Macron impose l’«ordre républicain» pour réprimer les troubles en Nouvelle-Calédonie

Le président français Emmanuel Macron a mis fin vendredi à une visite d'urgence de 18 heures en Nouvelle-Calédonie, colonie du Pacifique déchirée par des émeutes, en déclarant que la France ne « ferait pas passer en force » les lois litigieuses visant à élargir les listes électorales du pays, mais n'a pas retiré la nouvelle loi.

Le président français Emmanuel Macron visite le commissariat central de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 27 mai 2024 [AP Photo/Ludovic Marin]

Des émeutes généralisées, essentiellement le fait de jeunes autochtones kanaks, ont dévasté la capitale de l’île, Nouméa, et les districts avoisinants. Les troubles ont éclaté le 13 mai lorsque l’Assemblée nationale française a fait adopter un amendement constitutionnel visant à accorder le droit de vote aux résidents français qui vivent en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans lors des élections locales. Les dirigeants indépendantistes s’opposent à cette mesure qui, selon eux, diluerait le vote des Kanaks, qui représentent plus de 40 pour cent de la population.

S’adressant aux médias après des réunions séparées avec les dirigeants indépendantistes et trois partis pro-français, Macron a souligné qu’il avait «pris un engagement très clair… que cette réforme ne passe pas en force aujourd'hui dans le contexte actuel et que nous nous donnions quelques semaines afin de permettre l'apaisement, la reprise du dialogue en vue d'un accord global.»

Macron a déclaré que si un tel accord était conclu, il ferait partie de la Constitution française et remplacerait l’amendement constitutionnel sur les modifications électorales. Il a nommé une équipe de trois négociateurs pour tenter de mener à bien ce projet.

Un porte-parole de l’«Alliance indépendantiste du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS)» a déclaré à l’Australian Broadcasting Corporation (ABC) que la mesure devrait être officiellement retirée ou suspendue afin de créer un «espace clair» pour les négociations. «Pour nous, il n’est pas possible de tenir des discussions pacifiques alors que nous avons cette date butoir du 1er juillet au-dessus de notre tête pour que le projet de loi soit soumis au Congrès de Versailles», a-t-il déclaré.

Quelle que soit l’issue des discussions, qui se poursuivront sans aucun doute malgré les réticences exprimées, Macron a clairement indiqué que l’indépendance totale de la colonie n’était pas à l’ordre du jour. Il a déclaré aux dirigeants que le troisième référendum d’autodétermination, organisé en décembre 2021, mais boycotté par les partis indépendantistes durant la pandémie de COVID, ne serait pas remis en question. «Je ne reviendrai pas là-dessus», a-t-il insisté. Suite aux référendums organisés en 1998, 2020 et 2021 qui ont produit des majorités favorables à la France, Macron a carrément déclaré que la Nouvelle-Calédonie avait «choisi» de rester française.

Déclarant que le retour au «calme et à la sécurité» était la «priorité absolue», Macron a condamné un «mouvement d’insurrection sans précédent» et prévenu que de «nouvelles opérations massives » seraient programmées. « L’ordre républicain dans son intégralité sera rétabli... Pas à pas, nous reprendrons chaque quartier, chaque barrage, chaque rond-point», a-t-il clamé.

Macron a déclaré que l'état d'urgence de 12 jours ne pourrait être levé que si les dirigeants indépendantistes locaux demandaient «explicitement» le démantèlement de tous les barrages contestataires, disant : « une fois qu'ils seront levés et que cela sera confirmé, l'état d'urgence sera levé».

Les forces de sécurité françaises, dont le nombre s’élève aujourd'hui à environ 3.000 et pourrait encore augmenter, resteront sur place «aussi longtemps qu’il le faudrait», y compris pendant les Jeux olympiques de Paris, a déclaré Macron. Il a fait l’éloge des forces de sécurité et s’est engagé à «aller jusqu'au bout» pour réprimer la «violence».

Les tensions sont loin d’être apaisées. La police a abattu un homme vendredi, le policier affirmant que lui et un collègue avaient été attaqués par un groupe de 15 personnes. La mort de cet homme de 48 ans porte à sept le nombre de personnes tuées, dont trois jeunes Kanaks – deux par des groupes d’autodéfense anti-indépendantistes – et deux gendarmes, au cours des 12 jours de troubles. Plus de 230 personnes ont été arrêtées et 300 blessées.

Les tensions sont loin d’être apaisées. La police a abattu un homme vendredi, le policier affirmant que lui et un collègue avaient été attaqués par un groupe de 15 personnes. La mort de cet homme de 48 ans porte à sept le nombre de personnes tuées, dont trois jeunes Kanaks — deux par des groupes d’autodéfense anti-indépendantistes — et deux gendarmes, au cours des 12 jours de troubles. Plus de 230 personnes ont été arrêtées et 300 blessées.

Christian Tein, chef de la «Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT)», réputée pour avoir organisé les manifestations, a déclaré qu’ils continueraient à faire pression pour obtenir le retrait de la réforme électorale, ainsi que, à terme, l’indépendance du territoire. «Nous restons mobilisés, nous maintenons la résistance dans nos quartiers, de manière structurée et organisée», a-t-il déclaré sur Facebook.

Bien qu’il soit assigné à résidence et considéré comme «l’ennemi public numéro un», Tein a été invité par Macron à participer aux réunions, à la «surprise» des observateurs, selon Radio NZ. Le CTAC a été créé en 2023 par l’Union calédonienne, l’une des composantes de l’alliance du FLNKS. L’invitation et l’acceptation de Tien sont un signe clair que les groupes indépendantistes orientent les travailleurs et les jeunes vers des appels futiles lancés à l’État français.

Le FLNKS représente une couche autochtone à laquelle l’Accord de Nouméa de 1998 a conféré une influence limitée, en établissant un accord de «partage du pouvoir» dans le cadre d’un faux processus de «décolonisation». En quête d’une plus grande part du gâteau économique et d’une plus grande influence politique, ils font partie de l’establishment politique et économique qui travaille avec Macron pour étrangler le mouvement qui a éclaté, contre eux, depuis le bas.

Le président de la Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, membre de l’Union nationale pour l’indépendance, qui fait partie du FLNKS, a condamné les émeutiers en déclarant que «la colère ne peut justifier que l’on porte atteinte ou que l’on détruise des biens publics, des outils de production, autant d’éléments que ce pays a mis des décennies à construire». À la veille de l’arrivée de Macron, le FLNKS a publié un communiqué disant qu’il espérait que sa visite «redonnerait vie à un dialogue calme et serein».

Derrière les slogans indépendantistes, les émeutes ont été motivées par l’aggravation de la misère sociale et économique, qui touche particulièrement les jeunes Kanaks, en rupture avec l’ensemble de l’élite dirigeante de la colonie. Le taux de pauvreté parmi les Kanaks, la communauté la plus importante, est de 32,5 pour cent, contre 9 pour cent pour les non-Kanaks. Le taux de chômage des jeunes est de 26 pour cent.

André Qaeze, journaliste à Radio Djiido, a déclaré à RNZ Pacific que les jeunes dans les rues disent qu’ils n’abandonneront jamais leur lutte contre la mainmise de la France sur le territoire. Il a fait remarquer que le «problème politique» – la loi électorale – n’est que la «partie visible de l'iceberg». Le problème plus profond est d’ordre économique. Evoquant les négociations interminables sur l’indépendance, Qaeze a fait remarquer que «depuis 30 ans, la jeune génération a vu ce genre de jeu, et pour elle, on ne peut pas continuer comme ça».

Un groupe de jeunes Kanaks non identifiés a déclaré à une équipe de tournage d’ABC: «Ils parlent de nous comme de terroristes mais c’est eux. C’est eux qui sont les terroristes ici… Nous protégeons nos familles, nous avons des enfants ». La voix off notait: « Ils parlent avant tout de négligence». Un jeune homme commente: «Ils ne devraient pas être surpris. Les banlieues ont toujours été laissées pour compte». Le mouvement avait lieu parce que «personne ne nous écoute. Nous sommes marginalisés ici».

Après avoir visité en hélicoptère certaines zones touchées par les destructions, Macron a été contraint d’admettre que les inégalités sociales avaient «continué à se creuser». Cependant, il a refusé d’accepter que la France ait une quelconque responsabilité dans la situation ou les émeutes, affirmant: «ils [les dirigeants indépendantistes] s’appuient sur des délinquants qui ont parfois débordé leurs donneurs d’ordre ». Poursuivant le dénigrement de la jeunesse kanake, il a condamné frauduleusement « le racisme décomplexé qui a resurgi depuis onze jours».

La colonie, qui compte 270.000 habitants, est confrontée à une crise économique de plus en plus grave: l’industrie vitale du nickel est dans la tourmente et la population souffre de l’augmentation du coût de la vie. Tous les partis officiels, qu’ils soient indépendantistes ou anti-indépendantistes, se rangent du côté de l’élite économique et s’opposent à toute mesure significative visant à mettre fin à la pauvreté et aux inégalités sociales.

En réalité, aucun des pays pauvres des îles du Pacifique n’est totalement indépendant: tous dépendent fortement de l’aide des puissances impérialistes et leurs gouvernements sont soumis à l’ingérence systématique de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis et de la France.

Alors que Washington et ses alliés de l’OTAN, dont la France, mènent la guerre en Ukraine et intensifient le conflit avec la Chine dans le Pacifique, Macron est déterminé à garder la mainmise sur les réserves minérales et les bases militaires stratégiques de la Nouvelle-Calédonie. Avec les travailleurs de France métropolitaine, les jeunes et les travailleurs kanaks sont directement confrontés aux intérêts géopolitiques de l’impérialisme français.

(Article paru en anglais le 27 mai 2024)

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