Les cheminées de la fonderie Horne, située dans la ville de Rouyn-Noranda au nord-ouest du Québec, continuent de cracher des métaux lourds dans l’environnement qui sont très nocifs pour les habitants de la ville et des environs.
Cette situation perdure depuis des années, grâce à la complicité des gouvernements successifs et de l’élite dirigeante, ainsi que du syndicat des travailleurs de la fonderie.
Des statistiques rendues publiques en 2022 faisaient état d’un nombre anormalement élevé de naissances avec faible poids, une espérance de vie nettement moindre que la moyenne québécoise, et un plus haut taux de cancer du poumon.
Depuis des années, la fonderie émet dans l’air des taux d’arsenic bien plus élevés – jusqu’à 50 fois plus en moyenne – que le taux accepté selon les normes provinciales.
Après l’indignation suscitée par les révélations de 2022, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec a annoncé que le seuil des émissions journalières d'arsenic devrait diminuer progressivement pour atteindre 15 ng/m3 en 2027 – ce qui représente encore 5 fois plus que le plafond provincial.
Selon les informations publiées sur le site de la compagnie Glencore Canada, la moyenne annuelle d’arsenic dans l’air ambiant entre le 16 mars 2023 et le 15 mars 2024 à la station légale Horne était de 45 ng/m3, soit 15 fois plus que le plafond provincial permis.
Karim est résident de la Ville de Rouyn-Noranda et a accepté de nous rencontrer pour témoigner de la situation.
WSWS : Bonjour Karim, merci d’avoir accepté l’invitation. Tu es résident de Rouyn-Noranda?
Karim : Oui je suis né à Rouyn et ma famille aussi.
WSWS : Tu fais quoi comme travail?
Karim : Je travaille comme opérateur de pelle. J’ai déjà travaillé à la fonderie, mais pas longtemps.
WSWS : J’aimerais que tu décrives la situation, plus précisément où se trouve la fonderie par rapport aux résidences?
Karim : La fonderie existait avant la ville de Rouyn et la ville s’est construite autour de la fonderie. Les maisons les plus proches sont vraiment collées sur la fonderie. Il y a une école secondaire et une école primaire vraiment proche de la fonderie.
WSWS : Quels produits la fonderie fait-elle fondre et pour récupérer quoi?
Karim : De ce que j’en sais, Horne fait fondre des appareils électroniques, comme des cellulaires, ordinateurs, etc., des appareils avec beaucoup de différents métaux dangereux et récupère le cuivre et tout ce qui est bon, le reste brûle et part en fumée par les cheminées de la fonderie. Elle fait fondre des produits qui arrivent de la Chine, que même en Chine ils ne veulent pas faire fondre à cause de la pollution que ça cause.
WSWS : Comment les citoyens ont-ils été informés de la situation, par exemple que le taux de cancer est plus élevé à Rouyn que dans la population québécoise en général?
Karim : Ça fait longtemps que tout le monde sait ça, je veux dire que la fonderie pollue. Rouyn est construit autour du lac Osisko, et la fonderie est située sur une partie des berges du lac. Ce dernier est tellement sale qu’il est recommandé de ne pas manger plus d’un poisson par mois.
On vit dans un nuage de poussière, elle est visible sur les voitures et les surfaces. Tu passes ton doigt sur ta voiture et tu laisses une trace dans la poussière. De temps en temps, les cheminées crachent une poussière rouge ou orange et ça donne un goût dans la bouche: c’est intense!
Pour le taux de cancer, nous l’avons appris en même temps que tout le monde, quand c’est sorti dans les médias. Personne ne nous a avertis, tout est toujours gardé secret. J’ai su il y a à peu près deux mois que le CLSC connaissait depuis longtemps les dangers pour la santé, mais ne voulait pas alerter la population avant d’avoir un plan! Il n’y a toujours pas de plan, sauf des aménagements cosmétiques et des promesses du gouvernement.
WSWS : Quels aménagements cosmétiques et promesses? Pourrais-tu nous donner des exemples?
Karim : En ce moment, il y a un projet de déplacement du quartier le plus proche de la fonderie, environ 85 maisons et bâtiments vont être déplacés pour être remplacés par des arbres. Selon Horne, apparemment les arbres vont absorber les polluants. Je ne sais pas, il y a tellement de polluants que je ne pense pas que quelques arbres vont absorber tout ça.
Il y a aussi une clinique de cancérologie qui a été ouverte, mais elle est ne fonctionne pas parce qu’il n’y a pas de médecin. Je pense que les médecins ne veulent pas s’exposer à la pollution.
La compagnie offre aussi de l’argent pour les dommages à la peinture des voitures. La pollution est tellement corrosive qu’elle abime la peinture des voitures. Ce n’est pas quelque chose que la fonderie annonce publiquement, c’est quelque chose qui a été annoncé durant les séances du conseil municipal où personne ne se rend. Je l’ai appris d’un ami. Il faut remplir un formulaire et la fonderie paie un maximum de quatre mille dollars.
La fonderie était censée engager une firme privée externe pour gérer le taux de pollution. Je ne sais pas si c’est fait, mais le taux est toujours bien au-dessus des normes acceptables pour la santé et le gouvernement est complice de cette pollution en autorisant la fonderie à dépasser les normes sécuritaires. Et je peux très bien voir que les cheminées crachent encore leur pollution, la fonderie ne fait rien, ne dit rien et n’offre rien pour protéger la santé publique.
WSWS : C’était ma question suivante, est-ce que la fonderie a parlé de ses plans pour réduire les émanations polluantes et offrir des moyens de prévention ou de protection pour la santé du public?
Karim : Non. Les gens sont laissés dans l’ignorance. La seule chose qui a été rendue publique est un investissement de 180 millions pour faire des changements, avec 85 millions en provenance du gouvernement – 85 millions du gouvernement à une compagnie milliardaire! Il faut savoir que la fonderie Horne fait partie de la multinationale Glencore qui opère à travers le monde.
Avec une somme de 85 millions, on peut en faire des choses si le gouvernement l’avait investie pour la ville et les citoyens! Mais la compagnie et les profits passent avant les gens. Les promesses du gouvernement, c’est de la bullshit, l’argent avant les gens!
Ce que la fonderie rend très public par contre, c’est son financement dans différents domaines d’activités culturelles qui se déroulent à Rouyn, comme la guinguette qui est un festival de musique qui se déroule chaque année.
WSWS : Face à tout ceci, est-ce que le syndicat des travailleurs de la fonderie a pris des actions?
Karim : Il y a entre 600 et 700 employés qui travaillent à la fonderie et non, le syndicat n’a jamais fait quoi que ce soit, pas de grève ni autres moyens de pression à ma connaissance.
Il y a eu quelques manifestations organisées devant la fonderie par la députée de l’époque, Émilise Lessard-Therrien [de Québec solidaire], mais il n’y a pas eu de suite. Elle a été battue aux élections suivantes. Évidemment qu’ils ne voulaient pas d’une députée qui fait du trouble.
WSWS : De ce que tu dis, on voit que vous êtes laissés à vous-mêmes face à une multinationale qui fait des profits aux dépens de la vie des gens. Cette situation n’est pas unique à Rouyn-Noranda. La pollution ou la destruction climatique est une question qui ne peut pas être résolue sur une base nationale. Seul un mouvement international unifié de la classe ouvrière peut y mettre un terme. Il faudrait établir des comités de travailleurs de la base, complètement indépendants des syndicats et des partis politiques officiels, avec des demandes basées sur les besoins réels des travailleurs.
Karim : Je pense que c’est une bonne idée, les travailleurs font tout le travail et de mon expérience ici, personne ne se préoccupe de nos problèmes. De prendre les choses en main nous-mêmes avec les autres travailleurs nous donnerait beaucoup de pouvoir et nous sortirait de l’isolement.