuses années, parfois toute leur vie politique, pour réfuter en paroles et en actes le mensonge selon lequel Staline et les staliniens étaient les héritiers de Lénine et du bolchevisme, se retrouvent dans une situation où cette question ne semble pas pertinente. »

Il a soutenu avec enthousiasme l’intervention impérialiste des États-Unis et de l’OTAN en Bosnie et a ensuite joué le rôle de meneur de claque pour l’Armée de libération du Kosovo. Il a rejeté la conception léniniste-trotskiste du parti révolutionnaire et du marxisme en 1996, déclarant: «L’idée de fournir un parti et un programme ‘pour’ la classe ouvrière doit être complètement rejetée.»

Après la scission: la renaissance du trotskisme au sein du CIQI

Pour le CIQI, la scission a constitué un tournant qui a rendu possible une renaissance mondiale du marxisme. Comme le déclare Les Fondements historiques et internationaux du SEP (États-Unis) :

L’opposition de la Workers League à l’opportunisme national du WRP était aligné théoriquement sur des processus sociaux et économiques qui étaient déjà à un stade avancé de développement et étaient sur le point de faire éclater les structures et les relations existantes de la politique mondiale…

Le développement ultérieur du CIQI fut la réponse consciente de l’avant-garde marxiste à la nouvelle situation économique et politique. La réorientation du mouvement fut fondée sur une lutte systématique contre toutes les formes de nationalisme, une réorientation qui fut inextricablement liée au développement d’une perspective internationale. [32]

Du 21 au 27 juillet 2019, le SEP américain a organisé une université d'été internationale sur les origines historiques et les conséquences politiques de la scission du CIQI d’avec le WRP. Celle-ci était centrée sur une série de conférences sur l'histoire du CIQI de 1982 à 1995, menant à la décision de transformer les ligues du CIQI en Partis de l'égalité socialiste.

Ce fut un examen intensif détaillant le développement de l'analyse du CIQI concernant l'impact de la mondialisation, qui a considérablement modifié notre position sur des questions historiques fondamentales. Cela comprenait :

  • Comment le capitalisme a été restauré en Union soviétique par la bureaucratie stalinienne
  • La relation entre cela et la transformation corporatiste des anciennes bureaucraties syndicales
  • Une réévaluation de la défense du droit des nations à l'autodétermination à la lumière de l'émergence de nombreux mouvements séparatistes bourgeois et petits-bourgeois, souvent fondés sur l'exclusivité ethnique et recherchant l'éclatement des États existants pour s'assurer un accès direct au commerce mondial et le droit d’exploiter la classe ouvrière.
  • Le phénomène politique de la renonciation et notre évaluation des tendances de la pseudo-gauche
  • Surtout, la façon dont la mondialisation exacerbait les contradictions fondamentales au sein de l’impérialisme mondial – entre l’économie mondiale et sa division en États-nations antagonistes et entre la production socialisée et le contrôle privé des moyens de production. Comment cela poussait les puissances impérialistes, dirigées par les États-Unis, vers un nouveau partage du monde par la guerre commerciale et militaire, tout en poussant objectivement la classe ouvrière vers la révolution sociale.

La conférence d'ouverture de David North, «Les origines politiques et les conséquences de la scission de 1982 à 1986 au sein du Comité international de la Quatrième Internationale», a identifié quatre étapes distinctes dans l'histoire du mouvement trotskiste jusqu'en 2019.

Les deux premières étapes comprenaient les 15 années allant de la formation de l’Opposition de gauche en octobre 1923 au congrès fondateur de la Quatrième Internationale en septembre 1938; puis du congrès fondateur de septembre 1938 à la scission d’avec les pablistes et à la formation du CIQI en novembre 1953.

La troisième étape a été le sujet essentiel de cette école: de la publication de la lettre ouverte de Cannon à la suspension du WRP en décembre 1985 et à la rupture définitive de toutes relations avec les opportunistes nationaux britanniques en février 1986.

À partir de cette présentation, je veux attirer l'attention des camarades sur une explication essentielle de la relation entre le développement objectif de la lutte des classes et la révolution socialiste mondiale. Ceci est conçu comme un processus évolutif plutôt que comme un simple point final. North a souligné, et c’est là la dernière leçon, fondamentale et vitale, à tirer de la scission :

L’opposition de la Workers League n’est pas sortie automatiquement de la crise en cours du stalinisme, de la social-démocratie, et du nationalisme bourgeois ou de la restructuration mondiale du capitalisme international. Ceci a certainement créé un nouveau rapport de forces sociales et un environnement plus favorable pour les trotskistes orthodoxes et contribué ainsi à leur victoire contre les opportunistes et les renégats anti-trotskistes.

Mais la défaite du WRP et l’éjection des opportunistes du Comité international n’étaient pas un processus automatique ou une victoire gagnée d’avance. C’était une lutte menée consciemment et délibérément. [33]

Cette compréhension de la signification objective de la pratique révolutionnaire est l’essence de la théorie léniniste-trotskiste du parti sur laquelle se fonde le CIQI. Nous avons insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’il est impossible de comprendre, de faire une analyse correcte et de saisir le potentiel révolutionnaire d’une situation donnée si on exclut le rôle actif du parti révolutionnaire.

La quatrième étape, qui a commencé en 1986, et comme North l’a dit, s’est terminée en 2019, couvre une période de 33 ans après la scission, qui a vu un Comité international considérablement renforcé faire des avancées politiques extraordinaires. Celles-ci n’ont été possibles que grâce à la victoire historique sur la direction du WRP. Elles consistaient dans la reconstruction du parti mondial sur une base internationaliste, l’élaboration de la stratégie internationale du CIQI, la défense de l’héritage historique de la Quatrième Internationale, la transformation des ligues du Comité international en partis et dans la création du World Socialist Web Site. Ces avancées ont rendu possible une vaste expansion de l’influence politique du Comité international et une augmentation signifiante du nombre des adhérents.

La conférence soulignait:

Dans tout ce travail, le principe fondamental qui a guidé nos efforts était l’internationalisme marxiste. Nous avons insisté sur la primauté de la stratégie mondiale sur les tactiques nationales, et pour dire qu’on ne pouvait donner de réponse appropriée aux problèmes qui émergent dans la sphère nationale qu’à travers une analyse de processus mondiaux. [34]

La rupture d’avec le WRP et le travail politique extraordinaire mené depuis lors constituent le fondement politique essentiel de la cinquième étape actuelle du travail du CIQI. Cela a été défini comme «l’intersection d’une nouvelle poussée révolutionnaire de la classe ouvrière internationale avec l’activité politique du Comité international. La crise mondiale que nous analysons est une crise dans laquelle le Comité international est un participant de plus en plus actif et direct ».

Notre travail est mené dans le contexte d'une crise croissante de l'impérialisme mondial, caractérisée par la descente dans la guerre et la réaction sociale et politique, et par l'éruption initiale d'une nouvelle vague mondiale de lutte de la classe ouvrière ayant des implications objectivement révolutionnaires, lutte que nous devons diriger en donnant une orientation révolutionnaire.

Dans chaque lutte majeure menée par les travailleurs, l’impact du CIQI se fait sentir. La formation d'un réseau de comités de la base a confirmé la décision prise il y a à peine deux ans de former l'Alliance internationale ouvrière des comités de base. Il a, comme nous l'avions prévu, ouvert la voie à la coordination des luttes ouvrières dans différentes usines, industries et pays en opposition à la classe dirigeante et aux syndicats pro-patronat, et a fourni les moyens de briser l'emprise de la bureaucratie syndicale et de mobiliser les travailleurs sur la base d’une perspective révolutionnaire et internationaliste.

Notre lutte pour construire un nouveau mouvement de masse anti-guerre centré sur la jeune génération de la classe ouvrière est une réponse unique à la guerre menée par l’OTAN contre la Russie en Ukraine, aux préparatifs avancés d’un conflit avec la Chine et au danger croissant d’une nouvelle guerre mondiale. Elle se situe au centre de la lutte pour mobiliser la classe ouvrière pour le socialisme et établira le CIQI et l’IYSSE (Jeunes et étudiants internationaux pour l’égalité sociale) comme la direction révolutionnaire de la classe ouvrière partout dans le monde.

Cependant, nous comprenons que la trajectoire politique du Comité international et tout ce que nous avons accompli dépendaient de la lutte politique et théorique menée contre la dégénérescence nationaliste du WRP – son adaptation au nationalisme bourgeois, à l’impérialisme et à ses agences bureaucratiques et à leurs appendices de la pseudo-gauche, et pour la défense du CIQI en tant qu’expression organisée du trotskisme.

Aujourd’hui, aucun progrès organisationnel que nous avons réalisé ne diminue la nécessité d’une lutte idéologique et théorique implacable contre les tendances pseudo de gauche, semi-anarchiste et autres petits-bourgeois qui cherchent à lier la classe ouvrière à l’ordre bourgeois. Ni ne diminue la lutte interne contre les manifestations théoriques ou pratiques des pressions de classe étrangères sur le parti.

Nous développerons une véritable conscience socialiste dans la classe ouvrière, bâtirons notre parti et ferons avancer la révolution socialiste mondiale uniquement à travers la lutte pour le programme et la perspective du trotskisme menée au plus haut niveau. L’assimilation des leçons de 1985 a donc été, est et continuera d’être essentielle pour armer notre parti et ses cadres et leur permettre de relever les défis complexes qui les attendent.

(Article paru en anglais le 12 octobre 2023)

Notes

[1] David North, « Les origines politiques et les conséquences de la scission de 1982-1986 au sein du Comité international de la Quatrième Internationale », La Quatrième Internationale et la perspective de la révolution socialiste mondiale, 1986-1995 (Sheffield : Mehring Books Ltd, 2020 ), p. 15. Disponible: https://www.wsws.org/en/articles/2019/08/03/icfi-a03.html

[2] Ibid , p. 15-16.

[3] « Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskisme, 1973-1985 », Quatrième Internationale Vol.13, n°1, (1986), p. 118, disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/how-the-wrp-betrayed-trotskyism/44.html

[4] Idem.

[5] David North, L'héritage que nous défendons : une contribution à l'histoire de la Quatrième Internationale (Oak Park, MI : Mehring Books, 2018), p. 12.

[6] « Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskisme, 1973-1985 », p. 9. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/how-the-wrp-betrayed-trotskyism/02.html

[7] David North, « Un hommage à Dave Hyland », World Socialist Web Site, 23 janvier 2014, https://www.wsws.org/en/articles/2014/01/23/dave-j23.htm

[8] « Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale sur l'expulsion de G. Healy», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 52. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/11.html

[9] «Résolution du Comité international de la Quatrième Internationale sur la crise de la section britannique», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 50. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/10.html

[10] Idem.

[11] « Lettre du Comité international au Comité central de la Ligue internationaliste ouvrière, section grecque du CIQI », Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 57. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/15.html

[12] Mike Banda, «La moralité et le Parti révolutionnaire», Quatrième Internationale Vol. 13, no. 2 (1986), p. 55. Disponible: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/14.html

[13] David North, «Lettre du comité politique de la Workers League au comité central du Workers Revolutionary Party », Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), pages 59 à 61. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/16.html

[14] Peter Schwarz, « Lettre de Peter Schwarz au Comité central du Workers Revolutionary Party», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 73. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/19.html

[15] « Lettre du Comité politique de la Workers League au Comité central du Workers Revolutionary Party», pp. 77-78. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/21.html

[16] Idem, p. 81.

[17] Ibid., p. 96-100.

[18] «Résolution du Comité international de la Quatrième Internationale sur la suspension du Workers Revolutionary Party», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 101. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/22.html

[19] Idem, p. 102. Disponible: https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/23.html

[20] « Résolution 1 du Comité central du WRP », Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 118. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/30.html

[21] «Résolution 2 du Comité central du WRP», Quatrième Internationale Vol. 13, no. 2 (1986), p. 119. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/31.html

[22] « Lettre à toutes les sections du Comité international de la Quatrième Internationale et aux membres du Workers Revolutionary Party», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 120. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/32.html

[23] Idem, p. 128.

[24] «Résolutions du 8e Congrès du Workers Revolutionary Party (internationaliste)», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 149. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/39.html

[25] Idem.

[26] « La Liga Comunista (Pérou) rompt avec le trotskisme: Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale», Quatrième Internationale Vol. 13, non. 2 (1986), p. 194. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/the-icfi-defends-trotskyism-1982-1986/50.html

[27] Les fondements historiques et internationaux du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis) ont été adoptés lors du congrès fondateur du Parti de l’égalité socialiste en 2008. «Un commentaire supplémentaire sur la cause et l’importance de la scission au sein du CIQI», The Historical et Fondations internationales du Socialist Equality Party (États-Unis) (Oak Park, MI : Mehring Books, 2008), pp. 122-124. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/foundations-us/54.html

[28] Gerry Healy, «La révolution politique en URSS: un processus de contradiction», Marxist Monthly Vol. 1, non. 7 (1988), disponible : http://www.gerryhealy.net/polrevussr.html

[29] David North, Gerry Healy et sa place dans l'histoire de la Quatrième Internationale (Detroit, Michigan: Labor Publications, 1991), p. 117. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/healy/11.html

[30] David North et Keerthi Balasuriya, «Non au stalinisme et au Front populaire! Construisez la Quatrième Internationale!: Déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale sur la « Conférence de réorganisation » du Workers Revolutionary Party», Quatrième Internationale Vol. 14, non. 2 (1987), p. 1. Disponible : https://www.wsws.org/en/special/library/fi-14-2/02.html

[31] Idem.

[32] «Un commentaire supplémentaire sur la cause et l'importance de la scission au sein du CIQI», pp. 125-126.

[33] «Les origines politiques et les conséquences de la scission de 1982 à 1986 au sein du Comité international de la Quatrième Internationale», p. 13.

[34] Ibid., p. 19.

Loading